Citations de Sylvie Le Bihan (83)
Le sommeil est ce qu’il y a de plus intime, c’est le seul moment où le visage prend sa forme la plus vraie, c’est dans cet abandon, dans ce relâchement, qu’on prend le plus de risques de se dévoiler.
Ce printemps-là, alors que l’air se réchauffait à Madrid, Juan eut le pressentiment que cette douce brise portait en elle les graines d’une haine fratricide qui dès l’été déchirerait le peuple espagnol, divisé en deux camps irréconciliables. »
Pour la danseuse, le poète et le torero, dans la poésie, la tauromachie comme le flamenco, le Duende représentait une élévation, la transcendance de l'âme tourmentée. Selon eux en quelque forme d'art que ce soit, se contenter de la beauté ne suffisait pas.
María était sa toise, la femme toute-puissante, son soleil. Elle était tout à la fois les interdits, les corvées, les valeurs et l’amour absolu, toujours sévère mais juste. Il l’admirait.
- Ce que j'appelle ''duende'' dans l'art, conclut Federico [Garcia Lorca], c'est le fluide insaisissable qui est en est la valeur et la racine, quelque chose comme un élixir qui éveille la sensibilité des gens.
Tu sais, chez nous, celui qui se dispute avec sa famille, avec sa mère surtout, celui qui s’éloigne et ne revient pas s’exclut définitivement de la communauté, et même ses frères oublient qu’il a existé.
Encarnación, reprit-il, c’est le souffle de la vie. Sa passion pour le chant, la danse et la poésie me transcende ; elle incarne ce à quoi j’aspire. Je suis meilleur avec elle, alors peu importe ce que les gens pensent de moi : j’ai fait le choix, égoïste mais salutaire, d’être un homme avant d’être un mari ou un père.
- Je suis révolutionnaire, rétorqua [Federico Garcia Lorca] avec gravité, parce qu'il n'y a pas de vrai poète qui ne le soit pas. Mais je ne serai jamais un politicien. Ma seule arme, c'est l'écriture. Et dans ce monde je suis et serai toujours du côté des miséreux. Je serai toujours du côté de ceux qui n'ont rien et à qui on refuse jusqu'à la tranquillité de ce rien. Mon seul parti est celui des pauvres.
Avant d’ouvrir le portail de fer qui résiste fièrement depuis tant d’années à la puissance des vents et de la pluie, je me retournai vers la mer l’esprit un peu plus léger, pour savourer ma chance d’être là et pris une longue inspiration.
Face à moi, la pointe du Capo Massulo sur laquelle la silhouette d’un rectangle rouge orangé se détachait du bleu transparent de la mer Tyrrhénienne. Un vaisseau sans ornement, construit proue au vent, pierre insolente amarrée sur un pic rocheux, et c’est cette demeure minérale, chef-d’œuvre du rationalisme italien, qui symbolisait le mieux mon rêve enfin accompli, car j’étais là pour elle et pour lui.
En fermant les yeux et en tendant l’oreille, je crus entendre, portés par les embruns, les cris d’effroi, suivis de ceux de joie d’un après-midi d’été de 1951, alors que devant ses invités affolés, Curzio faisait des tours de bicyclette sur la terrasse, un toit plat, sans balustrade, qui surplombe la mer. « Nul lieu en Italie n’offre une telle ampleur d’horizon, une telle profondeur de sentiment. C’est un lieu propre seulement aux êtres forts, aux libres esprits », c’est ainsi que Curzio parlait de La casa come me.
J’avais devant moi la vision d’un rêve, l’expression d’une joie exigeante, une floraison spontanée, le point orange d’une figue de barbarie entre les pointes d’un cactus, une maison poussée sur la pierre qui donnait du sens non seulement à ce rocher mais aussi à tout ce qui l’entourait et je me dis que sans cette maison, le paysage aurait forcément été moins beau car on sentait là la force et la pensée, comme la douce violence d’une évidence. Une maison-manifeste allongée sur la mer, un fol autoportrait architectural d’un misanthrope curieux, la mémoire ancrée dans la roche d’un homme obsédé par ce seul projet. Il l’avait laissée en cadeau à ceux qui lui survivraient, comme l’unique témoignage concret de sa sensibilité, une trace qui s’efface en fendant l’horizon, une ligne de petits pointillés, souvenirs fugaces de sa nostalgie, qui brûlent chaque soir au soleil couchant.
J'ai perdu ceux que j'aimais, j'ai cru que ça me ferait du bien de garder en mémoire leur visage, leur sourire, je me suis accroché parce que j'avais peur de moi, mais la ficelle a glissé de mes mains et ils se sont éloignés comme un ballon lâché dans le ciel. Au début, on suit sa forme au loin, puis ce n'est plus qu'un point, il disparaît et on reste seul avec le même paysage. Les choses ne changent pas, Robert, c'est le regard que tu portes sur elles qui leur donne une autre lumière.
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Je sais que la mort des taureaux m’a nourri. Pourtant, quand tu me demandes si j’aime la corrida, c’est comme si tu demandais à un enfant de mineur s’il aime la mine. Il te dirait la même chose que moi, qu’il avait peur, et qu’il aurait préféré un père balayeur, ou chauffeur, mais n’a pas eu le choix. Lui, son sort, c’est l’attente.
Pour la première fois de ta vie tu ressentis la peur, la vraie, cette onde sous-cutanée qui peut si facilement être interprétée par les autres comme de la folie. L’Autre mettait chaque fois cette attitude en évidence pour retourner la situation à son avantage, surtout lorsque tu t’énervais en public et qu’il glissait à vos amis : "Elle est bizarre en ce moment, un peu sur les nerfs…" Tu entendais et tu t’agitais, tu tremblais, au bord des larmes, dans un état quasi-délirant.
Devenu ton confident, ton meilleur ami puisque depuis votre séjour à Strasbourg tu ne parlais plus que rarement aux tiens, tu lui livrais toutes tes pensées car jamais tu n'aurais pu imaginer qu'une telle perversité fût possible. il te donnait son avis sur tout et ça te rassurait, tu eus le sentiment d'exister car s'il faisait attention à toi, à ton aspect, c'était pour ton bien, pour te rendre meilleure. Les cheveux attachés, tu étais plus jolie. juste un conseil, puis un seul de ses regards appuyés et tu cherchais ton élastique fébrilement au fond de ton sac. Un bouton ouvert pour tes chemisiers, c'était plus élégant...
Observer, Ne pas agir. Ne plus réfléchir.Se laisser conduire. Rester dans cette voiture et surtout ne plus penser à l’Autre. Oublier.
Tu sais que ce ne fut pas soudain, sinon, tu aurais fui, mais son agression se décomposa plutôt en une lente succession de micro-violences, un poison instillé à dose homéopathique. Son avis, ses conseils, te donnaient l’illusion d’exister, tu ne réalisas pas que, lentement, ses choix s’imposaient.
Aujourd’hui encore, tu ne situes pas l’instant où tout a commencé.
Il n’y a qu’une chose dont je suis sûre et vous devez le croire : ce sont des monstres qui ont tué nos monstres.
(…)et ma liberté était mon plus cher trésor. Je l’ai déposée, en offrande, au pied du berceau de mes enfants, j’ai donné ma solitude, ma vie, pour me fondre dans cette idée que la maternité était le plus grand bonheur pour le plus grand nombre de femmes. (p111) (…) Mais, j’ai eu des enfants et je le regrette. (p114).
Privilégiant l'apparence, il demeurait quelqu'un de parfait aux yeux de votre entourage, mais c'est son discours dans la l'intimité qui changea : des taquineries sur tes ex., tes amis, ton travail, tex vêtements, des allusions, des non-dits et des sous-entendus, puis des remarques plus cinglantes, des regards plus durs, du mépris parfois, une distance froide et ce sentiment qu'il te reprochait quelque chose, mais tu ne savais pas quoi.
En guerre civile, l’ennemi est intérieur, on se bat presque contre soi même