Marcory Sans-Fil, c’est, contrairement à Marcory résidentiel par exemple, Marcory sans électricité, sans fil électrique. Les Abidjanais ont de l’humour c’est connu. Un quartier sans fil imaginez ce que cela peut offrir comme spectacle. Car si l’électricité est un signe de progrès, son absence suppose d’autres absences : hygiène de rues, habitat construit suivant certaines normes, dispensaire, terrain de jeu ou de sport, etc. A l’obscurité la nuit, ajoutez ces manques et vous obtiendrez un repère de brigands, diraient les gardiens de l’ordre. L’un d’eux, un policier abidjanais, confirme : « Si on me demande de faire une rafle là-dedans, je démissionne de la police. » Amagou Victor, Maire de la commune de Marcory ne dément pas : « Il vaut mieux ne pas y aller. Moi j’y vais parce que je suis connu. »
Les paysans avaient fait leur devoir : par un effort constant, ils avaient enrichi le pays. Les cadres gestionnaires des deniers publics avaient fait le leur : au vu et au su de tous ils avaient détourné quelques milliards de leur destination initiale pour les diriger en toute impunité vers des comptes personnels. On n'était pas très regardant, chacun était préoccupé à en faire de même plutôt que de contrôler le voisin.
M. Kalilou Diallo par exemple, génial constructeur du premier pont de fortune grâce auquel il a fait fortune en instituant un système de péage qui arrangeait tout le quartier, parce qu’on y était plus obligé de faire un grand détour qui coûtait beaucoup de temps et d’argent. Pour 25 F on avait franchi le marécage. Œuvre sociale ? Oui parce que tous les habitants applaudirent l’initiative. Œuvre sociale aussi et surtout parce que les enfants et en particulier les élèves, tous fils de parents démunis, ne furent plus contraints de payer plus de 400 F de transport aller-retour par jour pour se rendre à l’école sur l’autre rive de l’infranchissable marécage qui séparait les deux quartiers ; c’était gratuit pour eux ! Le corps habillé (policiers, gendarmes, militaires, etc.) enfin fut exempté de péage, peut-être pour d’autres raisons cette fois, car il vaut mieux s’attirer les bonnes grâces de ces gens-là, surtout que le pont a été construit et exploité sans la moindre autorisation !
En novembre 1983, toujours devant le Conseil National où l'on lave le linge sale en famille, les Ivoiriens apprendront, toujours par la voix de leur Président, que d'autres milliards ont été détournés, mais cette fois de la Logemad, service chargé de gérer les logements et baux administratifs : " Il y a 4 milliards de francs qui ont disparus, qui, bien sûr, ont transité entre les mains des responsables qui ne savent pas jusqu'ici (...) à qui ces 4 milliards ont été remis. " Si les Ivoiriens recherchent avec acharnement les postes à responsabilité, c'est certainement pour y pratiquer la plus grande irresponsabilité ; la chose est entendue !