L'auteur Taffy Brodesser-Akner partage trois livres qu'elle a appréciés récemment. Liste complète ci-dessous ! En savoir plus sur son livre FLEISHMAN IS IN TROUBLE : https://bit.ly/2N0I9e6
J'étais à présent ce que l'on appelait une mère au foyer, activité temporaire dénuée de toute perspective de promotion qui se distinguait tellement d'un véritable boulot qu'elle s'apparentait dans les faits à une résidence surveillée, même si, bien évidemment, j'avais encore le droit de faire du covoiturage et les courses.
Quand je disais ce que je faisais, on me répondait : " Etre mère, c'est le boulot le plus difficile au monde." Mais c'était faux. Le boulot le plus difficile au monde, c'était d'être mère et d'avoir un vrai job.
Je le dis et je le redis : la vie est un processus au cours duquel on rencontre des gens dont on se débarrasse lorsqu'ils ne nous sont plus utiles. La seule exception à cette règle, ce sont les amis que l'on se fait à la fac.
- J'aimerais bien apprendre à te connaître. J'aimerais bien t'inviter quelque part.
- Je ne peux pas. Je n'ai pas encore tout réglé avec mon mari et je ne me sens pas prête à sortir avec un autre homme.
- Parce que tu as peur de le faire soufrir ?
Elle resta muette.
- Mais vous n'êtes plus mariés.
Elle lui rit au nez.
- S'il suffisait de divorcer pour ne plus être mariés.
La colère était un jardin qu'elle cultivait, un jardin envahi d'une mauvaise herbe toxique dont elle ne parvenait pas à endiguer la progression. Toby ne comprenait pas que lui aussi cultivait ce jardin. Il ne comprenait pas qu'ils avaient été deux à y planter des graines.
Ce n’était pas parce qu’il était douloureux de contempler leur jeunesse, leur peau brillante et ferme, leur ravissement face au pli impeccable qui séparait leurs fesses du haut de leurs cuisses, même si tout cela, évidemment, était extrêmement douloureux. Ce n’était pas leur profonde conviction qu’il en serait toujours ainsi, ni même le fait que, sachant toutes ces choses passagères, elles avaient fait le choix d’en profiter au maximum : en fait, si elles avaient profité de leur jeunesse justement parce qu’elles savaient qu’elle ne durerait pas, ça aurait été encore pire, car qui était capable d’une telle lucidité à cet âge ? Non, ce qu’il ne pouvait plus supporter, c’était de se retrouver avec quelqu’un qui ne comprenait pas encore profondément la notion de conséquence, qui ne savait pas en son for intérieur que peu importait le soin avec lequel on planifiait sa vie, le monde finissait par l’emporter. Il était impossible d’apprendre cette leçon sans l’avoir vécue. Qui que nous soyons, la seule façon de le comprendre, c’est de le vivre.
"Et dans nos rires nous entendions notre jeunesse et il n'est jamais sans danger de se retrouver au seuil de la maturité, au fond d'une impasse dans sa vie et d'entendre soudain l'écho de sa jeunesse".
Les hommes n’avaient pas de problèmes concomitants à leur sexe. Ils n’avaient pas peur de paraître illégitimes. Ils n’avaient rencontré aucun obstacle. Ils étaient nés en sachant qu’ils avaient leur place dans le monde, et à chaque tournant de la vie, on les confortait dans cette certitude, au cas où ils l’auraient oubliée. Mais ils ne cessaient pas pour autant d’être créatifs, d’êtres humains, aussi s’attachaient-ils à diverses problématiques dans un pur élan artistique. Leurs problèmes n’en étaient pas. Ils n’avaient pas à lutter pour définir leur identité, ils n’avaient pas à craindre pour leur santé ou leur situation financière. Cela leur permettait de toucher à la nature de leur âme, à la nature même de l’âme humaine – toucher à la blessure qui se cachait sous les contingences et les combats du quotidien.
Je pouvais les écouter pendant des heures. Quand on ne pose pas beaucoup de questions et qu’on laisse quelqu’un parler, il finit toujours par vous dire ce qui lui passe vraiment par la tête. Dans ces monologues, je retrouvais mes propres griefs envers l’existence. Ils se sentaient exclus de la même façon que je me sentais exclue. Ils se sentaient ignorés de la même façon que je me sentais ignorée. Ils avaient l’impression d’avoir échoué. Ils avaient des regrets. Ils manquaient d’assurance. Ils s’inquiétaient de ce qu’ils laisseraient derrière eux quand ils mourraient. Ils disaient toutes ces choses que je redoutais de dire à voix haute de peur de paraître mégalomaniaque, égocentrique, vaniteuse ou narcissique. Je calquais mon histoire sur la leur, comme dans ces livres de biologie ou l’on peut placer un transparent des muscles humains sur le dessin d’un squelette. Je traitais de mes problèmes à travers les leurs.
C’était là une grande leçon que j’avais tirée : la seule façon d’amener quelqu’un à écouter une femme, c’était de raconter son histoire par le biais d’un homme. Faites passer votre message sous couvert masculin, tel un soldat grec dans le Cheval de Troie, et les gens en auront quelque chose à foutre de vous.
Peut-être à cause de l'injustice monstrueuse qui frappe le statut, la carrière et le corps de toute femme lorsqu'elle devient mère. Toutes ces choses ont de quoi vous rendre folle si vous êtes quelqu'un d'intelligent. Si vous êtes une femme intelligente, vous ne pouvez rester maîtresse de toutes vos facultés quand vous comprenez pleinement, comme n'importe quelle autre personne intelligente le ferait à votre place, les limitations que le monde impose aux femmes. Je ne l'ai pas supporté.
Toute sa vie, on l’avait convaincu qu’être médecin était un métier respectable. C’était un métier respectable ! Quand Rachel était rentrée chez eux cette nuit-là, il lui avait raconté ce que ce sale con de Todd lui avait dit, et elle lui avait sorti : « Et donc, tu leur conseillerais quoi ? » Ils s’étaient tous ligués contre lui.
Des gens qui arpentaient ces rues avec un seul impératif : baiser, ou bien toucher/lécher/sucer/pénétrer le premier corps chaud et consentant, des gens pleins de fougue et de luxure, des gens qui étaient encore vivants, peut-être après quelques années de mort, comme lui, et qui ressemblaient au voisin d’à côté, mais qui en réalité parvenaient tout juste à se retenir de se frotter contre la jambe du premier passant lorsqu’ils allaient faire des courses, se rendaient à un dîner ou à leur cours de yoga. C’était agréable de savoir que cette énergie existait toujours, alors qu’il avait la sensation d’avoir atteint un âge relativement avancé. Cela l’emplissait de paix et d’espoir, de savoir que tout ce à côté de quoi il était probablement passé en se mariant si jeune avec Rachel était encore là, et l’attendait.