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Citation de TerrainsVagues


Fêlées, mes illusions.
Le jour s’est mêlé à la sueur de mon corps et je doute. Je suis amer.
Je suis venu dans ton pays sur la pointe du cœur, expulsé du mien, un peu volontairement, beaucoup par besoin. Je suis venu, nous sommes venus pour gagner notre vie, pour sauvegarder notre mort, gagner le futur de nos enfants, l’avenir de nos ans déjà fatigués, gagner une postérité qui ne nous ferait pas honte. Ton pays, je ne le connaissais pas. C’est une image, un bol d’encens, un mirage je crois, mais sans soleil. Mon pays, tes patrons le connaissent bien. Ils ont cultivé sa terre, la meilleure, la plus fertile ; et même quand la terre résistait, ils y pratiquaient la blessure, avec méthode, avec calme. Ma terre comme ma mémoire a vécu sans cadastre. Nubile et tendre. Le soleil labourait nos corps. Nos enfants devaient travailler. On ne disait rien. On se taisait. L’eau coulait dans nos veines et on vous donnait le sang. Les enfants des notables fréquentaient les écoles bien, des écoles franco-musulmanes… Dépossédés de notre terre, on nous voulait aussi dépossédés de notre corps, de notre vie. Il y a eu la guerre. Chose facile à résumer aujourd’hui en quelques mots. La guerre. Des machines perfectionnées, sophistiquées envahissaient nos foyers. La mort. Quotidienne. Sur un cheval qui vomissait. Je ne sais pas, camarade, de quel coté tu étais. Peu importe. Nos corps sont aujourd’hui tatoués par tant de questions. C’est vrai, il y a eu des étoiles sur le front des enfants. Le ciel s’est mêlé à la terre. La foudre entre nos mains. La rage et des bribes de la démence dans la bouche du crapaud. L’histoire a regagné les livres, et nous entamions une autre détresse. Le voyage avec une valise pour tout bagage, une vieille valise entourée de ficelle où on mit quelques vêtements de laine, les éclats de la foudre, la photo des enfants, une casserole, quelques olives et une espérance, grosse comme notre mémoire, un peu aveugle et lourde. Nous sommes arrivés ici par fournées avec un chant fou dans la tête, un chant retenu et déjà la nostalgie et les écailles du rêve. Au loin la flûte murmurait. Sur les paysages humains, il y avait un voile, un ciel d’acier, et dans ce ciel des trous petits et grands, profonds et transparents. Dure la fêlure. Vivre, la tête enfouie dans le corps. Survivre entre l’usine ou le chantier et les morceaux du rêve, notre nourriture, notre demeure. Dure l’exclusion. Rare la parole. Rare la main tendue.
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