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Citation de mafossi


A peine soixante seconde plus tard, la fillette revint au pas de course, tenant le poignet décharné d'un enfant qui semblait être son frère. Un sourire radieux aux lèvres, le garçon était animé d'une gaieté indomptable, une qualité que Kweku n'avait remarquée que chez les enfants vivant dans la misère à proximité de l'équateur: la faculté instinctive de se moquer du monde tel qu'il est, d'y trouver matière à rire, un enthousiasme inextinguible devant tout et rien, inexplicable étant donné la situation.
La situation les amuse.
Kweku l'avait remarqué au village, chez ses frères et sœurs, chez l'une en tout cas: sa sœur cadette, morte à onze ans d'une tuberculose curable. Plus jeune, il avait pris cela pour de la sottise, le ravissement des innocents. Une sorte d'incapacité à voir les choses. A son sens, il fallait être aveugle ou idiot pour être si souvent heureux dans ce village, dans les années cinquante. Il se trompait. Sa sœur était aussi lucide que lui, il avait fini par le comprendre la nuit de sa mort [...] il lui avait caressé le visage et répété: "Tu ne vas pas mourir. - Si", avait-elle murmué en souriant, les yeux étincelants.
Et elle avait expiré, un sourire gravé sur son visage émacié, sa main dans celle de son frère, qui avait posé la sienne sur son cou, grands yeux rieurs, qui s'écarquillaient et se vitrifiaient tandis qu'il les regardait, percevant qu'elle avait vu au-delà. S'était moquée de la mort. (Il les reverrait plus tard en Amérique, surtout dans la salle des urgences où meurent des gosses de onze ans: les yeux calmes d'un enfant qui a vécu et est mort dans l'indigence, qui accepte et défie cette réalité. Non grâce à l'éducation, l'arme préférée de Kweku. Non avec l'aveuglement qu'il avait attribué à sa sœur, mais avec l'indifférence dont le monde avait fait preuve envers elle, lui et tous les enfants misérables. Le même dédain.) Ekua avait des yeux rieurs. En dépit de tout: tuberculose, indigence, charlatans mort prématurée. Elle jetait sur le monde qui ne lui avait accordé aucune importance un regard exprimant qu'elle ne lui en accordait pas plus. Elle avait vu tout ce que Kweku avait vu - la déchéance de leur médiocrité, l'insignifiance de leur présence au monde; la médiocrité désespérante d'une existence ne dépassant pas une plage qu'ils parcouraient en une demi-journée - sans s'estimer déchue, insignifiante ou méprisable pour autant.

La qualité de cette gaieté.
Brisa le cœur de Kweku.
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