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Critiques de Tanguy Viel (893)
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Article 353 du code pénal

Premier coup de coeur 2017 !



L'article 353 du Code de Procédure pénale permet d'en appeler moins aux preuves qu'à la conscience des juges et jurés de la cour d'assise, en somme se fier à l'intime conviction .

Un village du Finistère nord, les années 90.

Suite à une arnaque immobilière, Martial Kermeur jette à l'eau Antoine Lazenec durant une partie de pêche. Lazenec se noie, Kermeur est arrêté.

Face au juge il déroule tout le film de sa vie qui l'a mené là. Son licenciement de l'arsenal, le départ de sa femme et l'apparition de Lazenec, "amené par la providence".......et comment il s'est fait " avoir en beauté ".

J'ai été saisi par le mode d'expression puissant de Kermeur, se souvenant, racontant et analysant ce film où il voit progressivement se développer la vérité et l'inéluctable fin . Des expressions et métaphores improvisées sur le moment, langage d'un homme simple, tout sauf un intellectuel, (....au fond, plus vous faites une chose absurde et plus vous avez de marge de manoeuvre, parce que l'autre en face, l'autre, tant qu'il n'a pas mis ça dans sa machine à calculer à lui, tant qu'il n'a pas fabriqué une petite machine à lui pour domestiquer l'absurdité, il est paralysé"), face à un juge qui, lui emploie la langue officielle, celle du code pénal.

Ce face à face,où Kermeur voit le juge en psychologue, va l'aider à " tout déterrer jusqu'à la poussière des os" et à faire de la lumière sur le cours des choses ("Peut-être même, la lumière, c'est vous, j'ai dit au juge, peut-être vous aimantez mes souvenirs et vous les faites tourner en moi comme des anneaux autour de Saturne.").



Un livre qui touche à la question fondamentale de la justice naturelle qui ne tombera peut-être jamais ou l'injustice qui ne sera jamais réparée.

Un livre au langage foisonnant avec une note politique dans le fond et l'humour en bonus, que je ne voudrais pas analyser plus, car rien ne vaudrait sa découverte par vous-même.

Un vrai plaisir de lecture , le meilleur que j'ai lu de lui !





C'est toujours une certaine forme d'ignorance qui produit des pensées neuves.( Tanguy Viel )

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Article 353 du code pénal

La pluie tombe, les volets sont fermés. le vent souffle. Je suis comme dans un huis clos avec ce livre où j'ai vécu une tempête émotionnelle dans mon antre, pourtant pas en Chambre du conseil… je lâche l'affaire, je rends ma chronique de l'article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel…



L'histoire vous la connaissez Martial Kermeur, ancien ouvrier de l'arsenal de Brest a tué Antoine Lazenec, à bout, suite à une monstrueuse escroquerie immobilière, il a tout perdu.

Il a été victime de manipulation, englué dans l'adversité, vécu l'impuissance face à la culpabilité de son silence, la douleur faite aux siens : il a fini par prendre conscience du jeu de dupe dans lequel il est tombé et qu'il se refusait de s'avouer.



Etrangement, son fils Erwan, observe, absorbe comme une véritable éponge, tous les déboires de son père…



Alors Kermeur après avoir réglé son compte à Lazenec,

Il doit rendre des comptes à la justice. Il est déféré devant un juge d'instruction. Il a rendez-vous avec sa vie.



Dans un face à face inédit rendu par la narration, une atmosphère feutrée d'un bureau de palais de justice du Finistère, l'accusé se rassemble dans une confession profondément émouvante, nous livre un plaidoyer qui fait mouche, donnant l'impression qu'il a revêtu une robe d'avocat, pèse le pour et le contre avec sa conscience, fait état des dommages collatéraux, explique comment il en est arrivé là….



Et le juge silencieux, écoute, engrange, se raidit. Pour séparer l'ivraie du bon grain, il prend la parole à des moments stratégiques, le pousse dans ses retranchements pour aller aux tréfonds de Kermeur, semblables à ceux de l'océan.



La tension est palpable à travers l'écriture, un moment de vérité, solennel entre deux hommes….



J'ai été brassée par le talent d'orateur de Tanguy Viel, tel un homme qui plaide…



Au cours de ma lecture, je me suis surprise à me demander qui est le narrateur, Kermeur, l'écrivain ? surtout après avoir entendu son lapsus à LGL, souligné par François Busnel….



Cette histoire est maginifique….troublante, elle aborde en filigrane tellement de sujets qui nous renvoient à nous-mêmes. Ce n'est pas un livre de droit pourtant, mais cela me rappelle étrangement un procès en Cour d'Assises à laquelle j'ai assisté en audience publique, où dans leur âme et conscience, dans le recueillement et le silence, les jurés ont rendu leur décision….



Accusé, levez-vous !

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La fille qu'on appelle

Le sujet est banal. Max le Corre, boxeur ex-star des rings, y retourne à quarante ans. Au creux de la vague le maire de la ville , Quentin le Bars , quarante huit-ans, en a fait son chauffeur. Sa fille Laura, vingt ans , étudiante, est revenu vivre avec lui. Elle a besoin d'un logement et d'un emploi . Il l'envoie chez son patron.....

Chez Viel en faites seulement l'apparence est banal. Déjà le titre que je trouve très ironique, couplé d'une séance de plainte chez les flics qui coupe le texte sporadiquement annonce qu'il y a problème 😁!

A travers le prisme des liens Père-Fille et les relations d'emprise et de pouvoir, comme dans son excellent précédent roman “Article 353 du code pénal “ Viel met en scène des rapports de force. Nourrie de sujets actuels comme magouilles politiques,

ou abus sexuels, une intrigue peuplée de personnages ambivalents , où l'intelligence couplée d'impuissance, la force physique de fragilité mentale, le pouvoir d'absence de morale, sont exprimés en majorité à travers la description physique et moteur des corps. Des corps dont les personnages ont la difficulté d'en être souverain.



La prose de Tanguy Viel est géniale . Dense et cinématographique , d'une musicalité hypnotique, bravant une économie de mots visuels, un exercice de style simple mais efficace. Sans s'acharner il réalise naturellement des récits courts , précis et profond, avec des propositions littéraires très variées. le résultat est une atmosphère, et un plaisir de lecture très particuliers. Ici par exemple les deux visages du pouvoir dans la ville, Bellec, patron du Casino de la ville, le mafiosi du coin, super pote du maire est simplement esquissé par un costume blanc, qui en dit long, alors que celui de l'autre avec un simple « l'air propret et sérieux dans ses costumes cintrés sur l'embonpoint qui gagnait ». Un seul mot « par ailleurs... » prononcé par le maire, définit leur lien désormais impossible à démêler et la métaphore qui en suit est simplement superbe, que je vous laisse le plaisir de le découvrir avec sa suite....

“La vraie vie d'un livre, c'est sa vie sociale”, dit Tanguy Viel, j'espère que ce livre en aura une très riche, celle qu'il mérite.



« ....même le diable n'a pas toujours un costume rouge ni des flammes dans les yeux. »

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La fille qu'on appelle

En même temps…

Je vais faire mien ce concept qui brille par son courage pour donner un avis du parti des indécis sur la dernière jurisprudence, pardon le dernier roman de Tanguy Viel. Je vote blanc pour un roman noir par temps gris.

Si le projet de l’auteur est de recenser tous les crimes et délits du code Pénal, il va falloir qu’il accélère un peu ses parutions avant d’être trop viel, qu’il adopte une cadence balzacienne et délaisse son côté Chabrol en charentaises.

Un boxeur sur le retour travaille comme chauffeur du maire d’une ville portuaire de bretagne. Le Tyson du Far demande à son édile de trouver un logement à sa fille revenue sur place après une parenthèse malheureuse dans le mannequinat déshabillé.

L’élu aux ambitions ministérielles ne va pas faire que lui trouver un pied à terre, et à défaut de lui masser les petits petons, il va abuser de son pouvoir pour la placer sous son emprise et dans son lit. Un cumular du plumard. Histoire dans l’air vicié du temps, qui fait l’écho à l’actualité dont j’ai trouvé la trame un peu caricaturale. Les élus n’ont pas le monopole du vice, les patrons de Casino ne sont pas tous des escrocs en costume blanc et les boxeurs ne sont pas tous des cabossés de la vie.

Comme dans ses précédents romans, l’auteur va donner la parole à la victime qui s’appelle Laura, ah que y’a tant d’hommes que je ne suis pas, mais il ne s’autorise pas à incarner le récit à la première personne du singulier. Galanterie de plume, Tanguy s’émancipe du je. C’est à travers la plainte que la jeune femme va déposer auprès de deux policiers que l’histoire se déroule.

Je reproche également à ce roman son dénouement. Pas besoin de consulter la boule de cristal de madame Soleil ou d’envoyer un SMS à l’oracle de Delphes, Pythie la reine des potins, pour deviner la météo de la veille. La fin ne justifie pas le moyen.

A contrario, j’ai été impressionné par la capacité de l’auteur à décrire l’incapacité de la jeune femme à réagir face à l’emprise de cet homme charismatique qui gloutonne l'espace et à se rendre parfois responsable de son manque de résistance. L’affection silencieuse qui unit le père et sa fille est également présentée avec beaucoup d’élégance et de retenue, et bon point, les deux flics ne sont pas présentés comme des brutes misogynes, adeptes de la main courante.

Tradition littérale raffinée de call girl, le titre est un réquisitoire sur l’abus de pouvoir qui abuse des stéréotypes.



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La fille qu'on appelle

Si Tanguy Viel emporte le Goncourt (ou un autre prix littéraire), « La fille qu’on siffle », traduction brute de « La Call Girl », est une telle bombe que je parie que certains élus s’arrangeront pour que ce roman ne soit jamais acquis par les bibliothèques municipales.



Bombe politico médiatique car Le Bars masque un Ministre actuel et est le copié-collé d’autres élus adeptes du « droit de cuissage » et pratiquants du « service rendu » - le « win-win » de Bill Clinton - à leurs très chères électrices.



Bombe érotique avec Laura qui depuis ses seize ans fait le bonheur de la presse « dénudée » et des affiches de lingerie.



Bombe sportive avec Max Le Corre qui ouvre, enfin, l’oeil, enfile ses gants, et retrouve une force juste et libératrice.



Bombe stylistique, car l’auteur a un réel talent pour massacrer la langue écrite et rédiger en français oral style BFM ou Skyrock, ce qui nous offre d’ailleurs des pages plutôt agréables pour qui apprécie Céline ou San Antonio.



Ces pages dessinent une photographie consternante des pratiques électorales actuelles et de l’emprise exercée par des « chefs » sur leurs assujettis ; elles mobilisent pour que l’élan #MeToo permette aux femmes abusées de se faire entendre. Une réussite.
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Article 353 du code pénal

Voici un roman hautement déstabilisant par son côté hypnotique et cette précision d’orfèvre dans le psyché humain.



Qu’est ce qui a poussé Martial Kermeur a balancé à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec ? Kermeur devra s’expliquer avant d’être jugé pour homicide. Il le fera en huit clos devant le juge à l’affût de chaque détail.



Une confession habile et noire où Kermeur détricotera le fil de l’histoire, l’emprise de cet agent immobilier qui promet le nouveau saint tropez du Finistère dans un complexe immobilier mais ne sera qu’une grossière arnaque dévastatrice.



Tanguy Viel passe à la loupe chaque centimètre d’un homme acculé, manipulé, jugé par son propre fils et jugé par sa propre conscience. Un homme qui suite à une mauvaise rencontre sera amené à se rencontrer lui-même dans la plus âpre et noire sincérité, dénouant le fil de ses dernières années où à force de déboires (un licenciement, un divorce), cet homme accueillera la providence sans se douter que sous ses airs affables se cache le corbeau de la nuit.



Un huit clos prenant, intelligent, ardu qui mérite une pleine concentration pour cerner l’ampleur du désastre d’un homme trompé.
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Article 353 du code pénal

Je n'ajouterai pas grand -chose , car tout a été dit, déjà!

Voici un huit- clos magistral entre deux hommes que tout sépare....



Ce récit ou plutôt cette longue confession à l'unique narrateur, à la parole libre, parsemée de doutes, d'interrogations, d'omissions , de renoncements, d'une admirable densité, semblable à l'enchaînement de mauvaises réponses à un très grand questionnaire pose la question essentielle du sens de la justice des hommes !

La parole libre, anarchique, humble et vraie d'un homme brave, d'une pénétrante humanité , son parcours psychologique, avec ses mots simples, sa crédulité , la "Honte "de cet homme arnaqué, floué, sali, ruiné, accablé par l'immonde manipulation qu'il a subie . Un homme las et défait !



Face au juge, il se souvient, ajuste, raconte, déroule le film de sa vie : licenciement, départ de sa femme, survenue de Lazenec, retrace désespérément "la ligne droite des faits", le poids des échecs et des infortunes......

Un récit remarquable , une réflexion, une méditation sur le mal en l'homme, la responsabilité individuelle, les choix moraux, le destin et le mécanisme d'un scénario menant d'une manière implacable au drame !

Au final la conscience d'un Juge peut changer votre vie!!!

Un livre lu en une journée !
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La fille qu'on appelle

Depuis qu’il a quasiment raccroché les gants de boxe, l’ancien champion Max Le Corre est devenu le chauffeur du maire de la ville. Sa fille de vingt ans, Laura, ayant l’intention de revenir s’installer près de lui, il a l’idée de solliciter son patron pour aider la jeune femme à trouver un logement.





Le premier abord surprend, tant l’écoulement interminable de certaines phrases laisse le lecteur sans respiration. L’on s’y perd parfois, il faut relire, c’est d’abord déconcertant. Mais, conquis par la justesse des mots et par la perfection des tournures, l’on se laisse vite emporter par la vague, définitivement impressionné par une singularité stylistique sublimant un propos qui fait mouche à tout coup.





Rapidement se précise entre les personnages une inextricable et sordide relation de pouvoir. Un élu accro au sexe s’est habitué à user sans vergogne de son omnipotence. Il est flanqué d’une sorte d’homme de main, engouffré dans son sillage pour son arrangeante et discrète complicité. Face à eux, une jeune fille, sans grandes ressources en dehors de sa beauté plastique, devient une proie idéale lorsque son père la leur livre innocemment en quémandant un appui. Le récit s’intéresse à la manière dont se met en place l’emprise, enfermant sournoisement sa victime dans une ambivalence paralysante qui aura beau jeu de passer pour un consentement. Quoi qu’il arrive, l’assujettie endosse tous les torts : n’ayant jamais réussi à dire clairement non dans l’impasse où elle se trouvait acculée, elle ne sera jamais crédible lorsqu’elle cherchera à dénoncer l’abjection qu’on lui a imposée. L’emprise a ceci de terrible : la victime se laisse prendre au piège qu’elle pense sans échappatoire, et ne parvient jamais à prouver la perversité du manipulateur qui a toutes les apparences pour lui.





Avec ses personnages croqués dans la plus grande économie de moyens et qui crèvent pourtant les pages, ses vérités si finement observées et l’inimitable qualité de son écriture, ce roman brillant et hypnotique est un pur moment de plaisir. Coup de coeur.


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Travelling

Le tour du monde en cent jours.....non ce n'est pas le roman d'aventures de Jules Verne dont j'ai confondu le nombre de jours, c'est celui de Christian Garcin et Tanguy Viel, deux de mes écrivains de prédilection. Un tour de monde effectué par deux compères, l'un grand voyageur, l'autre sédentaire, partant de Marseille, traversant l'Atlantique puis les États Unis, le Pacifique et le Japon, la Chine et la Russie puis l'Europe jusqu'à Paris. Ça ressemble au voyage de Phileas Fogg, mais à l'envers, et comme moyens de transport, bateaux, train et voiture, tout sauf l'avion. Quand à l'aventure, à l'ère Internet, elle n'est plus au niveau des conditions de voyage et de séjour, mais comme toujours chez Garcin, dont j'ai lu tous les livres de voyage, dans la perception "du monde et de sa percussion, de l'expérience et de son expression, de la beauté et de sa prise".



Pour qui ne connaît pas Garcin et ses livres de voyage, comme il le précise aussi lui-même, il n'est pas un "écrivain voyageur", qu'il définit comme des écrivains " qui pour l'essentiel n'écriraient pas, ou n'auraient pas écrit , s'ils n'avaient pas voyagé ". Son oeuvre est très éclectique, et ses livres de voyage, des expériences intimes et profondes dans "le sens de la découverte, de la déstabilisation, de perte de repères,

d'ouverture sur une autre dimension de l'expérience au monde", qu'il qualifie d'expériences de l'ailleurs. Une conception du voyage qui rejoint la mienne.



Ils embarquent donc sur un porte-containers à Marseille, destination NewYork, avec quelques jours de retard. Une traversée de l'Atlantique en 14 jours, qui ne semble pas trop les inspirer. Débarqués à New York, ils parcourent les États Unis de l'est à l'ouest , subjugué par la nostalgie des tribus indiennes décimées.

Passé au Mexique, à Ensenada, ils prennent à nouveau un porte-containers, direction le Japon et commencent à y prendre plaisir à ces traversées en cargo et aux changements de fuseaux horaires.....Arrivée à Yokohama, "le mariage détonnant d'une conscience et d'un monde", en dit Viel qui y vient pour la première fois.......



Les deux compères alternent les chapitres, exprimant leurs propre ressentis sur les étapes à tour de rôle. Deux superbes écrivains, deux personnalités et deux styles différents, mais ici, alors que Garcin est dans son élément, la prose très particulière de Tanguy Viel a disparu dans le contexte "voyage", c'est une autre prose, un autre écrivain . Garcin est un grand voyageur, qui a déjà presque parcouru la totalité de ce tour du monde, alors que le sédentaire Tanguy découvre beaucoup de choses pour la première fois. Un voyage qu'ils vont vivre comme "un lent travelling* qui dans sa lenteur même pénètre comme une pluie fine dans le sol de chaque kilomètre parcouru", dans le sens qu'ils vivent le temps et l'espace présents, en ne prenant pas l'avion, utilisant des moyens de transport à vitesse humaine , sans but touristique. Une sensation confirmé par le Bouddha du musée nationale de Shanghai qui les yeux fermés leur murmure " le temps qui passe est un long travelling et qu'il faut apprendre à l'accompagner dans la nécessaire impermanence du monde."



Ce livre n'est pas un carnet de voyage, plutôt une ballade de 100 jours dans le temps et l'espace. "Un abondon quasi végétal à l'espace .... une photosynthèse " le définit Garcin, un défi que je trouve réussi avec de jolis photos en noir et blanc très simples, à la fin de chaque chapitre.



Un grand merci aux éditions J.C.Lattés et NetGalleyFrance pour l'envoie de ce livre.

#Travelling#NetGalleyFrance





*Mot anglais (cinéma). Mouvement d'une caméra qui se déplace dans l'espace.





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La fille qu'on appelle

Quelques lignes suffisent pour reconnaître le style particulier de l’écriture de Tanguy Viel, même cinq ans après Article 353 du code pénal. C’est le même phrasé, la même mélodie.



C’est aussi avec le même procédé que dans son roman précédent que l’on découvre l’histoire, pour un sujet tout autre : Laura est au commissariat pour porter plainte. Elle déclare avoir subi l’emprise d’un homme politique connu, promu de la mairie au ministère. S’il n’y a pas eu viol à proprement parler, puisque jamais la jeune femme n’a pas clairement dit non, elle n’a pas eu le choix et veut en convaincre ses interlocuteurs. C’est d’autant plus difficile que cette jolie fille a posé quelques années plus tôt dans un de ces magazines que l’on ne peut atteindre dans les kiosques que si l'on est grand ou dressé sur ses pointes de pieds, et plus récemment, sa plastique parfaite a orné les panneaux publicitaires de la ville.



Ce sont des prédateurs, des hommes puissants qui tirent les ficelles. Avec la question sous- jacente : est-ce le pouvoir qui génère les prédateurs ou est-ce cette appétence de la prédation qui les mène au pouvoir ?





Le mécanisme de l’emprise qui est exploré avec beaucoup de finesse, mais le roman ne se limite pas à ça, car c’est aussi l’histoire d’une vengeance spectaculaire, qui va laver l’affront mais aussi dévoiler la pudeur d’un amour filial mis à mal pour de mauvaises raisons.



Belle critique du cynisme des hommes de pouvoir mus par leurs instincts les plus bas et démonstration de la complexité de la notion du consentement.


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Article 353 du code pénal

Enfin, j'ai pu découvrir l'objet de tant de critiques élogieuses !

C'est d'abord la curiosité qui a motivé l'empressement pour me procurer ce livre.

Tanguy Viel : j'ai " fait sa connaissance " il y a quelques années avec "Paris- Brest", j'avais bien aimé.

Mais là, une telle expression de son talent me laisse sans mots !

... et, c'est gênant quand on veut écrire une critique !



En vérité, je suis sous le choc, envahie par l'émotion face au magnifique plaidoyer d'un homme simple, Kermeur , ouvrier de l'arsenal de Brest ,sans emploi désormais et face à un juge pour une affaire de meurtre.

Kermeur est un homme simple et il ne va pas chercher à se dérober; Il va se présenter au juge avec ses mots à lui, suivant sa pensée directe, parfois brute, sans faux-semblants et peu à peu, sous la simplicité ,l'auteur laisse percevoir toute la profondeur et l'humanité de cet être granitique ,cet homme dont le récit va droit au coeur car il a en lui la force des sages.



C 'est un huis clos rendu vivant par le style : on sort des sentiers battus de la narration ,on épouse totalement les méandres de la pensée de Kermeur qui peu à peu invite le juge à partager son univers ,ses pensées, ses convictions . le juge, et donc le lecteur...

Quant à l'article 353 , il apparaît seulement en conclusion.

Mieux valait donc en ignorer le contenu pour ménager le suspense même si "nul n'est sensé ignorer la loi "!



Puis, comme pour tout petit bijou ,il faut un écrin et l'auteur a choisi pour cela la rade de Brest et la beauté sauvage de la presqu'île ,le pays de Plougastel et de Crozon. Des zones encore relativement préservées du béton, protégées par la loi littoral mais outre l'intérêt de la fiction, ce récit met l'accent sur le combat sans fin qui doit perdurer pour préserver la beauté du lieu.

Cela dit , le récit de Tanguy Viel offre bien sûr quelques ponctuations poétiques inspirées par la beauté des paysages et surtout par la lumière exceptionnelle qui baigne le pays d'Iroise ,là où naît l'océan...



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Article 353 du code pénal

Parce qu’au cours d’une partie de pêche au large de Brest, il a jeté et abandonné un homme à la mer, le narrateur Martial Kermeur a été déféré devant un juge. Il est auditionné, mais, dans le huis clos qui le place face à lui-même autant qu’au magistrat, sa confession se mue en implacable réquisitoire, et, sous les traits du meurtrier, se profile bientôt la victime d’une insupportable machination. L’on ne devient pas assassin du jour au lendemain. Victimes ou coupables, tout est parfois question de point de vue...





Son quasi monologue s’ouvre sur l’horizon modeste d’un ouvrier de l’arsenal de Brest, horizon encore raccourci par quelques vents contraires : opportunité manquée, divorce, chômage, et voilà notre homme seul avec son fils de onze ans et une prime de licenciement, de quoi investir dans un bateau de pêche et enfiler le ciré jaune, seule reconversion plausible dans cette région sans avenir économique. C’est dans cette grisaille que surgit une perspective inespérée, en la très avenante personne d’Antoine Lazenec, un promoteur immobilier vendeur de rêve et de standing, plein de projets dynamisants que plus personne ici n’aurait osé imaginer. Séduit comme beaucoup d’autres par la promesse d’un « Saint-Tropez du Finistère », Kermeur lui confie tout son argent. Le temps passe, mais aucun complexe immobilier ni touristique ne sort de cette terre fatiguée, usée jusqu’à la moelle par les vents et les flots.





Comme souvent les victimes de grosses arnaques, si bien prises à leurs espérances qu’elles préfèrent s’enfermer dans le déni malgré les évidences, les pigeons vont se laisser leurrer des années durant. Jusqu’à ce que les drames s’enchaînent, dans une cascade n’épargnant que l’escroc, plus que jamais plastronnant et occupé de son grand train, sans remords ni conscience dans son aplomb inoxydable et dans son intouchable toute-puissance. Enfin revenu de sa crédulité, dépouillé, trahi et humilié, mais surtout blessé au travers de son fils, victime collatérale, et désespérant d’une quelconque « justice naturelle qui ne tombera peut-être jamais », Kermeur décide, dans sa colère, d’entrer en révolution pour inverser, ne serait-ce qu’une fois, le sempiternel cours de l’histoire qui veut qu’une poignée de puissants menteurs et corrompus impose ses dés pipés à une majorité d’éternels perdants.





Se dévidant en longues phrases qui reflètent à merveille les efforts d’ordonnancement de la pensée, entre incrédulité, lassitude et sentiment de délivrance, d’un homme droit, mené au meurtre par les circonstances, le texte est d’une virtuosité confondante, chaque tournure renversante de justesse, d’originalité et de vraie beauté. Et c’est l’âme troublée, qu’à la fois dans la tête du prévenu et dans la peau de son juge, on l’observe tenter de tracer « la ligne droite des faits », en réalité « la somme des omissions et renoncements et choses inaccomplies » et « comme l’enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire » qui ont fait déraillé sa vie. A moins que le dénouement ne réserve quelque surprise… Coup de coeur.


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Article 353 du code pénal

Une lecture originale, de celles que l'on qualifie quelquefois d'OVNI littéraire.

Plus une confession qu'un roman, il s'agit d'une expérience de lecture avant tout tant le parti pris narratif est quelque peu déroutant.

Nous savons dès le début que Martial Kermeur a assassiné Antoine Lazenec, aucun doute n'est permis et l'homme qui s'assoit dans le bureau du juge ne nie pas les faits, il vient d'être arrêté et doit répondre aux questions et notamment la première de toutes à savoir, pourquoi ?

Invité à s'expliquer, Martial Kermeur va entamer un long monologue, son histoire commence six ans plus tôt quand il rencontre pour la première fois Antoine Lazenec...

Six années disséquées qui vont mettre à jour un engrenage implacable, celui qui peut transformer une personne simple en meurtrier, un homme confiant, certains diront crédule, en un être aigri et poussé à bout par la dernière goutte qui fait déborder un vase qui ne demandait qu'à déborder.

Ce qui rend ce récit hypnotique c'est que Martial Kermeur n'est justement pas un être colérique assoiffé de vengeance, il est au contraire foncièrement paisible et voudra croire jusqu'au bout qu'il vit dans un mauvais rêve qui ne peut que s'arrêter à un moment ou à un autre.

Ce qui rend ce récit fascinant c'est cette effroyable logique qui peut faire basculer un destin avec une telle évidence, une histoire vécue mille fois par tant de gens avant lui.

Ce qui est amusant c'est qu'à un moment de ma lecture je me suis fait la réflexion que je lisais une variation d'une fable de La Fontaine, et en tournant la page je suis tombé précisément sur cette évocation.

Ce récit dégage une certaine force en ce sens qu'il aborde un sujet sensible, est-il légitime de se faire justice soi-même ?

Ce récit est captivant car nous nous retrouvons à notre insu dans la peau d'un juge sans que l'on sache à quel moment c'est arrivé.

Pour conclure, la fin est brillante et inattendue en même temps qu'elle nous instruit, bravo monsieur Tanguy Viel !

Je n'ai par contre pas été emballé par le style, trop dense à mon goût et surtout surchargé de métaphores.

Je pense que cette lecture est de celles qui suscitera autant de ressentis qu'il y aura de lecteurs car derrière son apparente banalité, cette histoire est de celles qui incitent à l'introspection.
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Article 353 du code pénal

Dés qu'on évoque la Bretagne, je songe à des récits qui vous donnent le goût du large, bercés par une poésie fouettée d'air frais. Le roman de Tanguy Viel n'est pas de ceux-là.

L'univers presque monochrome et la brume maussade qui recouvre les 170 pages ne laissent que très peu passer la lumière, sinon celle de l'écriture, d'une poésie à vous réconcilier avec la désolation et la lassitude.

Ainsi présenté, c'est un roman bien sombre et pesant. Mais Tanguy Viel a su me charmer en trouvant les mots pour raconter un bateau qui sombre, un pauvre gars amarré à presque rien qui a tangué au gré des défaites avant d'être heurté par la cupidité humaine.

La construction habile et les zones d'ombre pointées du doigt et laissées à plus tard participent sans conteste à la réussite du bouquin mais j'ai surtout été séduite par la voix unique de Kermeur en pleine confession dans le bureau du juge.

Durant ces heures incertaines où le destin se noue, on est face au juge, mais on est surtout face à soi-même, nu comme un ver, c'est là que tout ressort, l'authentique, les mots, ceux qu'on a gardé trop longtemps au fond de la gorge. C'est court mais c'est émouvant de lire un homme qui a toujours renoncé mettre beaucoup d'abnégation et de sincérité ingénue à se dévoiler.



A la croisée de l'intime et du social, ce roman dont on comprend la signification du titre dans les dernières lignes est une pépite. Tanguy Viel a travaillé son personnage comme un matériau noble, mettant l'humain en valeur, même dans ses faiblesses.
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Article 353 du code pénal

« Il m'avait laissé seul à seul avec la parole, avec le désordre de la parole et mille pensées s'embouchant comme dans un entonnoir dont, peut-être, il essayait de comprendre les lois internes de sélection »



C’est ça, exactement ça, le dernier livre de Tanguy Viel : il nous laisse seul avec le désordre de la parole. La parole d’un homme.



Celle de Martial Kermeur, un rude finistérien, ancien ouvrier de l’arsenal de Brest qui a tout perdu dans une arnaque immobilière : sa femme, l’admiration de son fils, son vieil ami, sa prime de licenciement substantielle, sa propre estime de soi.



Martial Kermeur, un brave homme - un homme brave qui après tous les coups subis relève la tête, part en mer avec le responsable de tous ces malheurs et le tue.



Martial Kermeur, un meurtrier. Un meurtrier qui se livre sans détour à son juge. Martial Kermeur, un homme bouleversant.



Toute la puissance, toute la force du livre est dans cette parole libre, bousculée, anarchique, parfois labyrinthique.



Une parole qui dit la Bretagne désolée par le chômage et le gros temps, la Bretagne venteuse et maritime des pêcheurs de la presqu’île, la Bretagne des petites gens qui sont aussi de grandes âmes, la Bretagne des taiseux qui soudain se dénouent à coup de whisky, la Bretagne des hommes rudes soudain attendris par le regard d’un enfant, la silhouette d’une femme aimée, le désespoir d’un vieux copain.



On est capté, pétrifié par la justesse des images. Par cette remarque sur la rade de Brest : « on sent qu’on peut y perdre son âme, en tout cas qu’elle glisse sans mal dans les branches des arbres, dans le camaïeu de vert qui borde l’eau et les murets de pierre, qu’elle est prête à se perdre dans l’étendue plane et les dunes pierreuses qui hésitent où finir »



Ou par cette formule lapidaire : « En un sens, la rade, c’est l’océan moins l’océan ».



Par la qualité de l’observation : ainsi celle des mouettes, guetteuses insatiables de poubelles qui obligent les finistériens à dormir jusqu’à l’aube avec leurs ordures.



Par de rares moments d’ironie gouailleuse : « je pouvais voir sa voiture de sport qui brillait dans le soleil puisque oui, voyez, il y avait du soleil – il y a du soleil ici quelquefois »



Mais là où cette parole libre atteint des sommets c’est quand elle s’attarde sur la communication entre les êtres. Ainsi quand Kermeur évoque un dialogue plein de non-dits entre lui et son fils : « Dans le silence on partageait bien assez nos pensées, quand le langage lui-même est inutile, puisqu’il n’y a rien de plus à dire, rien de plus à comprendre, du moins si comprendre c’est faire une phrase qui justement s’articule et s’éclaire avec des « donc » et des « alors » , mais non, comprendre là-dedans, j’ai dit au juge, c’est plutôt ressentir profondément, là, oui, là, et alors j’ai mis le doigt non pas sur le cœur, non pas sur le front, mais sur l’estomac, là, en dessous du plexus, oui, là, comprendre, ça fait une douleur que les hommes je vous jure, connaissent depuis l’Antiquité, sans trop savoir jamais si ça brûle ou pique ou détruit ».



Je peux relire cent fois des phrases comme celle-ci : elles me terrassent par leur force, leur opiniâtreté, revenant, insistantes et modestes à la fois, frapper où ça fait mal et où ça sonne juste. Pas besoin de « donc » et de « alors » pour être convaincu, atteint, bouleversé.



L’autre force du récit est que le lecteur s’identifie au personnage quasi muet du juge, dont parfois Kermeur, reprenant haleine, transcrit les rares propos, note les gestes ou les réactions.



Comme le lecteur, l’homme de loi reçoit cette parole brute qui n’est jamais une parole de brute, il écoute et se fait son intime conviction- comme le lui recommande l’article 353 du code civil.



Un face à face extraordinaire, qui fait du lecteur un juge en puissance. Une immersion dans la langue, le cœur, la pensée le « là » -coup sous le plexus- d’un homme, d’un homme brave, d’un homme vrai.



Un tour de force. Un très grand livre !













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Article 353 du code pénal

Attendu que, lors d'une partie de pêche en mer l'accusé Martial Kermeur passa malencontreusement par-dessus bord le dénommé Antoine Lazenec, promoteur véreux de son état,

Attendu que le macchabée du susnommé Lazenec se trouva dûment restitué par l'océan quelques jours plus tard,

Attendu que l'ami lecteur est en droit de se demander ce que les individus précités pouvaient bien faire dans cette galère,

Le désigné Martial Kermeur est déféré ce jour devant le juge et sommé de revenir sur les circonstances précises des faits qui lui sont reprochés.



Ainsi donc voici le témoignage de Kermeur.

Face au magistrat tout ouïe, il conte les années poignantes qui précédèrent le drame. Les petites misères, les regrets, les espoirs, et la vie qui lentement bascule.



Son récit sincère et désespérément lucide sonne comme une confidence rédemptrice où, sous la plume dense et précise de Tanguy Viel, la parole se structure, s'émancipe, et défile sans trêve comme le ressac ininterrompu de l'océan qui forgea l'existence de cet homme meurtri.



Il faudra patienter jusqu'à l'épilogue inattendu de ce huis clos judiciaire pour en comprendre le titre insolite et si peu romanesque. « Article 353 du code pénal » est bien un roman pourtant, un roman fort, un roman social et intime sur fond de déclin économique et d'escroquerie porteuse d'espoir.



« Je me demande si mon livre n'accomplit pas un fantasme collectif ! »

Sur ce point aussi je vous donne raison Monsieur Viel, mais libre à chacun d'en juger… selon son intime conviction.

Ceux qui ont lu comprendront.




Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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La disparition de Jim Sullivan

"L'Amérique, l'Amérique, je veux l'avoir et je l'aurai..."



En adaptant en 1970 le tube de Christie "Yellow River", Joe Dassin a recouru pratiquement au même stratagème que Tanguy Viel avec "La disparition de Jim Sullivan". Tous les deux ont pris un thème très américain, pour le traiter d'une façon très française.

Et tout comme pour Joe Dassin l'Amérique est la terre de toutes les promesses, pour Tanguy Viel c'est un pays d'où sort la plupart des romans lus dans le monde entier, ce qui est, convenez-en, le rêve de tout écrivain.

Le but de Tanguy Viel est donc écrire un roman "typiquement américain" avec tous ses ingrédients, clichés et poncifs, mais son livre n'est pas juste une parodie. Il y a aussi de ça, car on le lit en souriant, mais c'est surtout une étude de ce qui est nécessaire pour fabriquer un "bon" roman américain susceptible de plaire. Ce qui nous met à mi-chemin entre une parodie et un hommage. Mais c'est avant tout un chouette exercice de style : quelque chose qu'on ne trouve que rarement dans un "vrai" roman américain. Peut-être que les auteurs américains se prennent trop au sérieux pour cela, qui sait...?



Quel est donc le brûlant secret du roman américain et de son succès international ? de ses traductions en toutes les langues imaginables, et de ces quatrièmes de couverture alléchants qui nous avertissent qu'on tient entre nos mains "une oeuvre dont la portée universelle dépasse les frontières", ce qui est, malheureusement, rarement le cas avec la production française ?

Ha ! Dans le style : "cela devrait se passer quelque part aux alentours de Detroit", et "un nom comme Dwayne Koster pourrait convenir à mon personnage", Viel construit peu à peu son récit en recourant au conditionnel et au futur. C'est donc davantage une genèse de roman, mais l'histoire de Dwayne en ressort comme sur un palimpseste, et elle a bien un début et une fin. Et même quelques prémices, car dans un bon roman américain, un petit saut dans l'histoire familiale est de mise, comme vous l'aviez certainement remarqué pendant vos lectures américaines...



Alors, jouons le jeu : on va d'abord deviner l'âge et le métier de Dwayne, puis sa situation familiale, et vous aurez un bonbon pour chaque bonne réponse !

Je vois déjà les mains se lever... Oui, ceux qui ont opté pour un quinqua divorcé qui enseigne la littérature à la fac ont trois bonbons d'un coup ! Ceux qui osent timidement avancer que sa spécialité pourrait être Herman Melville vont probablement garder le paquet, mais ce n'est pas fini...

Bien sûr que Dwayne aura une maîtresse (un bonbon pour avoir deviné où ils se sont rencontrés), et sa femme aura un amant. Elémentaire, mon cher Tanguy ! Cet amant, qui ça pourrait bien être ? Si, à tout hasard, l'idée d'un collègue prétentieux de la fac vous effleure l'esprit, il va doucement falloir dégrafer votre pantalon, car tous ces bonbons ne peuvent pas rester sans séquelle.

Comment régler la situation et donner une petite leçon à son rival, sans s'empêtrer dans une histoire politico-mafieuse qui ne présage rien de bon ? La question reste rhétorique, car j'ai pitié de votre ligne et de votre dentition. Mais si vous êtes amateurs du roman américain, une chose basique de ce genre ne devrait pas... bref !



Mais que Jim Sullivan vient-il faire dans tout ça ? C'est le chanteur préféré de Dwayne, voilà ! Il est de bon ton de rajouter un personnage "réel" dans la fiction américaine, et Jim, qui a mystérieusement disparu en 1975 dans le désert du Nouveau-Mexique, au bord l'autoroute de Santa Rosa, est tout simplement idéal pour que Viel puisse finir son histoire de la façon dont il la finit.



"There is a highway

telling me to go where I can

Such a long way

I don't even know where I'm..."



... chantait (vraiment) Jim, avant d'être probablement enlevé par les extraterrestres, et c'est aussi le sentiment global que me laisse le livre.

C'est amusant et Tanguy Viel réussit son exercice avec brio, mais quelque part on se demande à quoi tout cela a servi. Je ne saurais dire... mais une chose est certaine ! Si les extraterrestres ont enlevé Jim afin de posséder un spécimen pour étudier tous les clichés et poncifs de la country music, ils n'ont pas raté leur coup !

3/5. C'est drôlement bien écrit, ça vaut quand-même une lecture, mais ce n'est pas "une oeuvre dont la portée internationale dépasse les frontières".
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Article 353 du code pénal

Si l'on compare ce roman à un monument littéraire, disons alors que ses vices de construction se révéleront, selon le lecteur, fatals à la lecture, ou au contraire insignifiants. Bâti sur un solide quasi-monologue, cimenté par une plume sûre, enlevée, soutenue par des phrases qui s'étalent comme des pensées trop longtemps retenues, parées de jolies images et tournures… il repose sur des fondements juridiques instables qui, avec un tel titre en couverture, menacent de faire écrouler l'ensemble. En tant que lecteur, vous serez donc seul juge : L'édifice va-t-il selon vous en pâtir et s'écrouler ou bien, parce que vous trouvez le narrateur sympa et le reste du récit bien planté, laisserez-vous l'architecte de cette histoire s'en tirer à bon compte, avec l'intime conviction d'avoir passé un bon moment de lecture et que, finalement, justice a été faite…?





Kermeur, le narrateur, est l'invité d'une partie de pêche par le riche propriétaire d'un bateau de plaisance… quand en pleine mer, il jette son hôte à l'eau, abandonnant son corps aux poissons et autres monstres marins. Aucun doute ne plane sur sa culpabilité. Mais pourquoi et comment en est-il arrivé là ? lui demande désormais le juge d'instruction devant lequel il doit expliquer son acte. Or raconter, c'est justement ce que souhaitait Kermeur après avoir retenu trop longtemps ce qui le rongeait .





C'est dans le bureau du juge que se déroule tout le dialogue. Mais le récit de Kermeur est ailleurs : sur la côte, à son ancien travail, dans sa maison, son mariage, ses espoirs et ses rêves déchus, déchirés, piétinés. Au bord de la noyade, il suffoque, il étouffe et puis se livre, nous livre et décortique, pour notre plus grand plaisir, l'enchainement de faits et sensations ayant causé son geste fatal et désespéré - que jamais il ne (re)nie. Aux rares interventions du juge succèdent des réponses fleuves de l'accusé, captivantes, qui finissent toutes par se jeter dans l'océan où a péri la victime, bien à sa place dans ce panier de crabes. Même si la note menace d'être salée.





Car n'existait-il pas d'autres solutions ? Peut-il y avoir de bonnes raisons de tuer, de se faire justice soi-même ? L'accusé lui-même n'y croit pas vraiment. le lecteur, qui peut-être s'est attaché un peu à lui, comprend pourtant ses envies de meurtre, faute de pouvoir cautionner un passage à l'acte, qui rendrait acceptable que tout le monde puisse tuer tout le monde. Mais c'est au juge, finalement, qu'il appartient de rendre une ordonnance motivée, orientant la suite de l'affaire vers un non-lieu ou un jugement. C'est alors que l'auteur part en vrille dans un scénario final juridiquement abracadabrantesque, pour un effet de style juridique et dramatique dispensable.





Si le but était d'amener le lecteur à juger Kermeur à la place du juge, en son âme et conscience, il existait certainement d'autres moyens plus vraisemblables et réels. Alors le lecteur devra s'inspirer du mal nommé article 353 du Code [de procédure] pénale, qui en appelle à l'intime conviction des jurés d'Assises (et non du Juge d'instruction…) et l'appliquer à sa lecture : Est-ce que le final d'une histoire, ancrée dans la réalité, doit être plausible pour que l'histoire ait un sens ? Ou l'auteur peut-il dénouer son histoire n'importe comment juste pour l'esbroufe ? Qu'est-ce que cela apporte à l'histoire ? Y-a-t-il une morale à en tirer ?





Au total, pas sûre que le titre qui ouvre le bouquin, et l'article de loi qui le clôture, rendent justice à ce roman qui demeure, par ailleurs, plus honorable que certains juges… Est-ce que j'ai pour autant envie de jeter ce livre à la mer ? Non, parce que j'ai pris mon pied tout le reste du récit, le style de Tanguy Viel valant le détour. Et car le lecteur, lui, peut juger un livre selon sa plus intime conviction ; Or la mienne me souffle que, si la fin m'a agacée, ce n'est pas un motif pour tuer la réputation de ce livre. Alors même s'il est coupable de ma déception, la peine devant rester proportionnée au crime, c'est sans rancune que je lui laisse 4 étoiles et sans honte que je vous invite-même à le lire pour vous forger votre opinion ! Lisez ce livre pour son récit, et ignorez tout à la foi le titre et la pirouette finale douteuse de l'architecte. Au moins en vous vendant ce livre, ses vices ne vous sont pas cachés, qu'ils soient de construction ou de procédure !





*** EDIT***

En parlant avec vous, je révise une partie de mon jugement : l'auteur a modifié le contenu réel de l'article, de manière à le plier de manière plus ou moins « cohérente » à son histoire, même si je trouve que le procédé n’est pas à la hauteur du reste.

La note ne change pas vu que je trouve toujours la fin trop facile (autant pour le romancier que pour ses personnages), dangereuse, trompeuse (pour le lecteur) et immorale.

Mais si je devais réécrire ce billet, je ne parlerais probablement plus de vice de construction.

En ce qui concerne la moralité de l'histoire de Kermeur… Ca demeure plus que jamais à chacun de s'en remettre à son intime conviction…!
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Paris-Brest

La marque de fabrique des Éditions de Minuit, sans savoir forcément la définir on l'appréhende assez vite, beaucoup de choses semblent se passer dans la forme, comme un canal souterrain aux effluves héritées du Nouveau Roman, à la saveur de recherche littéraire. Ici phrases longues et discours indirect calfeutrent le récit dans le monologue réflexif, tandis qu'une sorte de mise en abyme du roman familial écrit par le narrateur dans le vrai roman que l'on tient dans ses mains devient un élément qui parachève la tension. L'effet m'a semblé réussi. La famille n'en ressort pas grandie, plutôt glauque même à vrai dire cette famille. Un père impliqué dans la faillite du Stade brestois qui ne peut plus se balader dans Brest sans entendre siffler les insultes, une mère bourgeoise et hautaine qui n'aime pas les pauvres, et encore moins le Languedoc-Roussillon dans lequel ils iront tous deux s'exiler. Le fils narrateur reste à Brest quant à lui (avant de s'exiler lui aussi mais à Paris), renoue avec le fils Kermeur de mauvaise influence, et pour cause la mère Kermeur vit désormais installée comme bonne à tout faire chez la grand-mère du narrateur, veuve éplorée autant que consolée par l'héritage d'Albert, avec qui son idylle tardive s'est révélée vite fructueuse, pas moins de 18 millions (de francs). Roman noir, poisseux, pas vraiment transcendant pour son histoire à mon avis, mais que j'ai trouvé intéressant dans sa réalisation.



« Tout le monde devrait faire le point sur son histoire familiale, ai-je pensé,particulièrement un 20 décembre, c'est à dire un jour où il est important d'être soutenu dans l'épreuve d'aller passer Noël en famille, y compris les gens qui se disent heureux d'y aller, tandis qu'au fond d'eux-mêmes, comme tout le monde ils rêvent d'écrire un roman sur leur propre famille, un roman qui en finit avec ça, les veilles de Noël et les parenthèses mal fermées. »
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Article 353 du code pénal

Happé dans un huis clos, lessivé dans un typhon de mots, emprisonné dans un tourbillon de pensées. Esclave d'une tornade, comme une vulgaire feuille volante échouée un soir de tempête sur la rade de Brest.

Pas de répit pour bibi dans ce récit.



Et hop, par dessus bord le promoteur ! (et le résumé de l'intrigue au passage, c'est l'avantage quand on passe 92eme)

Martial Kermeur a certes des allures de tueur, mais surtout de grand personnage de littérature. Sa course à l'explication dans le bureau du juge l'incite à pousser sa pensée aux confins des notions de bien et de mal, du sens de la justice, portée par un langage chamarré d'images, d'expressions qui respirent la Bretagne, ou du moins les petites gens avec un grand cerveau.

le huis clos fonctionne à merveille, il amarre le prévenu dans sa réflexion. Dans un monologue sans fin et sans fond, Martial Kermeur fouille sa pensée comme un chercheur d'or assoiffé, relancé par les interventions minimalistes du juge, en souverain dont on se demande quelle est sa position. Si elle est bienveillante. Ou pas.



Un auteur qui souffle le chaud et le froid en ce qui me concerne : après avoir été très agacé par « La disparition de Jim Sullivan », me voilà plus qu'emballé par ce 353ème article du code pénal. Un grand roman, à n'en pas douter. Mais ça n'est que mon intime conviction.

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