À présent, elle devait se remémorer le chemin qu'empruntaient Carlo et Cheta. Il lui fallait retrouver le village dans l'obscurité. Elle s'éloignait dans la lande, et d'un monticule d'ombre surgit quelque chose qui lui bloquait le passage. Le dernier d'entre eux, le chat.
Rachaela ralentit son pas mais ne s'arrêta pas. Le chat la regardait. Son poil soyeux luisait à peine, ses oreilles n'étaient pas couchées. La reconnaissait-il ou allait-il l'agresser maintenant qu'elle s'était elle-même proscrite ? Était-il une sorte de sentinelle surnaturelle des Scarabae ?
Elle s'approcha de lui et tendit la main. Le chat la senti, et elle caressa sa tête de fauve.
- Tu es un monstre magnifique, dit-elle. Me laisserais-tu passer ?
Le chat s'écarta d'elle et s'en fut vers la pierre dressée, tel un fantôme charbonneux dans la nuit. Elle l'entendit qui griffait le sol, à quelque dix mètres de distance. Il ne s'intéressait plus à elle.

Etre ainsi épiée ne lui plaisait guère, mais elle décida que la situation n'avait rien d'étonnant ici.
Le plan de la Demeure lui échappait. C'était un kaléidoscope mouvant d'ombres et de verres teintés. En fait les pièces étaient bien plus sombres le jour que la nuit.
Chaque pendule qu'elle voyait ou entendait indiquait une heure différente. Chaque miroir était peint. Dans un couloir elle trouva une grande glace en cours d'occultation. La scène représentait avec un savoir-faire un rien compassé un paysage de bosquets et de fontaines, avec en fond des collines et des prés. Proprement rangé à côté du miroir se trouvait le matériel de l'artiste : une boîte de couleurs, une palette, des pinceaux et une petite bouteille d'essence de térébenthine, des chiffons.
Partout elle avait vu des tableaux, mais sans les étudier. Elle avait remarqué le sujet de l'un d'entre eux : une tête de bouc qui semblait jaillir du tablier ceignant le ventre d'une femme.
Ainsi donc ici rien n'était certain, ni le jour, ni l'heure, ni même les reflets de soi.
C 'était vraiment une maison de fous.
Un homme sortait des ténèbres, et il portait avec lui ses propres ténèbres.
Les dieux ne se souillent point par des exploits : cela nécessite des anges.
La femme était belle. D'une beauté généreuse. En dépit d'une silhouette mince et fragile, il émanait d'elle une capiteuse opulence qui trouvait son expression la plus achevée dans le désordre luxuriant de sa chevelure de miel. De miel aussi sa peau hâlée par le soleil d'été, nervures sur une feuille d'or les fines rides autour de ses yeux. Un anneau de cuivre brillait à sa main. Il y avait donc réellement un homme quelque part. Pas ici, en tous cas.
Certains tendaient des embuscades aux vivants, les trompaient, par pure jalousie, par vengeance, par haine pour quiconque bénéficiait sans effort d'une existence charnelle, mais d'autres tuaient sans le faire exprès, sans être sciemment responsable des morts qu'ils causaient en se réchauffant aux vies comme aux flammes d'un feu.
Dans les légendes de maints pays, le prophète se rend dans un désert de sable ou de neige, ou encore au sommet d'une montagne noire, puis annonce à son retour qu'il a vu son dieu. Je suppose que si un dieu existe, il se trouve à l'intérieur de l'homme, tel le diamant dans sa gangue. Je suppose également que les lieux désertiques ont le pouvoir de dissoudre, pour un instant ou à jamais, la boue et l'argile qui le dissimulent. Peut-être le prophète qui revient ne devrait-il pas dire : « J'ai vu mon dieu », mais plutôt : « Je me suis vu. »
De toute façon, le lecteur doit accepter l'idée que dans le Haut s'étend la terre, et que sur cette terre, il est une cité, à présent en ruine, et au-dessus de cette cité, un arc élevé et coloré que l'on appelle le ciel; et au-delà encore, une sorte de vide, aussi noir que la nuit. Il est essentiel de bien assimiler cette notion pour la simple raison que ce vide noir - l'espace - joue un rôle fondamental. C'est en effet de ce vide qu'est arrivé ce qui nous a forcés à vivre dans notre prison du Bas: l'Envahisseur.
Elle s'était montrée idiote, de la manière dont seul quelqu'un de purement intelligent et finaud pouvait être idiot, et elle percevait maintenant son idiotie.

Le plan de la Demeure lui échappait. C'était un kaléidoscope mouvant d'ombres et de verres teintés. En fait les pièces étaient bien plus sombres le jour que la nuit.
Chaque pendule qu'elle voyait ou entendait indiquait une heure différente. Chaque miroir était peint. Dans un couloir elle trouva une grande glace en cours d'occultation. La scène représentait avec un savoir-faire un rien compassé un paysage de bosquets et de fontaines, avec en fond des collines et des prés. Proprement rangé à côté du miroir se trouvait le matériel de l'artiste : une boîte de couleurs, une palette, des pinceaux et une petite bouteille d'essence de térébenthine, des chiffons.
Partout elle avait vu des tableaux, mais sans les étudier. Elle avait remarqué le sujet de l'un d'entre eux : une tête de bouc qui semblait jaillir du tablier ceignant le ventre d'une femme.
Ainsi donc ici rien n'était certain, ni le jour, ni l'heure, ni même les reflets de soi.
C 'était vraiment une maison de fous