Ça passe vite, le temps. Trop vite, ça nous laisse avec cette amertume et ce sentiment d’inachevé, comme un brouillon entamé et un peu raté auquel on s’habitue. Moi je ne me suis pas habitué. Je ne m’habituerai pas à la connerie humaine qui fout un putain d’océan entre nous, qui m’éloigne de ces notes chéries. Ouais parce que je ne te l’ai jamais avoué, mais je pourrais presque être sympa avec les tocards qui composent ton public tellement j’aime quand tu joues. Tu transcendes tout, comme quand tu étais gamin. Bien plus encore maintenant que tu maîtrises cette technique fulgurante dont tu rêvais. Enfin, je dis ça, je ne suis pas venu te voir depuis tellement longtemps. Depuis qu’on s’est perdus de vue, depuis que ces mots d’acier se sont logés entre nous et m’ont projeté hors de ton monde. C’est la vie, m’a-t-on dit. C’est bien moi, artiste bancal, complexé par l’aura monumentale du génie que tu es, de croire que la vie peut être autrement qu’une pute de bistrot, trop grosse et mal maquillée, de penser qu’on n’est pas obligé de blesser ceux qu’on aime. Enfin, c’est à peu de choses près ce que m’ont dit les psys qu’on me fout dans les baskets à longueur d’année. Ils me gonflent, comme si apprendre des bouquins de cases à cocher et coller leur nom sur une plaque leur donnait le pouvoir de décider de la vie d’un pauvre paumé qui va les payer toutes les semaines en pensant que ça va le sauver.
On ne se sauve pas du chagrin. (Le ciel et le sable)
C’est au moment où elle a murmuré un peu trop près de mon oreille qu’elle n’avait pas d’argent pour me dédommager de l’essence du détour, que j’ai éprouvé de la sympathie envers son mari. Ce pauvre gars avait peut-être, en fin de compte, eu raison de l’abandonner sur une aire d’autoroute à 100 km de Bordeaux. Avec sa main sur ma cuisse, glissant dangereusement vers mon entrejambe, j’ai vu l’embrouille venir. L’espace d’une seconde, j’ai compris ce que doit ressentir une fille seule dans un parking à 3h du matin. L’imminence de la catastrophe, à un pas de l’irréversible. Agir vite, sans panique, avant de se retrouver prise de force sur le capot de sa caisse, juste en dessous du panneau « interdit de tourner à gauche », avec le logo Mini Cooper qui s’imprime dans sa peau à chaque coup de reins de son agresseur. (Jocelyne)
J'enterrerai donc deux fois ma jeunesse aujourd'hui. Une première avec ma petite chienne dans les dunes qu'elle aimait tant, et une deuxième avec ma grand-tante dans le village de bord de mer où elle a passé la fin de sa vie.