La peur des miroirs, réédité chez Sabine Wespieser sous le titre Berlin-Moscou est tout à la fois la longue lettre d'un père à son fils, une confession très intime et un testament politique sur une vie de combats.
Les illusions perdues d'un intellectuel est-allemand, Vladimir Meyer, se sont fracassées sur le siècle. La chute du mur lui a coûté son poste de professeur. A l'amertume causée par les idéaux broyés s'ajoute le poids de son héritage familial. Sa mère Gertrude était une communiste juive allemande qui s'était réfugiée en U.R.S.S. pendant la guerre puis était retournée en RDA où elle travaillait comme agent de Moscou. Quand à son père, Vlady suppose qu'il s'agissait du mystérieux Ludwig, un juif polonais du 4ème Bureau de l'Armée Rouge. Il retrace sa longue quête pour son fils Karl qui lui bat froid.
A partir de cette saga familiale ancrée dans l'est de l'Europe, le romancier pakistanais Tariq Ali retrace presque un siècle d'histoire, des débuts du communisme à la réunification de l'Allemagne. La peur des miroirs est un roman très dense, riche d'une multitude de personnages aux doubles visages,qui nous emportent dans les capitales européennes, pendant la Révolution d'octobre, la guerre d'Espagne, la seconde guerre, la guerre froide, la réunification, même si le centre névralgique du roman reste Moscou, redoutable, impitoyable, écrasante.
La quête d'identité du personnage principal, l'exhumation des liens familiaux épars permettent à Tareq Ali de plonger le lecteur dans l'univers des services secrets soviétiques et de la machine de répression stalinienne. La peur de miroirs est cette peur larvée d'affronter la vérité, de soutenir son propre regard sur ses choix et son passé. « Regarde toi dans la glace » s'écrit la femme de Vlady.
Ali s'inspire de l'assassinat à Lausanne de l'espion soviétique Ignace Reiss, exécuté par le NKVD en 1937 après qu'il ait désavoué publiquement Staline. On retrouve donc dans ce roman foisonnant les figures de Lénine, Trotsky, Zinoviev, Staline mais aussi les noms des espions emblématiques de l'époque, Harold Philby, Richard Sorge, Sergeï Mikhailovich Spiegelglass…Un régal lorsqu'on s'intéresse à l'histoire des combats des premiers bolcheviques, au mécanisme des alliances, des double jeu, à la mise en place des ingérences et des purges. Ne reste plus qu'à lire Avis à mon exécuteur que Romain Slocombe a consacré à l'ami de Ignace Reiss, Walter Krivitsky ( "I was Stalin's agent") pour poursuivre cette éprouvante plongée dans le cloaque totalitaire.
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Ayant beaucoup aimé les quatre premiers volumes du "Quintet de l'Islam", je commençais de lire ce dernier volume avec un a-priori favorable. Présenté davantage comme un récit que comme un roman, et plus du tout comme un conte j'ai été un peu déstabilisée par une écriture plus journalistique que littéraire me rappelant un peu celle de Tarun Tejpal. Mais petit à petit je suis parvenue à rentrer dans l'histoire, qui nous plonge dans le Pakistan moderne, depuis la Partition de 1947, entre conflits ethniques, politiques et religieux avec la lente montée de l'intégrisme.
Tariq Ali nous propose une vision inhabituelle, décapante des maux de son pays à travers le regard de ses héros, quelque peu désabusés et qui prendra toute sa dimension dans l'oeuvre picturale de l'un d'eux, Platon, et ce avec un humour un peu particulier qui consiste à donner à son héros impuissant le nom du philosophe qui inaugura la notion d'amour platonique.
Au final, une belle découverte, même si l'écriture, efficace, pragmatique et quelquefois assez lourde n'en fait pas, à mon avis, une grande oeuvre littéraire.
De plus, à vouloir dénoncer de manière assez abstraite les maux dont souffrent nos sociétés libérales et dominatrices dans un regard pénétrant et souvent juste , Tariq Ali finit par tomber dans le travers qu'il dénonce, à savoir celui du parti-pris voire du préjugé, si ce n'est de la caricature. J'ai regretté le message que faisaient passer ses premiers livres qui dénonçaient les intolérances en faveur de la découverte et du dialogue des civilisations.
Mais comme le dit si joliment Nastasiabuergo, ce n'est que mon avis, c'est-à-dire pas grand-chose.
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D'une page de l'histoire de l'Andalousie, Tariq Ali nous offre ici un roman aux saveurs de fruits du Sud. Nous voici en 1499, à Grenade, l'archevêque a ordonné la destruction des ouvrages en langue arabe. Encore une fois, l'intolérance règne là où les religions , pendant des siècles, n'ont pas opposé les hommes. Pour qui a visité ce pays splendide, les traces d'un passé glorieux demeurent ( la Mezquita à Cordoue, par exemple). Dans ce roman dense, nous entrons dans la famille al-Hudayl, dont l'arbre généalogique figure en début de livre. Ils sont musulmans, fortunés, respectueux des traditions, mais s'interrogent sur l'avenir : faut-il renier sa foi pour rester en vie? Fuir? S'opposer aux chrétiens? Ce livre fait partie d'un cycle romanesque " le quintet de l'Islam". il en est le troisième volet.
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Le Pakistan n'est jamais nommé (l'auteur utilisant «Terrepatrie», ce qui est assez émouvant, tout en citant Lahore) mais, en fait, c'est le personnage central d'un roman de gare à l'eau de rose (les amours se font et se défont sans jamais tomber dans le vulgaire) qui aurait été quelque peu insipide s'il n'y avait le talent, que dis-je, le génie d'un auteur qui, malgré un long et lointain exil, a su décrire, à travers des faits du quotidien, sa passion pour son pays natal...secoué par les dictatures, pour la plupart militaires, les répressions tout particulièrement contre les démocrates, et pays enfermé dans une société engluée dans ses traditions et une religiosité exploiteuse et souvent meurtière avec ses fanatiques. L'histoire démarre au sein d'un groupe de jeunes formé durant la scolarité dans les années 60...La vie les sépare et on les retrouve éparpillés, qui à Londres, qui à New York, qui à Paris, qui en Chine, qui partout...
Quelques décennies plus tard, le téléphone sonne chez Dari, le narrateur, écrivain célèbre (et célibataire) installé à Londres. Un de ses anciens amis, Platon, peintre jouisseur et anarchiste sur les bords, devenu célèbre -celui-ci resté au pays malgré tout- ui demande d'écrire sa vie. Une sorte de dette d'honneur. Commence alors une recherche des amis perdus de vue.
Dari les rencontre il revoit ainsi Jindié «le Papillon d'or», son premier et grand amour de jeunesse, fille d'un riche savetier d'origine chinoise, mariée à son ami Zahid, urologue réputé...ayant soigné Dick Cheney, ce qui n'est pas peu. Il rencontre Zaynab, riche héritière...mais seulement après la mort de frères qui l'avait «mariée au Coran» afin qu'elle n'hérite pas. Il croise Yasmine, la «Coquine», jolie jeune femme, épouse d'un officier supérieur mais qui faisait les bons moments d'officiers généraux (avec l'assentiment de son mari)....obligée de jouer à l'agent de renseignement du Drs du coin. Réfugiée en Europe, elle déballe tout...et elle sera assassinée par son époux et ses deux enfants qu'elle avait déshonorés, dirent-ils.
Il ira même en Chine, rechercher et retrouver le frère de Jindé, «Confucius», parti faire la «révolution culturelle» et que l'on n'avait plus revu.
A travers toutes ces rencontres, c'est en fait le portrait du Pakistan qui est dressé : Un portrait certes dévastateur ( avec un certain humour qui fait passer les signes les plus tristes) mais pour des raisons totalement différentes invoquées habituellement par les observateurs extérieurs, surtout occidentaux.
Bien sûr, Platon est mort et tous se retrouveront au pays natal pour inaugurer un musée portant son nom (financé par Zaynab). On y dévoile aussi la dernière œuvre : une toile gigantesque intitulée «Les quatre cancers de Terre patrie»
Avis : Un livre autobiographique ? En tout cas, incontournable d'autant que cette fois-ci, on en apprend énormément sur le Pakistan, certes, mais aussi sur nous-mêmes et sur nos sociétés. Facile à lire car l'auteur est un conteur formidable, drôle et imaginatif, satirique et très bien informé.
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Dernier volet du Quintet de l'Islam, Tariq ALI nous conte l'histoire des musulmans du Pakistan, jamais nommé comme tel, mais surnommé joliment et tendrement de "Terrepatrie". Les conséquences de la Partition de 1947 sont traitées sous le regard acéré de cet auteur.
Ce roman se présente différemment encore des quatre précédents, se révélant beaucoup plus difficile d'accès pour moi.
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Tariq Ali nous présente le premier volet de son Quintet de l'Islam.
Sicile - 1153
Un sultan à Palerme retrace cette époque où la cohabitation entre les "croyants" (musulmans) et les "nazaréens" (chrétiens) était possible grâce au roi chrétien Roger, alias Emir Rujari. La culture et le savoir musulmans l'attirent.
Géographe revenant d'un long périple, Idrisi, érudit, savant, est encouragé par l'émir dans le développement de ces connaissances. A la suite de ce long voyage, il s'apprête à finaliser son livre Géographie Universelle. A travers ce principal protagoniste "croyant", nous assistons aux mœurs et coutumes de cette époque.
Malheureusement, l'Emir Rujari est atteint d'un mal, qui le fait décliner. Ce subtil équilibre entre croyants et nazaréens semble se fendiller...
Ce roman d'aventures nous plonge dans un monde et une époque peu connus.
Challenge Multi-Défis 2019
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Ce livre est le troisième d'une trilogie (LE QUINTET DE L'ISLAM). Très beau roman qui se passe à Grenade (Espagne) (fin d'année 1499). Fin de la civilisation d'al Andalus pendant laquelle les trois religions monothéistes pouvaient vivre en harmonie dans le respect de l'autre et de ses différences. On assiste à la rupture de cette harmonie des peuples au nom de la prédominance d'une seule religion en suivant les combats d'une famille musulmane pour continuer à vivre en paix selon sa religion, sa culture et ses valeurs sur la terre de ses ancêtres. Lecture fort agréable pour les amoureux de l'Espagne (Andalousie-Grenade...) Auteur à découvrir.
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Tout est à lire chez Naomi Klein.
Ce livre dévoile ou confirme de manière étayée les dessous de la guerre en Irak. Pas de discours creux sur de supposées motivations démocratiques ou autres mensonges caractérisées comme chez certains de nos "intellectuels français" pour justifier ou atténuer l'intervention américaine.
A lire.
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Un excellent livre historique pour mieux comprendre, à un moment et un endroit donnée, les rapports qu'ont pu avoir le peuple musulman et le peuple chrétien. Il contient également un débat intéressant sur l'origine de ses deux religions.
L'aspect romancé du livre le rend agréable à lire bien que par moment on apprécierait avoir d'avantage d'informations sur certains événements et moins de rebondissement dans la vie amoureuse et sexuelle de Idrisi (le personnage principal).
Dans tout les cas il reste un bon livre dont je conseille la lecture.
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C'est le 3ème livre de Tariq Ali que j'ai lu, après Un Sultan à Palerme, qui se passe en Sicile au XIIè siècle
sous le règne du roi normand Roger II, et L'ombre des Grenadiers, où l'action se passe en Andalousie pendant la Reconquista. Cette "série" comporte deux autres volumes Le Livre de Saladin
et La Femme de pierre qui forment une oeuvre consacrée aux relations entre chrétiens, musulmans et juifs dans le bassin méditerranéen au cours des siècles. Ce Quintett de l'Islam nous donne la vision d'un personnage appartenant à la communauté musulmane, dont le destin est lié à celui des autres religions et qui est habitué à vivre en contact avec plusieurs cultures. Ces personnages vivent des moments historiques (la chute de Grenade, la cour des Normands en Sicile) mais nous font aussi partager leur vie quotidienne, leur questionnement de croyants et leur engagement dans la société où ils vivent.
Le dernier opus, La Nuit du Papillon d'Or, m'a beaucoup déçue, je ne l'ai même pas terminé.
Les qualités des premiers, dont le ton est romanesque, épique, nostalgique, avec toutes les épices et les parfums de l'Orient, m'avaient enchantée. J'y retrouvais les aventures et la poésie des Mille et Une nuits.
Le Papillon d'Or est dépourvu de ce charme, sans doute parce qu'il se passe à notre époque, mais les personnages sont tous complètement désenchantés, dépressifs, désorientés par leur mode de vie occidentalisé.Le rêve de fraternité entre civilisations et cultures semble vain et stérile.
On dirait que l'auteur n'y croit plus. Entre temps le 11 septembre à eu un impact même sur l'écrivain qui se plaisait à imaginer un monde où le respect et la tolérance sont des valeurs pour tous.
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Troisième volet de cette grande fresque sur les relations entre le monde chrétien et le monde musulman.
Tariq ALI nous propose d'ouvrir une porte sur l'histoire de l'Andalousie (Grenade), fin XVème siècle, pendant lequel le subtile équilibre entre la civilisation arabe et le monde chrétien vient à se rompre. Les Chrétiens ont reconquis la péninsule ibérique lors de la Reconquête. Nous sommes à l'époque où l'Inquisition monte en puissance. L'Archevêque de Grenade veut éradiquer les hérétiques...
Une lecture très enrichissante sur un pan de l'histoire peu connu finalement !
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Je viens d'entamer la lecture de cette série de cinq romans écrit en anglais par Tariq Ali. "Le Quintet de l'Islam" veut corriger des erreurs trop souvent répandues par des ignorants, sur la culture musulmane. C’est en entendant, au moment de la guerre du Golfe, un commentateur affirmer que les Musulmans n’avaient pas de culture que Tariq Ali a décidé de son Quintet de l’Islam. Les cinq romans qui le constitueront se passent chacun à un moment où éducation et culture étaient synonymes d’Islam, en parfaite coexistence avec le monde chrétien.
Ne reste-t-il pas des monuments dont l'architecture nous force à l'admiration, un peu partout dans le monde, je ne donnerai pas d'exemple pour ne privilégier aucun.
On lira avec intérêt, l’article consacré aux « sciences et techniques islamiques » sur Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Sciences_et_techniques_islamiques
France 2 lors de ses émissions religieuses, a présenté un très beau documentaire lors du temps consacré à l'Islam. Il s'agit de l'Islam en Sicile, malheureusement impossible à revoir sur le site de la chaîne. Mais un passionné des blogs propose sur son site l'enregistrement de ce film : http://attarikh.over-blog.com/
à suivre lorsque j'aurai terminé ce premier tome.
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1899, dans un palais d’été sur les bords de la mer de Marmara une famille d’aristocrates ottomans se réunit. Parmi eux, un ancien diplomate, un officier, un armateur, un homme d’affaire, un baron prussien, mais aussi leurs épouses, sœurs, serviteurs, le barbier convié pour la circoncision d’un enfant….La construction du roman est habile : chaque personnage raconte son histoire au cours d’un chapitre imbriqué dans la progression. Le pivot : la Femme de Pierre,( une sculpture, un rocher ? une statue antique ? ) à qui traditionnellement les femmes se confient. La narratrice
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Tout commence par un autodafé dans la ville de Grenade : tous les livres en langue arabe sont détruits, au grand dam de la population et des savants de tout bord. La culture arabe (et la science) étant alors au fait de sa splendeur.
En cette fin de XVe siècle, l’Espagne connait un tournant dans son histoire. Après cinq siècles de cohabitation, parfois difficile, entre les trois religions monothéistes, le culte romain prend le dessus et impose ses règles aux autres communautés. Ainsi, musulmans et juifs doivent abjurer leur foi et se faire baptiser au risque de perdre leurs biens et surtout leurs vies.
Pour la famille al-Hudayl, dirigeant un village près de Grenade depuis des siècles, les questions se posent et ce d’autant plus qu’une tante, exilée depuis longtemps vient de rentrer pour mourir dans son foyer. Les secrets de famille se dévoilent, tout comme les caractères de chacun.
Malheureusement l’auteur s’égare entre les différents enjeux : familiaux, religieux, politiques et devient vite manichéen à la seule différence de nombreux romans « occidentaux » que les musulmans sont les gentils et les chrétiens les méchants. Sans oublier les nombreuses discussions des personnages qui parlent, parlent d’agir et oublient de le faire.
Autrement dit, je suis passé complètement à côté du livre, malgré le sujet qui m’intéresse et ai de meilleurs souvenirs du "Livre de saphir" de Gilbert Sinoué et des romans noirs de Caroline Roe qui ont les mêmes décors et mêmes thèmes mais me semblent mieux réussis.
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Quatrième volet du Quintet de l'islam, Le Femme de pierre se déroule en fin de XIXème siècle, à Istambul, au bord de la mer Marmara.
Le femme de pierre, qui est le cœur du roman, est une grande sculpture païenne, au pied de laquelle se sont recueillies et se recueillent encore des générations de femmes, d'hommes et d'esclaves. Au fil des confidences, nous assistons à la décadence de l'empire ottoman, dans une dynamique romanesque qui nous aspire.
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Un père, intellectuel berlinois, dissident actif pendant la RDA, démis de ses fonctions d'enseignant d'université après la réunification de l'Allemagne, raconte à son fils, sous forme de lettre, les années qu'il vécut avec son épouse, pendant le communisme en Russie, le stalinisme avec les Procès de Moscou, les assassinats fomentés, voire ordonnés, par Staline, la montée du nazisme avec Hitler, du fascisme en Espagne et la vie en RDA après la guerre. Nombre des personnages cités dans le livre ont réellement existé, tels Ludwich, de son vrai nom Ignace Reiss, espion soviétique qui opéra dans des pays tiers dont il était étranger, assassiné en 1937 sous les ordres de Staline ; Richard Sorge, révolutionnaire et journaliste allemand, qui espionna le Japon pour l'URSS ; arrêté par les Japonnais, il fut pendu en 1944.
Très beau livre, passionnant lorsqu'on s'intéresse à l'Histoire et d'une écriture agréable. Tariq Ali est, pour moi, un grand écrivain.
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Trop souvent, me semble-t-il, on a tendance à essentialiser la politique des États, surtout de ceux qui sont nés d'une idée – ex. Israël, le Pakistan et naturellement l'Union Soviétique – au lieu de l'historiciser. La question restant très populaire, n'est-ce pas camarades ?, de la primauté des facteurs socio-économiques ou bien de la personnalité des leaders dans la dynamique historique, le poids de l'héritage de longue durée ainsi que les contingences de l'actualité dans le déroulement des événements, dans leur analyse politique, et donc dans les actions de pouvoir conséquentes paraît systématiquement minoré. Aussi, depuis toujours, a-t-on entendu le débat houleux sur la question de savoir si le soviétisme correspondait bien au dessein de société appelé de ses vœux par le marxisme, ou, plus souvent encore, à quel moment et suite à quel Secrétaire général du PCUS il s'en était éloigné.
Mais se souvient-on seulement que les Soviets ont précédé les bolcheviks, que lors de la sortie de Lénine du fameux « wagon plombé », ses analyses politiques étaient considérées comme pure folie non seulement aux Soviets où les communistes étaient minoritaires mais également parmi ses camarades ? Quelle avait été la réception des « Thèses d'avril » chez les leaders révolutionnaires – hormis Rosa Luxemburg et de rares autres exceptions ? Quels ont été les véritables bouleversements d'opinions, outre que de politiques entre Février et Octobre (1917), lors de cette réalisation unique d'un « État-Commune », lesquels ont permis d'atteindre un très vaste ralliement de l'opinion publique russe tout entière autour de Vladimir Ilitch ? Qui se rappelle ses dernières paroles, dans cet article intitulé « Mieux vaut moins mais mieux » (2 mars 1923) où il dresse un bilan si impitoyable de l'expérience de six années de révolution et de guerre civile, tellement poussé et dur dans l'autocritique que l'on n'a aucun mal à comprendre qu'il ait failli être censuré, occulté, gommé ? Qui songe que le dernier souhait d'un Lénine désormais quasi paralysé et incapable de parler fut d'échanger une dernière fois avec son grand rival, le vitupéré leader des mencheviks Julius Martov – seul homme qu'il tutoyait et qui le tutoyait – l'ami qui venait de mourir malgré les médicaments et les soins qu'il lui avait fait prodiguer ?
Ce livre est présenté à tort comme une biographie de Lénine. Je l'ai choisi comme tel, et parce que j'apprécie beaucoup Tariq Ali. Mais d'une biographie il ne contient guère que les pages sur sa jeunesse, endeuillée par la pendaison du frère aîné Sacha, et le chapitre, pudique et discret, concernant sa probable liaison avec Inessa Armand. Par contre, il représente une somme de l'Histoire des mouvements révolutionnaires européens (et russes) entre la moitié du XIXe siècle et la mort du héros. C'est une Histoire intellectuelle et factuelle face à laquelle se présentent des dilemmes bien réels et très actuels que Lénine s'est posés et qui en ont guidé la pensée et l'action. Ils sont énoncés dans le sous-titre : acceptation ou refus du terrorisme – qui était le mode d'action privilégié des anarchistes – point de rupture de la Ière Internationale ; pour ou contre la Première Guerre mondiale – point de rupture de la IIe Internationale ; pour ou contre l'exportation de la révolution par la guerre en Europe (via la Pologne et l'Allemagne) – question qui a été caricaturée ensuite car associée à Trotski, mais qui, parmi d'autres de nature strictement militaire, était absolument pertinente dans les années 1919-21 ; questions concernant l'amour, le féminisme, la conception de la famille dans la société communiste, compte tenu des personnalités féminines de tout premier plan parmi les révolutionnaires ; question du bilan de la révolution, en particulier du rôle de l'État-parti... Sur chacun de ces « dilemmes », Lénine est mis en présence d'idées, d'opinions, d'analyses contradictoires, émises par ses contemporains ou ses prédécesseurs qu'il lisait avec acharnement – Lénine était un lecteur compulsif – et parmi lesquelles il parviendra à imposer les siennes... ou non ! ou dans une certaine mesure, ou d'une certaine manière...
On sort donc de cette lecture exigeante, ardue, requérant une bonne culture historique et politique préalable et surtout une concentration sans relâche, avec un grand bagage de connaissances, sans être dérangé – ou à peine – par la circonstance que l'auteur est lui-même un marxiste qui ne recherche pas une improbable « objectivité » historique dans ses jugements ; on en sort principalement avec la conscience de la vanité des formules essentialisantes comme « le marxisme-léninisme », « le soviétisme », etc., et de la stupidité d'y coller un attribut, surtout un jugement de mérite, sans tenir compte que la politique est le domaine du possible, l'Histoire celui de la complexité extrême, et que la momification d'un penseur, sa « canonisation », sa transformation en « icône inoffensive » […] « vide [sa] doctrine révolutionnaire de son contenu, l'avilit et en émousse le tranchant » - comme Lénine l'avait prédit, dès 1917...
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Un livre extraordinaire d'un auteur pakistanais qui, contre vents et marées, s'obstine à démontrer par ses récits en forme de paraboles que rien ne devrait opposer musulmans, juifs et chrétiens qui ont toujours cohabité autour du bassin méditerranéen. Un pur moment d'humanisme dans un monde de violence.
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Je viens de terminer le quatrième volet de la série "Le Quintet de l'Islam". Je peux affirmer que j'ai beaucoup apprécié outre son style, cette tentative de l'auteur de nous faire entrevoir une autre façon de penser. Pas toujours du point de vue occidental, qui n'est pas la seule philosophie à étudier. Justement la lecture de ces ouvrages permettra à des lecteurs non initiés de voir que des grands penseurs, libéraux, qui aimaient l'art et le beau, la poésie, les sciences etc. il y en a eu également sur l'autre rive de la Méditerranée. La cohabitation ne posait pas de problèmes jusqu'au jour où tout à basculé.
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