Anniversaire sur un fil
Pour fêter notre jour,
nous avons partagé la maison comme un gâteau.
Ici nous travaillerons,
ici nous mangerons,
ici nous dormirons,
ici nous resterons seuls,
à tour de rôle,
pour nous rappeler les années
où nous partagions le même lit.
Les enfants n’en meurent pas
je dis à ma mère pour la rassurer.
Tu dois faire attention, je lui dis,
tu es âgée,
tu habites loin.
Ma mère mange des pommes,
elle a une robe neuve,
sa solitude est vieille.
Je ne sais pas de quoi meurent les enfants,
elle me répond. Les miens sont morts par erreur.
Nous vivons sur une marge d’erreur.
(traduction du roumain par Radu Bata)
En trois heures, le linge que nous mettions dehors encore vaporeux devenait dur comme du verre. Ce sont les robes qui gelaient les premières. Celles de Tamara Pavlovna, longues et plissées, se transformaient en accordéon. Les miennes, courtes et en couleurs, se figeaient dans des positions ridicules, comme si quelqu’un avait dessiné des fils de fer sans tête. Les jupes devenaient des triangles, les chaussettes des serpents, les culottes des mouettes. Plusieurs hivers de suite, j’ai porté un sarafane rouge, en laine de mouton. Il était difficile à essorer, et je le portais dehors encore dégoulinant. Le gel le faisait vite se contracter, et le sarafane transpirait alors de milliers de gouttelettes qui étincelaient comme des diamants. Je les détachais avec mes ongles et les déposais dans le creux de ma main. Mon premier trésor.
Que je regarde autour de moi, et que je voie de la beauté, moi aussi ! Cette lumière tamisée. Ce ciel aux étoiles en fuite. Des immeubles, des immeubles, des immeubles. Aucun n’a plus de quatre étages. Aucun ne dépasse quatre fenêtres en largeur. Sa poche a de la fourrure, mes ongles deviennent feu. Par les fenêtres, on distingue des gens de petite taille qui vivent bien. Des milliers de carrés avec une flamme au milieu. Les uns à côté des autres, les uns au-dessus des autres. Ceux d’en bas tiennent les autres par les épaules. Ceux d’en bas sont costauds.
J’ai collé mon visage sur sa poitrine, et, entre le deuxième et le troisième bouton, là où sa veste s’était légèrement ouverte, un parfum blanc, jeune, tel une nuée de sucre, a jailli. L’odeur des fêtes, ai-je pensé.
Je nais la nuit, j’ai sept ans. Elle me prendrait bien dans les bras, me dit-elle, mais elle a les mains occupées. Une lampe bleue, attachée à un arbre avec un câble, éclaire de haut. Elle se balance. Je tourne la tête en arrière et je la vois mieux : elle est ronde, comme un pain entier. Nous passons les portes de la ville comme on entrerait dans un ventre de pierre.
(Incipit)
Maman ne s’est pas dérobée. Elle m’a expliqué calmement que le cancer ne laissait aucune espèce de trace à l’extérieur. Tout se passait à l’intérieur, la laideur et le désespoir et la peur. Et au moment de mourir, les malades de cancer sont la plupart du temps plus beaux qu’ils ne l’ont jamais été. Comme elle.
Il vaut mieux vivre,Lastotchka, avec la souffrance qu'avec la honte. ...la honte, Lastotchka, est une affaire grossière. La honte ne te retire rien,elle t'en ajoute. Elle pénètre en toi comme une écharde et te remplit de pus. Tu l'acceptes une seconde,et elle ne te lâchera plus pour des siècles...
De mon temps, les crayons étaient tendres et les enfants, au contraire, avaient des os durs et encaissaient beaucoup.
Il ressemblait à un tronc d'arbre, sans bras gauche, sans jambe droite, mais plus entier que beaucoup d'entiers. Les enfants l'entouraient de leurs bras comme un ours, et lui les aimait comme du miel.
J’ai déconnecté complètement la partie relative à ses amours et je n’ai refait surface que lorsque son récit en est arrivé à la période du sous-sol dans lequel nous vivions tous ensemble quand je suis né et qui, même si nous n’avions pas eu l’eau chaude pendant deux ans, avait été la plus heureuse.