Mères de
Teodora Dimova
Et tu sais, Lydia, tant qu’on est jeune, on ne croit pas qu’on ne pourra plus descendre le sentier qui mène au rivage, on ne croit pas qu’on ne pourra plus plonger dans l’eau et nager, nager, nager des heures durant, bien loin, et encore des heures pour revenir vers la côte, on ne croit pas qu’il nous est arrivé de mettre au monde cinq enfants, quatre fils et une fille, Vassiliki, que le lien ne se maintiendra avec aucun d’eux, qu’on aura pas besoin de voir l’un de ses enfants, parce qu’une fois qu’ils ont grandi, Lydia, qu’ils ont commencé à vieillir, une mère se détache de ses enfants vieillissants, ou bien ce sont eux qui se détachent de leur vieille mère, je ne sais pas s’il en sera de même pour toi, Lydia, je ne sais pas qui s’est détaché le premier ni quand ça s’est produit, ça se produisait en continu, mais je ne le croyais pas, je n’ai jamais été vaniteuse ou superstitieuse, Lydia, mais ce paradoxe, à savoir qu’une personne étrangère, une Bulgare qui plus est, soit avec moi durant mes derniers jours, s’occupe de moi, me serve, me coiffe, me baigne, que ce soit quelqu’un de complètement étranger qui doive être avec moi et non pas l’un de mes enfants, ça, Lydia, je ne puis pas le comprendre, pouvais-je m’imaginer qu’à quatre-vingt-douze ans, je ne converserais qu’avec une Bulgare, Lydia ?
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