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Critiques de Teodora Dimova (37)
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Les dévastés

La lecture récente de « Lisière » de Kapka Kassabova m'avait fait voyager aux frontières bulgaro-gréco-turques, et avait levé un voile pudique et humaniste sur tout un pan de l'histoire bulgare.

J'avais notamment perçu l'importance de la présence musulmane dans ce pays qui a été sous emprise ottomane cinq siècles durant (de 1396 à 1878). J'avais réalisé que ces frontières avaient été témoins de nombreux déplacements de populations, musulmans chassés de ce pays devenu pourtant également le leur au fil des siècles, allemands de l'est essayant d'atteindre la frontière grecque en passant par la Bulgarie au moment de la guerre froide, ou encore, plus récemment, réfugiés syriens. J'avais également compris que le communisme avait laissé une empreinte forte dans ce pays, rendant notamment tout culte religieux interdit, secret, caché. Enfin, j'avais surtout réalisé que je connaissais très peu de choses sur ce pays tant sur un plan géographique que sur un plan historique.



En attendant de lire le deuxième livre de Kapka Kassabova, « L'écho du lac », c'est tout naturellement que je me suis tournée vers ce livre de la bulgare Teodora Dimova sorti en janvier de cette année aux belles éditions des Syrtes. La critique, foisonnante et personnelle, de @MaxSco m'a convaincue. Et il faut dire que la couverture m'a fait de l'oeil, c'est peu de le dire, d'ailleurs elle résume à elle seule assez joliment le livre : les visages de quatre femmes y apparaissent, dont surtout un, central, les autres visages en ombre chinoise sur celui-ci. le tout sur un fond rouge vif. Rouge sang. La couleur du communisme, « la seule couleur que le communisme ne tue pas » m'a fait remarquer très justement une amie Babeliote à la suite d'une des citations posées.

L'auteure, par ce livre, réalise un devoir de mémoire, met « le doigt dans la plaie et souhaite exprimer l'intuition du plus grand nombre possible de gens ». Car si Teodora Dimova n'a pas connu les atrocités perpétrées par le régime communiste qui a envahi la Bulgarie en 1944, elle a connu enfant la manipulation des esprits par ce même régime, et surtout sa grand-mère les a vécues. A l'heure où cette génération s'éteint, où la mémoire peut tomber dans l'oubli, Teodora Dimova écrit ce roman magistral sur cette arrivée du communisme en Bulgarie.



Pour contextualiser un peu, expliquons en quelques mots la situation de la Bulgarie au moment des faits relatés dans le livre : ce pays, durant la Seconde Guerre Mondiale, a rejoint les forces de l'Axe et est donc alliée à l'Allemagne nazie. Un territoire important et stratégique pour Hitler lui permettant d'envahir la Grèce et la Yougoslavie. Malgré cette alliance, la Bulgarie n'a pas déclaré la guerre à la Russie et reste pacifiste, maintenant les relations diplomatiques avec elle. Pourtant la Russie envoie ses troupes ukrainiennes en 1944, ne rencontrant aucune résistance. L'Armée rouge, avec l'aide du Front de la patrie bulgare, fait un coup d'état amenant les communistes au pouvoir.



Ce livre parle de l'épuration sauvage par le régime communiste de ce qu'il pense être contraire et dangereux à cette idéologie : les artistes, dont les écrivains et les peintres, les prêtres, les journalistes, les entrepreneurs qui ont réussi. Entre autres. Des ennemis du pouvoir populaire. Quatre voix de femmes pour décrire l'inhumain, l'ignoble, la bêtise crasse, la monstruosité. Cette éradication, qui de sauvage deviendra peu à peu légale, est réalisée en 1944/1945 par des hommes de main enrôlés dans les prisons où ces criminels, ces bandits croupissaient et auxquels on a promis la liberté en contrepartie de bons et loyaux services pour faire le ménage. Purger le pays de la vermine fasciste. Surtout purger le pays de personnes dont la liberté de penser peut devenir une menace, ou la réussite sociale une injure à l'utopie égalitaire. Pas la peine de vous dire qu'ils ne font pas dans la dentelle ces hommes fraichement recrutés qui peuvent enfin devenir puissants face à cette intelligentsia qu'ils méprisent. A coup d'expropriation, de déportations, de tortures et d'exécutions sommaires, ils manifestent leur toute puissance, tous ces nouveaux camarades.



Le point commun qui réunit ces quatre femmes est l'exécution de 147 hommes une même nuit, abattue froidement puis jetés dans une espèce de fosse commune. Ces quatre femmes, épouse, fille, voire petite-fille ensuite, racontent ce recueillement sur cette fosse, fosse sur laquelle est posée aujourd'hui une stèle funéraire. C'est là que l'auteure est présente pour la commémoration de ce triste événement, le 1er février 2016, et c'est durant ce moment de recueillement qu'elle réalise la nécessité d'écrire un roman sur cette tragédie collective.



Ce qui est le plus marquant dans ces quatre récits est la façon dont chacune relate l'avant et l'après ce coup d'État. Nous avons l'impression, comme le souligne avec délicatesse @Nathalie_MarketMarcel dans sa belle critique, que le rose s'oppose au rouge. le rose délicat et doux du bonheur, des fleurs, des senteurs, des plaisirs de la vie au rouge du sang, du diable, de la douleur. Ce contraste, amené avec poésie, m'a marquée dans chaque récit. de même que les victimes présentées sont aussi belles que les hommes de main sont violents et ignares. Pour autant il n'est nullement question de manichéisme ; les frontières entre les deux camps s'effacent parfois, les victimes se compromettant ou les bourreaux se remettant en question, et à la fin du récit les victimes sont de moins en moins idéalisées, n'arrivant pas dépasser le drame et en faisant subir les conséquences aux plus jeunes. Non pas de manichéisme mais un procédé qui permet de marquer le lecteur quant au drame qui s'est joué et aux vies dévastées en très peu de temps.



« Alors que nous déjeunions, un jour, sur la table de marbre, près de la rocaille, à Boliarovo, dans la verdure et la fraîcheur du jet d'eau, des pierres de Bigorre couvertes de mousse, des fleurs de montagne plantées autour de nous, entourés par les pins séculaires de notre jardin, les tourterelles qui roucoulaient amoureusement dans les arbres, les roses qui embaumaient et les insectes qui bourdonnaient, le rire des enfants, tout à coup je me suis levée et me suis ruée dans la maison, et j'ai fondu en larmes ».



Chaque récit est un cri d'une beauté stupéfiante. Nous observons d'abord la femme, nous lecteurs, spectateurs extérieurs, puis peu à peu c'est elle qui prend la parole, nous sommes dans ses pensées, ou dans ses écrits. Nous ressentons avec oppression sa décrépitude. Sommes les témoins des souvenirs égrenés comme autant de perles précieuses, chapelet tentant de conjurer l'angoisse et la déchéance. Il est impossible d'arrêter la lecture au cours d'un des récits tant le ton est poignant. Et à chaque fois différent.



« Qu'un demi-siècle ne t'appartienne pas, voilà ce qui est difficile à expliquer. Or, c'est justement ce qui a été grignoté, ce qui est vide, qui m'appartient, parce que je n'ai rien d'autre, je ne sais si vous me comprenez, si cela ne parait pas, comment dire, un peu fou. Bien plus tard, j'ai compris que ma mère, à cette époque-là, à Boliarovo, jouait véritablement magnifiquement. Elle jouait toute la journée, elle jouait sans s'arrêter, elle était grisée, mettait de la passion dans son jeu. Et moi j'adorais me glisser dans un coin ou me coller à la fenêtre et écouter. Ce que j'aimais par-dessus tout, c'était l'hiver, quand il neigeait et que je l'écoutais jouer. Je restais alors à la fenêtre et scrutais la danse des flocons de neige, j'avais l'impression qu'ils se laissaient guider par le rythme de maman, qu'ils se dispersaient ou se rassemblaient grâce à ses mains, qu'ils se balançaient et dessinaient diverses figures grâce aux mélodies créée par ses mains. C'était une magicienne, comme elle m'apparaissait, qui maitrisait la neige, la tombée de la nuit, le vent, la caresse, les tons de son piano pouvaient incarner la tendresse, ils parlaient une autre langue, pas une langue humaine, mais je la comprenais mieux que celle des humains ».



Alexandra prend la parole en dernier et c'est sans doute cette adolescente qui m'a le plus marquée tant sa solitude vire à la folie. J'aime penser que c'est elle, sur la couverture, dont on voit le visage, elle qui hérite du poids des drames des femmes qui l'ont procédée. C'est la petite fille de la première narratrice, de Raïna, qui a perdu son mari et qui a été déportée dans la campagne. On comprend à quel point ce drame a marqué à jamais la lignée de ces femmes, que les enfants d'Alexandra seront à leur tour marqués, au fer rouge, par les atrocités commises dont la douleur est transmise de génération en génération et dont on ne s'habitue pas.



Ce livre est une pépite. Il est magnifiquement écrit, il est bouleversant, et permet de comprendre la grande Histoire tout en n'étant pas assailli de dates, de faits, Teodora Dimova ayant choisi de mettre à l'honneur quatre destinées, quatre femmes touchées par cette tragédie collective dont j'ignorais tout. Une douce et poignante sororité pour dénoncer et ne jamais oublier.

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Les dévastés

Comment survivre à l’exécution d’un mari ou d’un père ?

Comment vivre en étant fille d’un « traitre » ou petite fille d’un « collabo » ?



Lors d’une commémoration à la mémoire des victimes du régime communiste en 2016, la romancière constate qu’aucun responsable bulgare n’est présent, ce qui l’incite à rendre hommage aux dévastés.



Raïna, l’épouse de l’auteur Nikola Todorov, Ekaterina, celle du pope Mina Tomov Zakhariev, Viktoria de Boris Piperkov, trois condamnés à mort à la suite du coup d’état communiste de septembre 1944, se rencontrent en février 1945 au bord de la fosse commune où reposent les exécutés.



« Les Dévastés » raconte la vie de Raïna avant, pendant et après le joug soviétique. Puis celle d’Ekaterina, de Viktoria et de Magdalena, leur fille. Et enfin celle d’Alexandra (née en 1960 comme Théodora Dimova) la petite fille de Raïna.



Alexandra incarne la romancière élevée en Bulgarie sous dictature communiste dans les années 60-70, obligée de disserter à la gloire du PC, ce qui fait pleurer sa mère et sa grand-mère et lui révèle le secret familial qui les ronge.



Trois familles, cinq femmes, trois générations et le même drame. Trois hommes fusillés, parmi des milliers d’autres. Trois familles bannies, privées de leurs biens, déracinées. Victimes à la « libération » de la jalousie d’un pisse copie devenu juge, de la revanche d’un ouvrier, de la vengeance d’un bâtard… de la banalité du mal. Un même drame mais des souffrances différentes liées à leur santé, leur milieu, leur culture, leur foi et leur situation familiale. Avec finesse et style la romancière observe la diversité des destins, des désespoirs et aussi des espérances, qui font de ce récit un réel chef d’oeuvre.



Superbement écrit et traduit par Marie Vrinat-Nikolov, ce texte bouleversant fait écho à la tragédie en cours dans le Donbass, mais aussi aux tragédies endurées par exemple par les mères de la Plaza de Mayo en Argentine, et à toutes les veuves, filles et petites filles de victimes des régimes totalitaires.



Un ouvrage bouleversant, effrayant, incontournable qui rend hommage à la résilience et au courage des femmes et réhabilite les victimes du communisme.

Une couverture qui dessine 4 femmes, dévastées par les rouges, mais tendant les mains aux lecteurs pour « qu’ils ne vivent pas dans le monde humiliant du mensonge ».
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Les dévastés

Difficile de refermer un roman comme Les dévastés. C'est une œuvre déchirante qui se lit la gorge serrée tant elle est traversée par des vies douloureuses. Des vies pour lesquelles l'évocation nostalgique du bonheur se mêle à la douleur brutale de la perte dans un récit où Teodora Dimova s'empare du coup d'État qui a vu les communistes bulgares prendre le pouvoir en 1944 avec sa litanie d'arrestations arbitraires et de meurtres de masse.



Mais dans ce récit resserré sur l'expérience intime, l'Histoire ne se découvre que du coin de l’œil à travers la voix de trois femmes issues de la bourgeoisie qui ont vu leur mari broyé par les meules du nouveau régime. On plonge alors dans un univers tenu par les émotions, happé par le malheur de ces femmes, leur incompréhension, leur résignation, l'empreinte trouble et silencieuse qui se transmet au sein des familles.

Mais cela se fait sans excès sans artifice. Par la simple profondeur des personnages et l'écriture pénétrante, Teodora Dimova offre une belle intensité au récit, au monologue, à la lettre, on pourrait aisément les confondre avec des témoignages. Il y a véritablement la faculté chez la romancière à donner une force et une authenticité à son roman qui pourrait être érigé en recueil commémoratif. Car Dimova a non seulement su créer des liens qui rendent solidaires des êtres meurtris pour faire de ces drames individuels une véritable tragédie collective. Mais elle laisse l'impression d'écrire les pages enfouies de l'Histoire de son pays, se rapprochant de celles un peu plus documentées des pays voisins, lesquelles rapportent les mêmes cortèges de violence et de vengeance qui accompagnent le basculement vers un régime autoritaire.

C'est un beau roman qui réussit à crever l'épaisseur du silence instauré par la peur du régime communiste. Il lève un peu le voile noir jeté sur les familles qui empêche de vivre et de mourir tout à fait mais l'opacité demeure sur les années précédant le putsch dans une Bulgarie alliée de l'Allemagne nazie. La description raffinée du bonheur perdu et la vie douce au cœur de la jolie petite ville de Boliarovo ne témoignent d'aucune restriction liée à la guerre mondiale. Comme si la terreur des milices communistes avait tout balayé d'un revers de la main. Á moins que les contraintes de la guerre y étaient moins pesantes qu'ailleurs...
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Les dévastés

Victimes du totalitarisme



En racontant un pan demeuré tabou de l'histoire de la Bulgarie, Théodora Dimova réussit un formidable plaidoyer contre l'oubli et nous rappelle à la vigilance face à tous les totalitarismes.



Les rumeurs de guerre se faisant de plus en plus persistantes, Raïna veut suivre l'exemple de nombreux compatriotes et fuir la Bulgarie. Nikola, son mari, ne comprend pas son attitude, lui qui au bout d'un travail acharné a réussi à vivre de sa plume, à la tête d'une revue et publiant régulièrement des romans. Il ne se voit pas quitter leur belle propriété de Boliarovo, des terres héritées des parents de Raïna pour une vie précaire en Suisse. Tout juste envisage-t-il de laisser son épouse partir avec ses enfants, Siya et Teodor. Mais pour Raïna la famille constitue un tout qui ne saurait être divisé et elle décide de rester aux côtés de son mari.

Un choix lourd de conséquences puisque, en cette année 1940, la Bulgarie va être secouée par un mouvement initié par Moscou, le combat contre tous les fascistes, contre tous les ennemis du peuple. Voilà que naissent des milices, des comités de salut public dont la première mission est l'éradication de tous ces militaires, hauts fonctionnaires, capitaines d'industrie, intellectuels qu'ils jugent mauvais. Très vite, Nikola va se retrouver sur leur liste. Malgré ses paroles rassurantes et son envie de croire que la raison l'emportera, il est arrêté, torturé, jugé par un simulacre de justice. Raïna aura beau intercéder en sa faveur, tenter de le faire libérer, elle n'obtiendra guère plus qu'un allègement passager de ses mauvais traitements avant son exécution.

Le sort de l'écrivain sera aussi celui de nombreuses autres personnes qui ont refusé de quitter leur pays.

Théodora Dimova choisit de nous raconter plusieurs de ces récits, de dire le destin de ces familles brisées par l'arbitraire de ce nouveau pouvoir personnalisé par un trio de bourreaux, trois jeunes hommes qui vont prendre un malin plaisir à arrêter chaque jour ceux qu'ils n'aiment pas. Vassa, Yordann et Anguel sont les oiseaux de mauvais augure de cet épisode dramatique de l'histoire de la Bulgarie longtemps resté tabou. Ce n'est du reste pas un hasard qu'aucun membre du gouvernement ne sera présent au moment des cérémonies en hommage aux victimes de ces crimes d'État.

En confiant à Alexandra, la petite-fille de Raïna, le soin de creuser cette histoire familiale, Théodora Dimova peut donner du recul à l'analyse, mais aussi nous révéler quelles furent les suites de ces forfaits. Comment les veuves ont survécu, comment leur combat a été mené au fil des années. Un roman fort et très émouvant, mais aussi un plaidoyer contre l'oubli et pour une analyse lucide du régime totalitaire. On ajoutera qu'au moment où l'Europe est à nouveau en guerre, ce livre peut aussi se lire comme un cri d'alarme, un appel à la vigilance.




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Mères

Trouver un livre bulgare n'est pas une mince affaire. Alors quand en plus il est bon, c'est tout bénéfice.

Car ce mères est, pour moi, un bon livre . Un livre sur les liens parentaux mais aussi sur une société bulgare déboussolée. Écrit en 2004, il porte clairement la trace du passage au postcommuniste.

Il s'agit en fait de plusieurs chapitres mettant en scène différents adolescents qui ont tous un lien avec une mystérieuse Yavora.

Ces chapitres sont l'occasion pour l'auteur de nous faire plonger dans le quotidien d'adolescents bulgares, déboussolés, dont les parents sont absents, physiquement ou mentalement, écorchés, dévastés par la vie , sans le sous ou hors la loi.

Des adolescents livrés à eux mêmes, abandonnés par des adultes trop soucieux d'eux mêmes ou juste inaptes dans leur rôle parental. Des parents dont l'enfance les a déjà plongés dans les affres de la vie, incapables de donner ce qu'ils n'ont pas reçu.

On ne peut que s'attendrir devant la candeur des jeunes, l'injustice, le marasme dans lequel ils sont plongés. Le coup de force de l'auteure est d'avoir fait évoluer ses personnages dans des milieux bien différents, avec des problèmes bien distincts et une seule solution : Yavora.

Un très beau livre , extrêmement bien écrit, construit originalement par une auteure dont le père, célèbre écrivain bulgare même si ces trois mots ont du mal à cohabiter en France !, a beaucoup souffert du communisme .

Ce roman est bâti sur un fait divers, expliqué dans une note par la traductrice .

Je finirai en signalant la grande beauté de la photo en couverture qui à elle seule résume le livre . Il y a tout dans cette image , de la détermination à aller de l'avant à l'abandon, aux difficultés d'une vie qui ne fait que commencer.

Je ne saurai trop conseiller ce livre à ceux qui veulent découvrir d'autres horizons littéraires . Il est édité par Syrtes Poche.

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Les dévastés

Au petit matin, en ce mois de février 1945, des femmes se pressent au cimetière. Elles ont toutes entendu la veille à la radio, la longue liste des hommes qui seraient abattus. Où puisent-elles encore la force de chercher une fosse, un amas de terre, un signe qui pourrait les aider à trouver où les corps reposent… Pas de paix pour ces hommes, ces femmes, ces enfants… Juste des larmes, de l’incompréhension et cette honte qu’on leur colle au visage…



Les dévastés de Teodora Dimova est un cri. Celui si humble, si respectueux, si timide, de femmes à qui on a volé un époux, un père. C’est la douleur, intolérable, insoutenable, inacceptable, d’imaginer les derniers jours, les dernières heures de l’être aimé. C’est la brûlure infligée à l’âme d’imaginer les coups, les privations, la solitude qui les ont accompagnés jusqu’à la fin…



Ce sont les voix de Raïna, Ekaterina, Viktoria, Magdalena et Alexandra qui nous rapportent ces histoires de vie, de mort, de guerre. C’est à travers leurs souvenirs, dans la douce ville de Boliarovo, qu’elles puisent la force de tenir debout.



Il est question ici de pouvoirs. Celui d’hommes sans foi, ceux qui suivent les ordres sans réfléchir, ceux que la jalousie aveugle. C’est l’histoire, le côté sombre, d’un pays qui se cherche. D’un allié à un autre, les hommes meurent, les amours se brisent et les femmes se relèvent… Pour crier au monde entier qui elles sont…
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Les dévastés

Sofia et Boliarovo, en Bulgarie, l’existence s’écoule au jour le jour dans la période trouble de la seconde guerre mondiale. Allié de l’Allemagne nazie, le pays affiche une neutralité, à l’égard de l’Union Soviétique, bouleversée par le décès du tsar Boris III en août 1943 qui modifiera le jeu des alliances. Proche géographiquement, l’Armée Rouge déclare la guerre à la Bulgarie le 1er septembre 1944 – une « guerre d’un jour » appuyée par l’insurrection des communistes bulgares et du Zveno qui renversent le gouvernement et instaurent un régime favorable à l’Union soviétique.



Raïna tourne en rond dans son appartement dans lequel Nikola, son époux, ne reviendra pas. Ils l’ont enlevé, torturé, abattu comme tant d’autres dans cette fosse commune du cimetière de Sofia, peu profonde et recouverte de scories. Comme Mina, le prêtre, dont la femme et les enfants seront exilés. Comme Boris Piperkov, l’entrepreneur appliqué et sans histoire. Trois hommes, compagnons de cellule unis dans la tragédie, dont le seul tort fut de déplaire au Front de la patrie que la haine, la rage et la folie animent.



Roman choral, « Les dévastés » offre une parole à chacune des épouses puis à celle des générations futures dont l’ADN porte les traces d’une incommensurable souffrance. Le chagrin s’immisce en chaque page, témoin d’un mal profond que les mots portent au-delà d’une lecture. Il imprègne et bouleverse révélant l’indicible d’une honteuse époque.



J’ai découvert les faits, happée par ce roman magnifique, humain et profond, dans le vécu de Raïna, dans les lettres d’Ekaterina ou dans l’écrit de Viktoria - femmes à l’amour éreinté au nom d’incertitudes politiques et de bêtises humaines. La douleur est immense : elle se ressent, empoigne, retourne, sans pathos néanmoins, tant elle est juste et fine. Ce roman est un témoignage. Il est un cadeau.



Une lecture forte absolument nécessaire.

Capitale.

Ce roman vient de remporter le Prix Fragonard de littérature étrangère 2022.


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Les dévastés

Les dévastés de Théodora Dimova est ma première immersion dans la littérature bulgare. Le sujet est très intéressant. Je ne connaissais pas ce pan de l'histoire (à vrai dire, je ne m'étais jamais posée la question). J'ignorais que ce pays avait rejoint les forces de l'Axe pendant la guerre, devenant par conséquent un allié de l'Allemagne nazie (notamment pour l'invasion de la Yougoslavie et de la Grèce) et que malgré cette alliance, la Bulgarie n'avait pas déclaré la guerre à la Russie. C'est cette dernière qui lance l'offensive en 1944 en envoyant ses troupes ukrainiennes. Les troupes bulgares n'opposent pas de résistance, et le Front de la patrie bulgare, soutenu par l'armée rouge, fait un coup d'État le 9 septembre 1944. Quand les communistes arrivent au pouvoir, ils mènent une politique d'épuration de l'intelligentsia bulgare. C'est ce dont il est question dans ce livre : des victimes et de ceux qui leur survivent.



On découvre successivement l'histoire de trois femmes. Tout d'abord le personnage de Raïna, la femme de Nikola, éditeur et écrivain, emmené arbitrairement à la mi-octobre. Puis, Ekaterina, la veuve d'un prêtre orthodoxe qui rédige une lettre destinée à ses enfants du lieu de déportation où ils ont été conduits. Enfin, Viktoria, qui recueille Magdalena comme si elle était sa propre enfant, épouse d'un entrepreneur, lui aussi assassiné. Une tragédie, un lieu commun réunissent ces trois femmes (les scènes du cimetière sont bouleversantes), mais aussi la nostalgie d'une époque heureuse à Boliarovo. Le récit passe parfois de la troisième à la première personne, ce qui donne l'impression de rentrer plus profondément dans les personnages.



Ce livre m'a transportée. En un mot : poignant. Une lecture prenante dont j'ai eu du mal à me détacher. L'écriture est agréable, quant aux liens qui se tissent entre les différents personnages au fil du roman, je les ai trouvés bien amenés. J'ai ressenti beaucoup d'émotions tout en apprenant sur ce pan négligé de l'histoire, sur ces victimes, qui, aujourd'hui encore ne sont pas reconnues par l'état comme elles le devraient.



C'est à la fois documentaire et empreint d'émotions. Un grand merci à l'équipe Babelio et aux éditions des Syrtes dont je découvre le travail éditorial.



"La mémoire manipulée a marqué de son empreinte notre présent."(extrait de la postface de l'auteure)
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Les dévastés

" Les générations qui ont grandi dans la Bulgarie communiste étaient manipulées dès l'enfance pour faire l'éloge du Parti. Ce qui faisait l'objet de la censure la plus stricte, c'était la mémoire du passé. La loi fondamentale de tout régime totalitaire est :" Qui maîtrise le passé maîtrise aussi l'avenir. Qui maîtrise le présent maîtrise aussi le passé." La memoire manipulée a marqué de son empreinte notre présent. Ce qui sera tragique, c'est si elle marque de son empreinte l'avenir également. "

Ainsi conclue Teodora Dinova, elle pour qui la tâche de l'écrivain est " de mettre le doigt dans la plaie".



C'est donc le récit de vies dévastées dont elle entreprend l'écriture, afin de rendre hommage à sa grand-mère.

Et c'est elle, Raina qui ouvre le récit. Un récit qui commence dans l'insouciance des années heureuses, dans une jolie maison de campagne à Boliarovo. Des étés joyeux, des réceptions dans le jardin, le mari Nikola écrivain de talent et éditeur.

Et puis, l'arrestation. Parce que les intellectuels, les artistes, les entrepreneurs sont une menace pour le régime communiste.

Et pour étouffer ces esprits trop affûtés, on recrute des assassins dans les prisons, de pauvres garçons à qui on faisait l'aumône et qui ont la rage au cœur.

Le cri de Raina, qu'elle étouffe dans la nuit pour ne pas éveiller ses enfants, est celui d'une femme amoureuse qui souffre de n'avoir pu sauver son mari.

La lettre qu'Ekaterina écrira pour ses enfants avant de mourir à son tour, est tout aussi bouleversante alors même qu'elle tente de leur expliquer la personnalité de leur père et les raisons de son assassinat.

Puis vient le récit de Viktoria, cette musicienne cultivée qui rêve de Paris et qui finira alcoolique et usée par le travail à la briqueterie, parce que son mari comme celui de Ekaterina et de Raina, sera fusillé en 1945 avec 147 hommes.

Lej dernier récit, le plus touchant peut être, est celui d'Alexandra, la petite fille de Raina. Elle n'a pas vécu ces années de purge, mais elle en porte le poids. Rejetée par sa mère, enfermée dans les silences de sa grand-mère, elle ne comprend pas ce monde que personne ne lui a expliqué, ce passé qui pèse comme un fardeau mystérieux. Dévouée à sa grand-mère qui souffre de démence sénile, elle parvient à reconstituer le passé et à se construire au fur et à mesure que la mémoire de la grand-mère s'éteint.



Ce roman choral nous permet de découvrir un pan de l'histoire de la Bulgarie par les voix de femmes dévastées par un régime politique impitoyable.
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Les dévastés

La Bulgarie, un matin froid de février, nous sommes en 1945. Devant une fosse commune d'un cimetière de Sofia. Des femmes sont là pour pleurer leur mari, leur fils ou leur père. Victimes de la répression suite au coup d’état du Front de la patrie, avec le soutien de l’URSS.



Trois femmes livrent le récit de leurs morts, symboles des pans de la société touchée par la répression : l’intelligentsia culturelle, économique et religieuse.

C’est d’abord Raïna qui rend hommage à son mari Nikola, dans un monologue touchant. Puis Ekaterina qui rédige une lettre à ses enfants pour leur raconter leur père, prêtre. Enfin, c’est l’histoire de Viktoria et de son mari. Un récit plus âpre, apportant une noirceur qui va crescendo dans la suite du roman, montrant déjà le poids des secrets et leur triste répercussion. 



Trois récits qui offrent chacun un style différent : le monologue, la lettre et le récit. Avant un dernier chapitre, centré sur l’avenir. 



Des récits qui offrent d’abord des visions parfaites des disparus pour mieux dénoncer la violence des morts et leurs répercussions dans une société muselée où le silence est de mise. Car la mort de ces hommes n’est pas tant le sujet principal de ce livre que le courage des survivants, leur douleur et leur vie qui continue,  brisée.

Seule la douleur est là, palpable. Comme un poison qui s’infiltre insidieusement et se diffuse, tout au long des années.  La répression frappant également les descendants des fusillés. De façon indirecte, sans balle, ni emprisonnement mais en les condamnant à une vie de silence, de non-dits et d'ostracisme sans parler des conditions matérielles précaires.



Ce roman est très réussi, par son sujet, si habilement traité mais aussi par son style. Chaque chapitre a sa voix, sa façon de raconter les événements, on passe d’une narration à l’autre sans que cela n’entrave la fluidité ou l’émotion du récit. 



Les révélations et les liens entre les différentes parties se font au fur et à mesure, de façon discrète et sans artifice.



Un roman fort et très réussi qui confirme le talent de Théodora Dimova et une nouvelle incursion réussie pour moi en littérature bulgare.
Lien : https://allylit.wordpress.co..
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Les dévastés

La traduction du roman de Theodora Dimova "Les dévastés" a été assurée par la grande spécialiste de la culture et de la langue bulgare Marie Vrinat-Nikolov.



C'est texte au style haletant, en prise directe avec les émotions, qui relate par la voix de celles qui l'ont vécu et qui y ont perdu leur compagnon et le père de leurs enfants, les évènements qui ont secoué la Bulgarie à la fin de la deuxième guerre mondiale : en septembre 1944 en effet, la coalition politique du "Front de la patrie" renversa le gouvernement, jusque là sous influence allemande ; en une seule journée les établissements publics furent transformés en centre de détention pour intellectuels, anciens dignitaires, responsables locaux et en général, toute personne jugée gênante ; en un instant le drapeau rouge flottait aux fenêtres, dans les rues et aux mains des passants.



A cette occasion des prisonniers de droit commun furent libérés et aux postes de commandement s'installèrent des repris de justice, des humiliés de la veille, des aventuriers saisissant leur heure de gloire et tous ceux qui eurent l'habileté de retourner leur veste à temps.



Et advint, comme d'habitude en pareil cas, le cortège sinistre des règlements de compte, des dénonciations, de la torture, des viols et de la barbarie : résultat de la peur, du sadisme et de l'esprit de vengeance.



Quelques soient les régimes, la peur est toujours la peur et engendre toujours les mêmes fléaux.



Je ne vais pas m'étendre plus avant, l'amie babeliote HordeDuContrevent a mis en ligne un commentaire magnifique et exhaustif.



La lecture de ce roman, si près du réel, et en même temps puissamment expressif dans l'évocation du noeud inextricable dans lequel les circonstances enferment les individus, m'a été extrêmement pénible : une fois de plus l'humanité n'en sort pas grandie, et j'ai passé l'âge d'espérer une quelconque évolution dans un sens favorable : la montée actuelle de la haine et de l'antisémitisme rappelle à quel point nous sommes mus par les passions tristes, et que rien jamais ne sert de leçon.



Ce roman est un témoignage de qualité, bien que l'auteure n'ait pas vécu directement les évènements relatés ; il permet de mesurer ce que pèse l'individu pris dans les dents crantés de l'histoire, et par quels mécanismes il est emporté comme un fétu de paille.



Notre espèce si peu perfectible fait douter de l'utilité de pareils témoignages. Et pourtant à peine a-t-on douté que la conviction s'impose qu'ils sont indispensables, comme si la mince parcelle d'humanité qui nous reste encore ne résidait plus que dans la capacité de les produire.











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Les dévastés

Trois femmes, trois destins dans la Bulgarie pendant la Seconde Guerre mondiale et plus précisément au moment du coup d'Etat de 1944, qui installe le parti communiste au pouvoir, avec le soutien de la Russie et chasse le gouvernement pro-nazie. S'en suivent alors la persécution des intellectuels, des religieux et des opposants au régime.



Ce sont les femme de trois de ces hommes, torturés, exécutés et jetés en fosse commune, que l'on découvre à travers cette lecture.



Nous entendons le long monologue que Raïna adresse à son époux Nikola, intellectuel et écrivain, le soir de son exécution. C'est une longue plainte, faite de peur et d'amertume.

Raïna a peur pour ses enfants, peur de ne pas pouvoir faire face, et on ressent également toute la colère qu'elle éprouve envers elle-même car elle savait qu'il fallait s'enfuir, quitter leur patrie pour sauver leur vie. Mais elle s'en est remise à son époux, homme intègre et honorable qui pensait ne rien craindre car n'avait rien à se reprocher...



Puis c'est Ekaterina que l'on lit dans une lettre adressée à ses fils. Elle l'écrit en prévision de son décès prochain. Déportée avec ses trois fils suite à l'exécution de son mari prêtre, elle éprouve une grande tristesse à l'idée que ses jeunes enfants n'aient que peu connu leur père. Sentant la mort approcher, elle décide de leur laisser un écrit afin que le souvenir de leur père, de leur parent soit toujours présent.



Ensuite nous découvrons Viktoria et sa fille Magdalena dans un récit retraçant leur vie avant et après l'arrestation de Boris. La déportation, le travail dans une briqueterie, l'alcoolisme, la folie...



Enfin, La dernière partie nous parle d' Alexandra, 20 ans après les faits. Il s'agit de la petite fille de Raïna et l'on découvre alors comment ce drame vécu plusieurs années auparavant a meurtri la famille pour des générations, la honte, le silence et le deuil les habitant pour toujours.



Cette vie de tristesse et de souffrance se mêle à leur vie passée, douce et heureuse, faite de plaisirs et d'insouciance dans cette jolie ville de Boliarovo. Le contraste n'en est que plus saisissant. On ressent le traumatisme enduré par ces femmes en particulier et le peuple bulgare en général. On comprend cette tristesse sans fond qui les suivra toute leur vie, gangrénant les générations futures.

L'écriture est dense et les dialogues sont insérés dans la narration sans signe particulier de ponctuation, créant un sentiment d'oppression, d'asphyxie au fur et à mesure de la lecture.

C'est une lecture poignante et révoltante, dans laquelle j'ai beaucoup appris sur une période trouble de l'histoire, dans un pays dont on parle peu, la Bulgarie.

Le récit de Theodora Dimova met en lumière le silence qui a existé autour de ces drames individuels et l'oppression de tout un peuple par des puissants aux idées totalitaires. Une lecture que l'on ne peut oublier et que je relirai sûrement...
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Les dévastés

Je me suis trompée longtemps en recopiant le titre Les Dévastés que j'orthographiais "Les Dévastées" puisque ce sont les voix de femmes, Raïna, Ekaterina, Viktoria et Magdalena, Alexandra, vingt ans plus tard qui donnent le titre à chacun des chapitres. Dévastées à la suite de la prise de pouvoir des communistes sur la Bulgarie. 



Le livre s'ouvre sur la nuit que Raïna passe à la veille de l'exécution de Nikola, son mari, un écrivain, un intellectuel en février 1945. Par un long monologue, elle s'adresse à Nikola, comme si lui parler le maintenait encore en vie. 



Ekaterina est la femme du Père Mina, emprisonné avec Nikola et fusillé avec lui. Elle écrit une longue lettre à ses enfants pour maintenir le souvenir de leur père. On ne s'est pas contenté de prendre la vie à leur père, on a aussi pris leur maison, et les a déporté dans une misère noire. 



Viktoria et sa fille adoptive Magdalena sont victimes de la vindicte de voyous au service du nouveau pouvoir. Ils jalousent la richesse de Boris et l'envoient en prison. Déportée,  la jeune femme délicate, pianiste, artiste, travaillera dans un briqueterie après avoir tout perdu et sombrera dans la déchéance. 



L'histoire d'Alexandra commence par un deuil : son père, Mikhail un peintre estimé vient de mourir. Mikhail était le mari de la fille de Raïna et la petite fille reporte toute son affection sur sa grand-mère qui lui livrera les secrets de famille. Et la boucle est bouclée. 



Hommes exécutés, femmes en deuil, déportées...une réalité bien triste. Et pourtant je suis restée scotchée à écouter leur voix, à imaginer leurs histoires. 
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Les dévastés

La prise du pouvoir et de la société bulgare par la crapulerie communiste dans l’immédiat après-guerre, dans les fourgons de l’armée rouge, soit disant libératrice, y est décrite avec une précision d’entomologiste, au travers la vie de plusieurs femmes, victimes emblématiques. La prise d’otage a duré près d’un demi-siècle.
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Les dévastés

J'ai eu un véritable coup de coeur pour @Les dévastés que j'ai lu d'une traite et puis relu encore une fois. Tellement émue par l'écriture de @Théodora Dimova et les sujets qu'elle traite, j'ai acheté et dévoré @Les mères dans la foulée. Pour écrire la critique du roman @Les dévastés, cela a en revanche été un processus très long. Je connais la Hongrie depuis toute petite, une amitié de famille, des amis comme une famille. Mes parents, mon frère et moi allions passer à Siofok, au bord du lac Balaton presque tous les étés. J'étais toujours fourrée avec Istvan, du même âge que moi. Nous sommes toujours comme des cousins.

Nos vacances à Siofok, c'était à la fin des années 60 et pendant les années 70. J'étais là-bas la plus heureuse des petites filles. Maria et Zsiga, respectivement pédiatre et gynéco-obstétricien n'avaient pas de fille et je me sentais comme leur petite princesse. Maria avait étudié le français. Son mari et elle étaient issus d'un milieu bourgeois et intellectuel. Leurs amis aussi. Je ne me posais pas de questions. J'adorais me baigner. Zsiga m'appelait « mon petit poisson » ! Jouer avec Istvan et les autres. C'était le bonheur. Cependant, pensant être à l'abri de l'indiscrétion des enfants, j'avais surpris à plusieurs reprises des discussions auxquelles je ne comprenais pas grand-chose. Des moments où les adultes chuchotaient. Il y avait de la peur. Il était question d'amis qui n'étaient plus là où n'auraient pas dû être là ? On pouvait les voir se serrer fort dans les bras. Parfois, les larmes coulaient. Dans ces cas-là, nous étions comme des petites souris et nous filions. On m'avait expliqué que des biens avaient été pris à la famille de nos amis, que c'était compliqué pour les Hongrois de sortir de leur pays. J'ai connu le rideau de fer. J'ai rangé dans ma valise des livres d'auteurs interdits en Hongrie. Je « ressentais » les malaises, j'étais si triste pour eux et si heureuse lorsqu'ils ont pu venir pour la première fois en France (au départ, seulement Maria et Istvan, pas la famille en entier) mais ce n'est que plus tard que j'ai réellement compris la douleur cachée des parents d'Istvan, de leurs parents et de leurs amis. L'histoire de leurs familles. Leur liberté confisquée. Longtemps, je n'avais vu que la chaleur de nos amitiés. J'étais à Budapest. A Miskolc. Sur un cheval dans la Puszta. Près du Balaton. Avec Istu. Je voyais son sourire. Je ne voulais de toute façon voir que leurs sourires. Leurs sourires à tous. Je vivais au présent. Et mon présent avec « ma famille hongroise », il ne pouvait qu'être beau, lisse, lumineux. Un jour, Istvan et moi parlions de cette époque de notre enfance et adolescence, lorsque la Hongrie était toujours un pays satellite de l'ex URSS. Il m'a dit alors que pour décrire son pays de ces années-là, c'était le mot « gris » qui lui venait à l'esprit. Il m'a demandé si je me souvenais de cette absence de couleurs Et je lui ai répondu « non ». Non, à cette époque-là, son pays ne m'apparaissait pas du tout comme ça.

Alors, même si la Hongrie n'est pas la Bulgarie, le processus soviétique a été le même, la douleur partagée, les secrets bien gardés, les mensonges de familles fracassées et des générations marquées.

Emotionnellement, il a fallu que je prenne du recul pour pouvoir écrire une critique de cette merveille de roman, @Les dévastés. Ma critique, dont je ne suis pas contente (trop longue, trop semblable à un résumé), la voici :



@Les dévastés. Qui n'aurait pu être dévasté à ce moment précis de l'histoire de la Bulgarie alors que tant de vies basculaient dans le cauchemar ? La grande épuration de masse fera des milliers de victimes. Dans son roman, au titre si éloquent et à la couverture tellement expressive, @Théodora Dimova s'attache à leur rendre un hommage particulier et bouleversant. Elle part d'un terrible événement qui a eu lieu à Boliarovo : 147 hommes arrêtés, emprisonnés, jugés par un Tribunal populaire et… fusillés en 1945.

Soutenus par l'armée russe, les communistes bulgares étaient arrivés au pouvoir. Les purges démarraient, arrestations aléatoires et justice expéditive.

Au 21ème siècle, les victimes du communisme sont officiellement reconnues mais en toute discrétion, comme devaient l'être les exactions de leurs bourreaux. A l'écart des représentants de l'Etat. Voudrait-on aussi que cela soit à l'écart de la population ? @Théodora Dimova ne veut pas que la Bulgarie perde la mémoire. Alors, dans son roman @Les Dévastés, elle réussit, avec une justesse inouïe et un talent littéraire immense et singulier, à extirper son pays d'une amnésie forcée. L'amnésie d'un pan de l'histoire aux conséquences terriblement douloureuses et dont les Bulgares portent les stigmates génération après génération.

Les quatre chapitres du roman portent des prénoms de femmes. C'est déjà dire leur importance.





@Les dévastés s'ouvre sur le chapitre Raïna.

Raïna erre dans son appartement. Après l'arrestation et plusieurs mois d'emprisonnement, son mari, Nikola, va être exécuté. Alors, pour ne pas devenir folle, elle lui parle. En silence pour ne pas réveiller les enfants. Nostalgie. Passé. Présent. Bonheur. Détresse. Et dans son monologue, Raïna répète sans cesse le prénom de son amour, Nikola. Nikola, Nikola. Comme une litanie. Presque à chaque phrase, Nikola. Nikola encore et toujours pour ne pas le quitter. Nikola pour sentir sa main dans la sienne. Nikola pour ne pas laisser de place à la mort.

La famille vit à Sofia mais passe les jours trop chauds à Boliarovo, destination prisée des riches sofiotes. Nikola est un écrivain et éditeur admiré, courtisé. Un fleuron de l'élite intellectuelle. Mais en dépit d'une vie mondaine et intellectuelle qui se poursuit encore, la guerre est là et Raïna sait que le danger est imminent. Elle voudrait quitter la Bulgarie. Nikola refuse. Il lui propose de partir seule avec les enfants. C'est impossible pour Raïna. Jamais elle n'abandonnera Nikola.

Jusqu'au bout elle sera là. Nikola ignorera le si douloureux sacrifice consenti par sa femme afin qu'il ne soit plus torturé jusqu'à son exécution.

Et toujours, Raïna s'en voudra de ne pas avoir su trouver les mots pour convaincre Nikola de la nécessité d'un exil. A elle la culpabilité quand, comme toutes les autres femmes, elle ne faisait que subir les conséquences des décisions prises par les hommes.



Le chapitre suivant se nomme Ekaterina, une jeune femme enseignant la littérature. Mina, son époux, prêtre orthodoxe, est exécuté le même jour que Nikola. Des bruits couraient concernant les persécutions des gens d'Eglise. L'angoisse se diffusait partout. Or, Mina, comme Nikola, ne voulait pas y croire.

Pour ce chapitre si émouvant, @Théodora Dimova a choisi la forme épistolaire. Ekaterina, gravement malade, sait qu'elle va mourir et elle écrit une lettre à ces enfants afin qu'ils puissent savoir, lorsqu'ils en auront l'âge, qui était leur père et qui elle était. Après la mort de Mina, la famille a été déportée à la campagne, chez des logeurs sommés d'accueillir ces femmes et enfants de traîtres et ils vont vivre dans des conditions misérables.

La lettre d'Ekaterina est absolument déchirante dans la façon qu'elle a de s'adresser à ses enfants, de les observer tandis qu'elle leur écrit, sachant le peu de temps qu'il lui reste pour les aimer. Comment trouve-t-elle la force pour décrire leur père, leur dire ce qu'il attendrait d'eux, leur donner les pièces manquantes du puzzle de l'histoire de leur famille ? Elle exhorte ses fils à quitter la Bulgarie où ils seront toujours persécutés, coupables de ce que leur père était. Leur réflexion (elle transmet la parole de Mina) doit exclure la haine de ceux qui ont fait exploser leur vie. Il est nécessaire de comprendre et afin qu'ils s'en prémunissent, elle leur explique la stratégie des communistes.

Le troisième chapitre porte le nom de Viktoria et Magdalena. Il prend la forme d'un récit. le mari de Viktoria, Boris, fait partie lui aussi de ces hommes fusillés en cette nuit glaciale de février 45. Nikola, Mina et Boris partageaient la même cellule. Sans s'être vues, les familles se connaissaient comme elles connaissaient, de façon différente, les trois jeunes hommes ayant procédé à l'arrestation de leur mari, comme elles avaient attendu et cherché avec toutes les autres veuves, la fosse commune où leurs hommes fusillés avaient été jetés, comme elles avaient allumé des bougies et chanté. Un grand moment d'hommage à leurs hommes. Un grand moment de communion. Une immense dignité tenant ces veuves, les pieds plantés dans la boue du cimetière.

Boris est entrepreneur. La coopérative qu'il a créée et étendue lui rapporte beaucoup d'argent. Sa femme et lui vivent dans l'opulence. Viktoria a connu Paris, ses peintres, ses auteurs. Elle émaille ses conversations de phrases en français. Elle aime le piano et en joue fort bien, en dépit de l'indifférence de son mari à cet égard comme à d'autres. Elle ne peut enfanter et, le hasard faisant bien les choses, voici qu'elle va trouver à sa porte une petite Magdalena, toute propre et déjà baptisée. Viktoria en est folle. Ne trouvant pas sa mère biologique, le couple va adopter Magdalena mais cette adoption doit rester un secret. Lorsque son mari est arrêté, huit ans plus tard, la vie de Viktoria s'effondre comme se sont effondrées les vies de Raïna et d'Ekaterina. Elle ne joue même plus avec Magdalena. Comme Ekaterina, elle va être déportée à la campagne. Les conditions de vie sont identiques. Viktoria fera des ménages puis sera engagée dans une briqueterie. Elle va noyer son chagrin dans l'alcool. Magdalena fera les frais de son alcoolisme. le soir, ivre, Viktoria parle. Magdalena a compris que si elle cessait de poser des questions, les logorrhées de sa mère seraient moins pénibles et moins longues. Elle se demande si ce que sa mère raconte relève de son imagination ou pas.

Dans ce chapitre figure un passage écrit bien plus tard par Magdalena. C'est à la fois joli et absolument terrible. Les femmes de @Théodora Dimova sont pleines de ressources et de courage. En l'occurrence, Magdalena parle de ses souvenirs comme s'ils appartenaient à quelqu'un d'autre qu'elle. « On » lui a grignoté, dit-elle, cinquante ans de sa vie et elle est passée directement du statut d'enfant à celui de femme de plus de soixante ans. Pour des raisons administratives, elle n'a pu retourner à Sofia qu'en 1990. Et c'est alors que sa vie a commencé…



Durant ces trois chapitres, nous vivons les arrestations des maris. Toujours par les mêmes trois jeunes communistes. Vassa a été sorti de prison en jouant la carte de la politique alors qu'il purgeait une peine pour avoir égorgé sa petite amie. Yordann est un enfant adultérin, à la vie misérable, un jeune empli d'aigreur et de haine. Anguel est le seul des trois à être là pour des raisons idéologiques. Il lit, il réfléchit. Et il n'est plus si sûr de lui. Il voit bien comment, au nom de la politique, des comptes personnels se règlent, il voit tous ces petits arrangements sordides et il se pose de plus en plus de question sur son « sale boulot » qui lui paraissait avant comme un mal nécessaire pour construire une société idéale. Il doute, Anguel, de plus en plus.





Le dernier chapitre, Alexandra, vingt ans plus tard, nous font retrouver Raïna, sa fille Siya et sa petite-fille, Alexandra (de la même génération que @Théodora Dimova).



Au tout début du chapitre, Alexandra a cinq ans. Entourée de personnes en deuil qui ne lui parlent pas, elle, elle sait bien que son père et mort. Tout le monde veut le lui cacher. Elle en est blessée. Déjà, cette petite fille que nous retrouvons juste après adulte nous fend le coeur. Son enfance a été d'une tristesse inouïe.

Un an après le décès de Mikhaïl, son père, elle emménage avec sa grand-mère, Raïna dans un grand appartement sinistre. Un appartement prévu par son père mais où Siya, sa mère, refuse de s'installer au motif que la ressemblance d'Alexandra avec son père lui fait trop mal. Siya va habiter dans l'atelier de peintre de son mari.

Les couleurs, dans ce chapitre où l'art de peindre est si important, sont constamment présentes.

Pour Alexandra, à cette époque de sa vie de petite fille, les couleurs n'existent qu'à Boliarovo où sa grand-mère l'emmène de temps à autre. Raïna lui montre son ancienne maison. Elles partent ensuite pique-niquer dans la forêt et c'est comme une bouffée d'oxygène, c'est comme reprendre vie. Les joues d'Alexandra sont moins pâles. Raïna et elle rentrent à Sofia avec des bouquets de feuilles. Cela semble pour Raïna un pèlerinage qui, bien que la faisant passer pour une folle, à regarder comme elle le fait sa maison, la relève, allège ses souffrances et pour Alexandra, c'est de la santé mentale et physique qu'elle aspire à grandes goulées.

Sinon, la vie à Sofia n'est que « silence assourdissant », oxymore résumant la terrible vie de cette petite fille ; heures mortes ; vie sans couleurs. Alexandra est totalement dévouée à sa grand-mère. Elle l'écoute mais elle voudrait savoir pourquoi son grand-père a été fusillé, pourquoi on dit que son père a été tué, son coeur éclaté. Quelles images terribles pour une enfant.

Alexandra pense être une malédiction et elle est pour moi le personnage le plus attachant. Comment se relever lorsque tant de mensonges, de non-dits, de cruauté aussi pèsent sur une vie d'enfant ? Elle pense être responsable de la peine des adultes. Elle pense être responsable de sa ressemblance avec son père. Elle voudrait tout faire pour éviter la souffrance de sa mère. Elle fait tout pour ne pas exister. « Mon coeur ne parvient pas à éclater, maman, malgré tous mes efforts. » Ces mots ont brisé mon coeur de lectrice. Alexandra porte tout le poids des culpabilités accumulées et elle pense réellement empêcher sa mère de vivre. C'est terrible.

Durant des années, elle croira que la vie n'a de frontières que celles qu'elle connaît, circonscrites à sa triste vie quotidienne. Puis elle se rendra compte que d'autres mondes existent. La peinture la rapprochera de son défunt père et elle comprendra comment les incohérences du Parti, les humiliations infligées, son expression artistique bridée l'ont tué.

Alexandra s'occupera de Raïna, sa grand-mère, jusqu'à sa mort. Entre cette mort imminente et l'espèce de folie qui habite la vieille femme, Alexandra recueillera des bribes de l'histoire familiale. C'est bouleversant et grâce à Alexandra, Raïna pourra mourir, l'air apaisé, dans ses bras.



@Les Dévastés est un roman qui m'a touchée au plus profond de moi-même. On ne lit pas souvent des romans d'une telle intensité. le talent d'écrivaine de @Théodora Dimova. Sa façon de trouver des tonalités différentes pour chaque chapitre et d'assurer une cohérence parfaite à l'ouvrage m'a bluffée. Ces longues phrases sans ponctuation qui nous oppressent comme l'ont été ces femmes. On se sent à leurs côtés, à chaque époque, dans les moindres détails.



Les femmes de ce roman @Les Dévastés, ces familles sont uniques et en même temps représentatives de toutes les victimes du communisme en Bulgarie. Elles sont LES victimes et viennent combler les blancs d'une histoire que l'on réécrit toujours en chassant ce qui encombre. @Théodora redonne mémoire et dignité, non seulement aux victimes du communisme mais à tout son pays. Chacun sait bien que rien ne peut se construire sur les secrets, les mensonges, les non-dits. Les femmes sont représentées dans tout ce qu'elles peuvent donner de plus fort. Elles sont dignes et courageuses. Vraiment, @Les Dévastés est un livre nécessaire. Et quelle magistrale écriture. Nous avons envie de la lire, encore et encore. Et c'est tellement précieux. Merci pour la grande écrivaine que vous êtes, @Théodora Dimova et merci aussi à votre traductrice, Marie Vrinat. Merci infiniment à BABELIO de nous permettre de découvrir de telles pépites et de nous ouvrir à une autre littérature. Et bien sûr, merci aux @Editions des Syrtes



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Mères

La lecture de Mères est une expérience troublante tant les phrases s'enchaînent de manière ininterrompue, décrivant des situations familiales où la violence des uns envers les autres est inouïe.



Sous couvert de présenter la vie de jeunes adolescents qui souffrent de leurs relations avec leurs parents, Teodora Dimova attire en réalité l'attention du lecteur sur ces mêmes parents qui, incapables de surmonter leur pauvreté, leur alcoolisme, le succès de leur conjoint, une humiliation lors de leur propre enfance, s'enferment dans une sorte d'apathie ou de dénégation sans la moindre considération pour les conséquences que cela pourrait avoir sur leurs enfants.



Comment ne pas s'étonner que ces derniers s'accrochent comme des noyés à leur bouée à la mystérieuse et tendre Yavora, et refusent à tout prix de la perdre ?



Mères est un roman extrêmement sombre et attristant, qui dresse le portrait d'une société gangrénée par la mafia, la corruption, l'alcoolisme et la pauvreté ; cette Bulgarie que nous décrit l'auteur est effrayante, et l'on ne peut s'en étonner lorsque l'on découvre à la lecture de la postface que l'évènement déclencheur de l'écriture de Mères fut un fait divers bulgare où de jeunes adolescentes assassinèrent une de leur camarades. Glaçant.
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Mères

Pour les sept mères qui donnent leur nom à ce roman, devenir mère ne fut pas facile dans leur corps, dans leur vie. Qu’est-ce qu’être mère ? Celle de Kalina est devenue invalide après la naissance de sa fille, entre diabète et ostéoporose. Celle d’Alexander souhaitait se conformer à la volonté de Dieu et ne pas avoir d’enfants, puisqu’elle était stérile. Nicola n’est né que parce que sa mère n’avait pas le courage de se faire avorter. Christina, la mère d’Andreia, est en pleine dépression, faisant subir à sa fille ce qu’elle-même a subi étant enfant. Ces huit enfants sont déjà, le plus souvent, les parents de leurs parents.

Ceux-ci appartiennent pourtant à une génération chanceuse, celle qui a vu la chute du communisme et devait permettre la réalisation de tous les espoirs. Si ce n’est qu’aucun d’entre eux ne savait ce que le mot « espoir » signifiait. Des rêves, oui, certains en avaient mais peu les ont accomplis, et plutôt que de chercher en soi les raisons de cet échec, il est plus facile d’accuser l’autre, que ce soit son conjoint, ou, en son absence, son enfant.



Dans ce livre, l’enfant est souvent unique – comme si un seul accident suffisait, et après, les précautions furent prises. Il doit faire face, seul, aux errances de ses parents. La solitude est encore plus accentuée pour Deyann, séparé de sa soeur jumelle depuis la séparation de ses parents, chacun d’entre eux voulant que l’autre prenne ses responsabilités. Mot souvent prononcé ou sous-entendu, alors que personne ne semble vraiment mesurer ce qu’elle recouvre. Ainsi, la mère de Dana, qui subvient aux besoins de sa famille en partant travailler deux ans à l’étranger, sans veiller aux besoins affectifs et psychologiques de sa fille adolescente.

Faut-il alors vraiment s’étonner que tous aient vu Yarova, leur professeur, comme une lumière dans la nuit ? Ne les écoute-t-elle pas, ce que personne ne fait ? N’est-elle pas venue en aide à certains d’entre eux ? Il n’est pas facile de connaître les motivations de cette femme. A-t-elle été dépassée par ce qu’elle a contribué à créer ? La fin du premier chapitre nous le montre assez.

Mères est un livre dur, âpre, au style très particulier, asphyxiant – de très longues phrases, avec de nombreuses pauses, mimant la colère et l’urgence, l’absence de signe permettant de distinguer le dialogue du récit, comme si parler ne servait à rien, les interlocuteurs n’écoutant qu’eux-mêmes. Un livre pas assez connu en France, qui donne une vision glaçante de la Bulgarie.
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Mères

Uppercut. En pleine face. Un écrin de noirceur.



Sofia, capitale de la Bulgarie.



Plusieurs adolescents, autant de chapitres et de témoignages, dont le seul point commun serait d'avoir des parents défaillants : dépressifs, alcooliques, indifférents.



Un nom revient dans leurs récits : Yavora. Une femme mystérieuse. Point de lumière de leurs existences sacrifiées. Qui est-elle ? Quel est son lien avec les enfants ?



Récit âpre, inspiré de plusieurs faits divers, prétexte pour dénoncer les travers de la société bulgare. La corruption, la mafia, la pauvreté et l'alcoolisme...autant de calamités dont les premières victimes sont ces jeunes, tiraillés, meurtris là où ils devraient être protégés.



Comment pourront-ils grandir, ne pas reproduire le schéma familial qui leur est imposé?



Même si les adolescents sont le point d'articulation du récit, les mères en sont l'épicentre.



Sacrifiant leurs carrières à leur maternité, elles en ressortent aigries. Elles sont dépassées par leur propre douleur. Accaparées uniquement par leur propre vie ou alors trop occupées à trouver un moyen de survivre pour pouvoir s'occuper de leurs enfants.



Elles sont l'objet de l'amour et du dévouement de leurs enfants mais elles sont également celles qui leur infligent les plus profondes blessures.



Yavora apparaît, elle, comme une figure maternelle de substitution mais elle semble si irréelle. Une sorte de métaphore de ce que l'amour parental devrait être.



Cette opposition rend le drame inévitable...



Une belle porte d'entrée pour moi à la littérature bulgare et que je vous conseille.
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Les dévastés

Première fois pour moi que je lis un roman d'une autrice bulgare, première fois que je suis confrontée à l'histoire de ce pays, la Bulgarie.

Si la période évoquée est sombre et douloureuse, terrible et extrêmement violente et insidieuse à la fois, l'écriture de Théodora Dimova le transcrit avec force et puissance.

La mise en application du communisme est effrayante, broie les humains profondément, intimement, dans leur art, dans leur couple, dans leur vie sociale : un carnage. Le roman dévoile ce mécanisme qui s'amplifie pas à pas, la densité de l'écriture est phénoménale.

La postface permet de connaître le contexte précis qui a poussé l'autrice à s'élever contre le silence et l'oubli, afin de stopper la marche du crime.

Je suis K.O. debout après la lecture d'un livre pareil.

La couverture du livre est vraiment réussie par rapport à son contenu.
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Adriana

Théodora Dimova est une autrice bulgare dont j’ai déjà eu l’occasion de lire et apprécier deux romans.



La sortie en poche d’Adriana me permet de découvrir un nouveau texte, assez différent des autres, qui m’aura déroutée, parfois perdue mais aussi paradoxalement, charmée.



Tout commence avec un écrivain, Teodor, qui revoit la visite impromptue de sa cousine adorée, Ioura. Si les deux sont proches, voilà 6 mois, pourtant, que la jeune femme n’a pas donné de nouvelles.



Mais par un soir d’août caniculaire, la voilà qui débarque chez son cousin pour lui raconter ce qu’il lui est arrivé : un travail chez une vielle dame, une rencontre et l’impérieuse nécessité de tout raconter à son écrivain de cousin.



Car Adriana, la vieille femme, a connu une vie tumultueuse surtout dans sa jeunesse, l’ennui et le désœuvrement l’ayant conduite à être capricieuse, désœuvrée, déprimée. Les fils de son existence vont ainsi s’emmêler jusqu’à une rencontre, la plus importante de son existence…



Je n’en dirais pas plus car le roman n’est pas très long et il serait dommage de le gâcher par trop de révélations.



Ce roman est assez étrange, il reprend un roman inachevé du père de Theodora Dimova,

victime du stalinisme. Il dépeint des personnages complexes, presque des archétypes. La jeune Ioura innocente, marquée du sceau du bonheur, Adriana perdue dans son mal-être, les hommes qui semblent incapables de leur résister, les coups de foudre d’hier et d’aujourd’hui.



Mais impossible de lâcher ce roman grâce à son style. Pas de chapitres, un long souffle qui entraîne le lecteur jusqu’aux pages finales.



Ce n’est clairement pas le roman que je conseillerai pour débuter l’œuvre de Dimova mais pour celles et ceux qui la connaissent déjà, ce roman est une nouvelle occasion d’apprécier sa plume.
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