Citations de Teodoro Gilabert (21)
L'idée fait son chemin, et lorsqu'il revient devant ses tableaux, en position de regardeur débarrassé de son éducation, esthétique, libre d'être émerveillé, il a compris qu'il n'y avait rien à comprendre. La vibration et la résonance de l'âme humaine, la nécessité intérieure... toutes ces notions théorisées plus tard, par Kandinsky, dans son livre Du spirituel dans l'art en 1911, entrent en construction après cette révélation dont je n'ai pas la date exacte, en 1896 à Moscou. Ce jour inconnu aurait pourtant mérité d'être célébré, le jeune artiste russe n'a certes pas fondé une nouvelle religion, il a juste une idée, consciente ou non, d'une des révolutions qui marquerait l'art du XXe siècle, l'abstraction.
J'étais devenu révolutionnaire par amour, à deux reprises, et pour la même femme. Lorsque j'ai compris qu'elle ne m'aimerait plus jamais ou, pire encore, qu'elle ne m'avait probablement jamais aimé, j'ai abandonné le combat, en toute cohérence.
Je rêvais d'amour sur les barricades, un concept décalé pour un nihiliste et plutôt teinté de romantisme bourgeois. C'était très confus, je possédais les armes, j'avais envie de m'en servir, mais il me manquait des objectifs précis et un vrai corpus théorique.
J'avais les poils au garde à vous, la magie opérait, les deux slameurs étaient bien meilleurs que moi et rangeaient Luchini au rayon des antiquités.
Édouard, 1956
J’étais marchand de couleurs, boulevard Quinet et j’en ai vu défiler, chez moi, des artistes de toutes sortes. Des plus conventionnels aux plus illuminés. Yves Klein a été le seul avec qui j’ai noué une complicité amicale et professionnelle. Je pense avoir joué un rôle essentiel dans l’aventure du monochrome. Il m’achetait des quantités industrielles de rouleaux en peau de mouton, toujours les mêmes, des Roulor de dix-sept centimètres de large. Il ne les lavait pas et en changeait pour chaque tableau car il recherchait une parfaite uniformité.
Un jour, il me demande si je peux l’aider à trouver la recette d’une peinture bleue lumineuse, veloutée et surtout dont l’aspect serait durable. Il avait tout essayé pour lier le pigment bleu outremer 1311 qu’il m’achetait : la colle de peau, l’huile de lin, la caséine… sans obtenir l’effet recherché. Je me suis lancé à mon tour dans cette cuisine bleue, sans plus de succès.
J’en ai parlé à un de mes copains ingénieur chimiste chez Rhône-Poulenc. Il m’a proposé d’essayer une nouvelle résine qu’il venait de mettre au point, le Rhodopas M60A. Et puis, finalement, il est venu bricoler avec nous. Nous avons fini par trouver le mélange idéal mais je n’ai pas le droit de donner la formule ! Je peux juste nommer les composants essentiels : poudre outremer 1311, Rhodopas, alcool à 95° et acétate d’éthyle. Heureusement, il ne suffit pas de connaître les ingrédients des recettes pour devenir un grand cuisinier.
Il a baptisé cette couleur IKB, International Klein Blue, en toute immodestie. Ceci dit, l’effet produit était unique et il fallait protéger la formule en déposant un brevet. J’aurais aimé être mentionné comme co-inventeur, sans moi, il n’y serait pas arrivé. Avec Yves, c’était comme avec tous les artistes, ils viennent pêcher des idées ou des conseils dans ma boutique, et après ils s’empressent d’oublier mon rôle. À part que là, avec l’IKB, le produit était déjà presque l’œuvre, il suffisait d’étaler. Mais cette idée, je ne l’ai pas eue, et maintenant tout cela vaut des millions !
Le souci, c'est qu'il y a un tel vide spirituel en Occident que parfois les gens sont prêts à suivre n'importe qui, à entrer dans une secte de dingues, et même à faire le Jihad, alors pourquoi ne pas suivre Bob Marley qui revient parmi eux ?
Ce n'est plus un secret, voilà, Bob Marley est de retour, il est amoureux d'une étudiante marseillaise, il ne chante plus, ne joue plus de la guitare, voyage à la vitesse de la lumière, de façon incontrôlable. OK pour tout cela, mais alors, pourquoi est-il revenu ?
Je me souviens très bien de ma mort, de ma souffrance, de celle des autres, des pleurs, des cris… Le 11 mai 1981 au Cedars of Lebanon Hospital à Miami. J’aurais préféré mourir dans ma maison de Hope Road, à Kingston, mais à mon retour d’Allemagne, lorsque nous avons atterri à Miami, mes fonctions vitales étaient tellement atteintes que mes proches ont dû céder aux médecins qui voulaient m’hospitaliser en urgence, même s’il n’y avait plus rien à faire.
Je l’ai reconnu immédiatement, alors qu’il s’était assis tout seul au dernier rang de l’église. Il est arrivé après le début de l’office et est parti avant la fin (ou plutôt, il a disparu soudainement, je ne l’ai pas vu sortir), personne d’autre que moi ne l’a reconnu. J’avais croisé son regard intense, malgré la distance qui nous séparait. Il était venu pour communier, mais aussi pour me signifier son soutien, me transmettre un message dont je n’ai pas bien mesuré la teneur. J’aurais aimé lui parler, lui dire combien j’aime sa musique, combien nous avons été marqués par sa mort en Afrique, y compris dans des villages reculés, lui dire que je possède encore un débardeur à son effigie, même si ce n’est pas facile à porter ici, à Auzat-la-Combelle, surtout avec ma profession. J’aurais aimé lui demander pourquoi il était revenu là parmi nous, pourquoi il m’avait choisi, comme témoin, comme messager sans message. J’aurais aimé partager mon émotion et ma joie avec mes ouailles, même si elles ne connaissaient pas bien le roi du reggae, considéré en Afrique comme un prophète ou un dieu vivant, le fils spirituel du négus Haïlé Sélassié.
Finalement, j'étais très fier et heureux d'avoir été acheté par Monsieur Duchamp. Son ami Henri-Pierre roché disait même de lui qu'il était, à cette époque, le français le plus connu à New York, avec Napoléon et Sarah Bernhardt. Un héros célèbre, mais aussi à sacré séducteur !
Une fois sur le quai, j'ai attendu une journée entière avant que l'on vienne me chercher avec une sorte de camionnette découverte. Elle ressemblait aux pick-up que les Américains affectionnent tant aujourd'hui, sans doute parce que cela rappelle les carrioles de leurs ancêtres pionniers partis à la conquête de l'Ouest.
J’appartiens à l’une des plus vieilles familles d’Orsenna, une cité-État de la mer des Syrtes, située juste en face du Farghestan. Inutile de chercher la localisation de cette contrée lointaine sur Google Maps. Devenue terre d’Islam, elle a été entièrement détruite, puis remodelée et rebaptisée après une longue guerre dont on a peu parlé ici, en Occident. J’ai toujours eu une conscience floue mais réelle de la noblesse de mes origines, avant d’en avoir la confirmation le jour de mes seize ans. J’avais alors découvert un livre posé sur mon bureau. « Pour que tu saches d’où tu viens! » J’ai reçu cette dédicace comme un électrochoc. Ce n’était qu’un encouragement, mais la lecture s’est imposée comme une nécessité vitale et je m’y suis immergé illico. Mon père – son écriture fine et tortueuse valait toutes les signatures – parlait-il d’un lieu ou bien de nos origines familiales? Il avait pris soin de placer un magnifique couteau damassé à la courbure typiquement orientale sur la couverture. Le connaissant, j’imaginais qu’il me livrait là un indice tout en m’offrant l’outil idéal pour couper les pages de cet ouvrage mystérieux, Le Rivage des Syrtes, écrit par Julien Gracq et publié aux éditions José Corti. J’étais bon lecteur, mais je n’avais jamais entendu parler de cet auteur délaissé par mes professeurs de français, et jusqu’alors absent d’une vaste bibliothèque familiale dont je connaissais tous les livres, même ceux que je n’avais pas eu le temps ou le courage de dévorer.
Soon, le mot était gorgé d'espoir et de promesses, mais son interprétation restait incertaine. Dix minutes, une heure, plus encore?
Julien Gracq et ses exégètes n'osent pas le dire, mais l'italique est un instrument de torture.
L'âge et l'expérience avait fait de moi une éminence grise alors que je rêvais encore de devenir l'homme d'action que je n'avais jamais réellement été. Le mythe de James Bond ne m'avait pas quitté.
Ma plus belle prise de guerre fut un portrait féminin de Martial Raysse, pourtant activement recherché par le Centre Pompidou à l'occasion de la rétrospective du peintre en 2014. Le plaisir esthétique quotidien de la contemplation de cette femme ornée de plumes, protégée et magnifiée derrière sa vitrine, était accentué par ma jouissance transgressive de receleur de trésors d'Etat.
Seules les histoires d'amour méritent d'être racontées.
Sardanapale vs Klein.
C'est comme si on voulait comparer des danses folkloriques à une chorégraphie de Pina Bausch.
Et à force de prêcher le faux, la vérité finirait bien par apparaître.
Mais pas au point de déchirer rageusement sa carte de la CGT. La classe ouvrière a aussi le droit de prendre plaisir à singer la bourgeoisie, en attendant le Grand Soir, sans pour autant renier ses idéaux. Et puis Marius, pour rassurer toute l'équipe, avait promis de poser un autocollant de la Fête de l'Huma sur le pare-brise du Dolce Vita II, au risque de passer pour un apparatchick local.