
[...] ... - " ... Mais alors, [dit Wüllersdorf], "si tel est votre point de vue, si vous me dites : "J'aime tellement cette femme que je puis tout lui pardonner", et si nous ajoutons que tout cela remonte à une époque tellement lointaine que cela semble s'être passé sur une autre planète, s'il en est ainsi, Innstetten, je vous le demande, à quoi bon [ce duel] ?
- Parce qu'il le faut cependant. J'y ai mûrement réfléchi. L'homme n'est pas un isolé ; il appartient à un ensemble, et il faut prendre constamment en considération cet ensemble, nous dépendons absolument de lui. S'il s'agissait de vivre dans la solitude, je pourrais laisser aller les choses, je porterais mon fardeau, mon vrai bonheur serait évanoui, mais il en est tant qui vivent sans ce vrai bonheur ! je devrais faire comme eux - et je le pourrais. On n'a pas besoin d'être heureux, personne n'a droit au bonheur et il n'est pas nécessaire de rayer de l'univers celui qui vous vole votre bonheur. On peut le laisser courir, si on veut continuer à vivre hors du monde. Mais la vie en commun avec les hommes a formé quelque chose qui existe et d'après les prescriptions de quoi nous sommes habitués à tout juger, les autres et nous-mêmes. S'insurger là contre est impossible ; la société nous mépriserait, nous nous mépriserions nous-mêmes, nous ne pourrions le supporter et nous nous enverrions une balle dans la tête. Pardonnez-moi de vous faire un sermon qui, finalement, ne dit rien d'autre que ce que chacun s'est dit déjà cent fois à lui-même. Mais qui trouverait à dire du nouveau ? Ainsi donc, encore une fois, il ne s'agit pas de haine ni de rien d'analogue, et ce n'est pas pour une question de bonheur volé que je voudrais tacher de sang mes mains ; mais il s'agit, si vous voulez, de ce quelque chose de social et de tyrannique qui ne s'inquiète ni du charme, ni de l'amour, ni de savoir s'il y a prescription. Je n'ai pas le choix. Il le faut. ... "[...]
Mais il y a recevoir et recevoir. Recevoir en société, cela marche un temps ; mais recevoir dans sa famille pour le reste de sa vie, cela ne marche plus. Car on peut entrer dans une famille ducale, mais on n’entre pas dans une famille bourgeoise.
-Il est vieux et voudrait bien être jeune, il joue l'homme du monde et n'est en réalité qu'un Viennois, et, troisième et dernière chose, il croit que toutes les femmes sont folles de lui, et en réalité, il est tout simplement mené par le bout du nez.
- Donc, il ne te plaît pas ?
-Oh si. Il me plaît cependant.
-Un fat ne saurait plaire.
-Il n'est pas non plus un fat. Parfois il en est bien près, ou même il l'est tout à fait. Car il a toutes les extravagances d'un vieux célibataire et d'un fanatique du théâtre. Mais, en tout dernier lieu, il est cependant différent. Je crois qu'il a un très bon et brave coeur, et même un noble coeur.
"Tout ce qui doit nous faire plaisir est lié au temps et aux circonstances, et ce qui aujourd'hui représente un bonheur est sans valeur demain."
Dans cette détresse et ce dénouement, elle était vouée à périr si la comtesse n'eût pas été là.

[...] ... - "Eh bien, Effi, tu ne dis rien. Tu n'es pas rayonnante, tu n'as pas envie de rire. [Ton fiancé] dont les lettres ont toujours tant de verve et d'intérêt, sans jamais prendre un ton paternel.
- Je ne l'admettrais pas. Il a son âge et j'ai ma jeunesse. Je le menacerais du doigt et je lui dirais : "Geert, songe à ce qui vaut le mieux."
- Et alors, il te répondrait : "Ce que tu as, c'est cela qui vaut le mieux." Car il n'a pas seulement de la délicatesse et du savoir-vivre, mais il est juste compréhensif et il sait très bien ce que jeunesse veut dire. Il s'en imprègne, il s'y adapte, et s'il reste le même dans le mariage, vous serez un ménage modèle.
- Je le crois aussi, maman. Mais - j'ai presque honte à le dire - je ne suis pas très en faveur de ce qu'on appelle un ménage modèle.
- C'est tout-à-fait toi. Mais, dis-moi - en faveur de quoi es-tu au fond ?
- Je suis ... eh ! bien, je suis pour l'égalité et naturellement aussi pour la tendresse et pour l'amour. Et si l'amour et la tendresse ne sont pas possibles, parce que, comme dit papa, l'amour, c'est "des histoires" (ce que je ne crois pas, d'ailleurs) eh bien alors, je suis pour la richesse et pour une maison chic, très chic, où le prince Frédéric-Charles viendrait chasser l'élan ou le coq de bruyère, où l'Empereur ferait avancer sa voiture avec un mot aimable pour les dames et pour les enfants. Et quand nous serons à Berlin, alors je serais pour les bals de la Cour et les galas à l'Opéra, toujours tout contre la grande loge centrale.
- Est-ce que tu dis cela uniquement par orgueil et par caprice ?
- Non, maman, c'est très sérieux. D'abord il y a l'amour, mais, tout de suite après, la gloire et les honneurs, ensuite les distractions - toujours quelque chose de nouveau, qui me fasse rire ou pleurer. Ce que je ne puis supporter, c'est l'ennui." ... [...]
"Tu ne sais pas quel trésor est la jeunesse et comme les sentiments purs, qu'aucun souffle grossier n'a encore ternis, sont et demeurent ce que nous avons de meilleur."
Son enterrement fut un grand événement, comme l'avait été jadis son mariage, et dès le même jour le pasteur inscrivit dans le registre paroissial les dates de sa vie et de sa mort.
Elles y figurent comme une mise en garde, telle la sentence sur sa tombe.
Mais, leur survivant à toutes deux, s'élève au-dessus du Moulin de Diegel la blanche paroi rocheuse et, à son sommet, profondément incliné, le sapin d'Ellernklipp.
" [...] Quand on va jusqu'au bout des choses, on exagère et on récolte le ridicule. Pas de doute. Mais où cela commence-t-il ? Où est la limite ? Au bout de dix ans, le duel s'impose encore, c'est ce qu'on appelle l'honneur, mais au bout de onze ans, peut-être dix et demi, cela devient absurde. La limite, la limite ! Y est-elle ? L'avais-je déjà franchie ? Quand je revois son dernier regard, résigné, et souriant dans sa misère, je sais qu'il voulait dire : "Instetten, toujours à cheval sur un principe... Vous pouviez m'épargner cela, et à vous-même aussi." Et il avait peut-être raison. C'est ce que me dit à peu près ma conscience. Oui, si j'avais été animé d'une haine mortelle, si j'avais eu un profond désir de vengeance... La vengeance c'est pas belle, mais c'est quelque chose d'humain, elle a un droit naturel. Mais tout cela n'a été qu'une histoire montée de toutes pièces, une demi-comédie, pour l'amour d'une idée."

"Mais, répliqua Mélanie, ces façons tragiques, voilà précisément CE que nous attendons de vous, nous les femmes.
- Ah, bah ! Des façons tragiques ! dit van der Straaten. De la gaieté, voilà ce que vous demandez et un jeune freluquet qui vous tient l'écheveau lorsque vous faites une pelote de fil et qui est agenouillé à vos pieds sur un coussin, sur lequel, chose bizarre, est toujours brodé un petit chien. Comme symbole de fidélité, je suppose. Et alors, il soupire, lui, l'adorateur, le gamin suppliant, et fait les yeux doux et vous assure de sa très profonde sympathie. Car vous DEVEZ être malheureuses. Et puis de nouveau des soupirs et un silence. Sans doute, sans doute aviez-vous un bon mari, remarquait-il (tous les maris sont bons) mais enfin, il ne suffit pas qu'un homme soit bon, un homme doit également COMPRENDRE sa femme. C'est cela qui importait sinon le mariage était abject, tellement abject, plus qu'abject, disait-il. Et puis il soupirait pour la troisième fois. Et quand enfin le fil était dévidé, ce qui durait bien entendu le plus longtemps possible, vous étiez également convaincues. Car chacune d'entre vous étaient destinées au moins à un prince hindou ou au shah de Perse. Déjà pour les tapis."
Pendant ces élucubrations van der straatiennes, Mélanie avait hoché la tête et répliqué l'air pincé et non sans orgueil : "Je ne sais pas, Ezel, pourquoi tu parles sans cesse de fil. Je n'utilise que de la soie."