AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Theodora Kroeber (2)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Ishi

Les livres captivants, que l’on ne peut se résoudre à lâcher tant ils nous absorbent (au sens premier du mot), ne sont pas légions et méritent bien en retour une petite recommandation de la part du lecteur. « Ishi ou le testament du dernier Indien sauvage de l’Amérique du Nord » est de ceux-là. Paru en 1961, écrit par l’épouse même de l’anthropologue Alfred Kroeber, conservateur du musée d’anthropologie de Californie au début XXe siècle, il nous transmet l’histoire poignante du dernier Indien Yahi, une sous tribu des Indiens Yana de Californie.



Le livre est en deux parties fortement contrastées, suggérées naturellement par le titre original de l’ouvrage « Ishi in two Worlds ». Le chapitre d’introduction nous confronte à la scène d’un homme aux abois, exténué, émacié, ravagé par la faim et la peur, et échoué dans la cour d’un abattoir d’Oroville. Le shériff le conduira en prison, pour l’héberger et lui procurer nourriture et vêtements. L’histoire se passe en 1911. Alertés par les articles de presse relatant la découverte d’un Indien sauvage, les anthropologues Kroeber et Waterman de l’université de Californie soupçonnent qu’il peut s’agir du dernier survivant d’une tribu de cette région. Ils le prendront en charge au muséum d’anthropologie de San Francisco, qui deviendra sa dernière demeure. Ils pourront ainsi recueillir les derniers fragments d’une culture humaine désormais disparue. Mais les relations entre l’Indien et Alfred Kroeber dépasseront largement les préoccupations scientifiques et une véritable amitié naîtra entre les deux hommes. Ishi signifie « homme » en yahi ; c’est le nom qu’Alfred Kroeber lui a attribué, car « Ishi ne révéla jamais son nom yahi privé, tout comme s’il l’avait brûlé sur le bûcher funéraire des derniers êtres qui lui étaient chers ».



La première partie (Ishi le Yahi) raconte les dernières années des Indiens Yana dans la seconde moitié du XIXe siècle, et surtout les années de clandestinité imposées aux Yahi à partir de 1870. Ces chapitres nous apprennent que la Californie n’était pas déserte à l’arrivée des premiers espagnols au XVIe siècle : entre 150 et 300 000 Indiens occupaient le territoire, répartis dans un grand nombre de tribus aux langues très variées classées dans 5 grandes familles. Jusqu’à la prise de contrôle par les Etats-Unis en 1848, l’Espagne d’abord puis le Mexique ensuite n’ont jamais vraiment colonisé cet espace. A partir de 1769, les Indiens du centre et du sud de la Californie ont été affectés par les implantations d’une vingtaine de Missions, avec création du Présidio (le fort) et du Pueblo (le village). En faible nombre, les Espagnols devenus Mexicains se sont aussi métissés avec les Indiens survivants qui n’avaient pas été décimés par les maladies importées d’Europe. Les choses prennent une autre allure avec l’arrivée des anglo-saxons au XIXe. Ceux-ci ne se marient pas avec des « squaw » et pour eux « un bon Indien est un Indien mort ». Ils reçoivent des terres en concession pour mettre en valeur le pays et protéger les Missions des incursions des Indiens encore « sauvages » (pour les occidentaux) du nord du territoire. Ces premiers colons seront soutenus par les Etats-Unis dans leur révolte contre Mexico, avant de devenir citoyens des Etats-Unis en 1848, après la défaite du Mexique au Texas. La même année débute la ruée vers l’or et une marée humaine d’individus le plus souvent sans scrupule déferle en Californie. C’est le début de la fin pour les Indiens qui se heurtent à la lie de la civilisation occidentale sans qu’une autorité centrale forte impose l’ordre et la loi dans cet Etat. Le destin d’Ishi né dans les années 1860 est tragique au plus haut point. Toute sa vie, il aura fui les hommes blancs et verra le nombre des Yahi se réduire à une poignée, lui faisant prendre la cruelle conscience de la fin des hommes de son espèce. Réduits dans les dernières années à 4 personnes – sa mère, sa sœur, un viellard et lui-même – le groupuscule Yahi doit vivre en permanence de manière invisible et inaudible. Ils se terrent dans des cavernes, ou sur un étroit promontoire juché en hauteur à flanc de paroi rocheuse, là où les ours choisissent leurs tanières. Leurs feux sont toujours petits pour éviter que la fumée ne s’élève trop haut, leurs abris toujours dissimulés des regards. Ils marchent sur les rochers pour éviter de laisser des empreintes dans le sol. Ils sont sans cesse en éveil pour effacer toute trace de leur existence sur Terre. Et ils connaissent la faim de manière endémique ce qui les contraint à voler vivres ou bétails chez les hommes blancs qui les pourchassent sans pitié. Avant de terminer son errance de bête traquée dans la cour d’un abattoir, Ishi connaitra plusieurs années de solitude absolue, réduit à lui seul, sans un seul être à qui parler et pouvant l’épauler. Les Yahi auront été une petite tribu irréductible parmi les Indiens de Californie et "la plus petite nation libre du monde qui, grâce à un courage, une ténacité et une force d'âme sans exemple, réussit à tenir tête à la marée de la civilisation vingt-cinq années de plus que Geronimo lui-même et sa fameuse bande d'Apaches". Ce sont les termes mêmes d’Alfred Kroeber, mais l’expression « tenir tête » me semble moins pertinente que le qualificatif « irréductible ». Les dés étaient pipés pour les Indiens, la partie perdue d’avance…



La seconde partie (Ishi au muséum) retrace les 4 à 5 dernières années de son existence, dans un monde totalement et radicalement différent de celui de sa vie antérieure d’Indien. Ishi l’homme de l’âge de pierre est transplanté au XXe siècle. Il est accueilli au muséum de l’université de Californie qui deviendra sa dernière demeure. Ces passages sont extrêmement intéressants dans la mesure où l’auteur nous offre, par le truchement d’Ishi, un regard externe sur notre propre civilisation occidentale et notre façon d’être au monde. On y découvre sa répugnance de la foule, sa découverte effarée de la multitude lorsqu’il contemple les plages bondées du bord de Pacifique (« il ignorait que tant de gens pussent habiter la terre en même temps »). Grâce à Kroeber et Waterman, il occupera les fonctions de concierge adjoint à l’université pour 25 $ par mois. Il faut lire ces lignes exprimant son étonnement d’Indien catapulté dans le monde « immense, populeux et terrifiant » des« Saltu » (les Blancs) qui venaient d’exterminer son peuple. Il s’émerveille devant certaines manifestations du génie des Blancs comme le train, les allumettes, la colle ou les stores. Il ne deviendra pas pour autant un objet de foire, une bête curieuse manipulée à des fins pécuniaires par des cupides sans scrupules, grâce à la vigilance de ses hôtes. Il deviendra l’ami de presque tout le monde, des deux professeurs au gardien, du médecin de l’hôpital voisin (où il aura ses entrées libres) aux préparateurs de l’université et au public du musée. Il sera même un vrai mythe populaire. Et malgré sa condition d’Indien, il s’adaptera à beaucoup de choses en démontrant ainsi son intelligence propre et d’indéniables qualités personnelles. Ishi constituera aussi une rareté pour tout musée d’anthropologie car il sera en définitive la matière vivante de ce musée où le reste est inerte, empaillé, couché sur le papier ou enregistré. Dernier représentant des Indiens Yana, il partagera avec ses amis et avec le public son art de fabriquer arcs et flèches, de travailler le silex et l’obsidienne, de faire du feu par friction. Ses dernières années furent malheureusement écourtées par la maladie. Comme tous les Indiens, il n’était pas immunisé contre les germes véhiculés par les Européens et il attrapa bien vite rhume, pneumonie et tuberculose. Avant de rejoindre le Pays des Morts, sa dépouille fut incinérée, ainsi que le commande la coutume indienne. Le public regretta beaucoup Ishi et ses amis Kroeber et Waterman reçurent de nombreuses lettres affectueuses et attristées. L’absence d’Ishi flotta longtemps, comme une présence sourde dans un silence inhabituel.



La 4e de couverture est très explicite et résume bien le livre qui compte parmi les ouvrages qui marquent et dont on se souvient longtemps. L’écriture est simple, la traduction agréable, mais l’histoire est forte et violente. Elle vous agrippe d’emblée et ne vous lâche pas de si tôt. C’est aussi un très beau témoignage humain. Par cette confrontation brutale de deux mondes et deux civilisations aussi radicalement différentes et incompatibles entre elles, il ne cesse de nous interroger sur nous-mêmes. On ne peut s’empêcher de penser à ce qui aurait pu advenir pour les Amérindiens de Californie si l’invasion de leur territoire ou si la ruée vers l’or n’étaient pas survenues.



Et comme l’écrit le Babélien Gaufredi dans sa critique d’Ishi, cette lecture ressort également du devoir de mémoire. Sinon comme Californien, du moins comme Occidental ou simplement en tant qu’être humain. Pour l’un des plus grands génocides de l’Histoire humaine.

Il y a beaucoup de livres qu’on peut ne pas lire, ceux qu’il ne faut pas lire et aussi ceux qu’il faut lire. Ishi appartient à cette troisième catégorie.

Commenter  J’apprécie          201
Ishi

Bien loin des clichés éculés des Westerns, présentant les Indiens comme "de méchants sauvages qui massacrent des blancs plus ou moins sadiquement", cet ouvrage ethnographique remet les choses à leur place : les Indiens ont bel et bien été systématiquement massacrés par les blancs.



L'histoire véritable de Ishi, dernier indien de sa tribu, est pathétique car elle montre vraiment que "l'Homme est un loup pour l'Homme"...Voici un autre génocide à ne pas oublier, et grâce aux témoignages de Ishi, nous rentrons dans la culture indienne (encore une fois bien loin de l'Indien dansant autour du feu, etc).



Ce livre me semble incontournable aussi pour le point suivant : Ishi a été considéré comme un animal (mis dans un zoo) et toute la "Bonne Société" blanche venait, entre autre se faire peur à voir "l'Indien". A mettre en parallèle avec "Cannibale" de Didier Daeninckx, qui raconte l'histoire de kanaks montrés à l'exposition Universelle de 1931...



Devoir de mémoire...
Commenter  J’apprécie          50


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Theodora Kroeber (79)Voir plus

Quiz Voir plus

Au Moulin Rouge

Le Moulin-Rouge, fondé en 1889, est situé sur le boulevard de Clichy dans le 18e arrondissement, quartier:

Montparnasse
Pigalle
Les Halles

10 questions
11 lecteurs ont répondu
Thèmes : Paris (France) , cabaret , moulin rouge , nuits blanches , danse , culture générale , littérature , peinture , cinema , adapté au cinémaCréer un quiz sur cet auteur

{* *}