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Citations de Théodore de Banville (161)


Quand le soir est venu, les Parisiens sont si heureux d'être libérés du travail diurne que, tout en se promenant, ils ruminent comme des bœufs , heureux et stupéfaits, et alors on peut bien démolir Paris sans qu'ils s'en aperçoivent.

"Le Juif"
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Ce que j'ai, ce que je vends, ce que je donne, je ne vous l'ai jamais refusé ; ce n'est pas ma faute si vous n'en voulez pas, et à ce propos vous m'obligerez en reprenant le petit portefeuille de maroquin blanc, effroyablement gonflé, que vous m'avez envoyé sur fond de la corbeille de fleurs. Mais quoi ! vous me demandez de l'amour, et je n'en ai pas, je n'en tiens pas : dans mon cœur il n'y a que du mépris et de la haine ! J'ai été élevée par une mégère qui me piétinait sur le ventre ; en plein hiver j'errais avec une robe de toile, sans chemise, et chaussée de souliers qui n'avaient pas de semelles ! Mes fêtes, c'était quand je pouvais piquer la fourchette dans la poêle des arlequins à un sou ; enfin j'ai été vendue tout enfant, sans cesser d'appartenir à l'ignoble misère. J'ai été arrêtée, brutalisée, jetée dans les prisons ; j'ai connu toutes les horreurs avant d'avoir acquis la force de vivre ; et à présent que me voilà riche, belle, maîtresse de tout, plus indifférente que si j'avais été taillée dans le marbre, vous me dites : Donnez-moi de l'amour ! Et avec quoi voulez-vous que j'en fasse !

"Jamais trop tard"
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BALLADE DES PENDUS


Sur ses larges bras étendus,
La forêt où s’éveille Flore,
A des chapelets de pendus
Que le matin caresse et dore.
Ce bois sombre, où le chêne arbore
Des grappes de fruits inouïs
Même chez le Turc et le More,
C’est le verger du roi Louis.

Tous ces pauvres gens morfondus,
Roulant des pensers qu’on ignore,
Dans les tourbillons éperdus
Voltigent, palpitants encore.
Le soleil levant les dévore.
Regardez-les, cieux éblouis,
Danser dans les feux de l’aurore.
C’est le verger du roi Louis.

Ces pendus, du diable entendus,
Appellent des pendus encore.
Tandis qu’aux cieux, d’azur tendus,
Où semble luire un météore,
La rosée en l’air s’évapore,
Un essaim d’oiseaux réjouis
Par-dessus leur tête picore.
C’est le verger du roi Louis.

Envoi

Prince, il est un bois que décore
Un tas de pendus, enfouis
Dans le doux feuillage sonore.
C’est le verger du roi Louis !
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ARIANE

Et Dionysos aux cheveux d’or épousa
la blonde Ariadnè, fille de Minos, et
il l’épousa dans la fleur de la jeunesse, et le
Kroniôn la mit à l’abri de la vieillesse et
la fit Immortelle.
Hesiode, Théogonie. —
Trad. Leconte de Lisle.


DANS Naxos, où les fleurs ouvrent leurs grands calices
Et que la douce mer baise avec des sanglots,
Dans l’île fortunée, enchantement des flots,
Le divin Iacchos apporte ses délices.

Entouré des lions, des panthères, des lices,
Le Dieu songe, les yeux voilés et demi-clos ;
Les Thyades au loin charment les verts îlots
Et de ses raisins noirs ornent leurs cheveux lisses.

Assise sur un tigre amené d’Orient,
Ariane triomphe, indolente, et riant
Aux lieux même où pleura son amour méprisée.

Elle va, nue et folle et les cheveux épars,
Et, songeant comme en rêve à son vainqueur Thésée,
Admire la douceur des fauves léopards.

p.225-226
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Théodore de Banville
Camille, en dénouant sur votre col de lait
Vos cheveux radieux plus beaux que ceux d’Hélène,
Égrenez tour à tour, ainsi qu’un chapelet,
Ces guirlandes de fleurs sur ces tapis de laine.

Tandis que la bouilloire, éveillée à demi,
Ronfle tout bas auprès du tison qui s’embrase,
Et que le feu charmant, tout à l’heure endormi,
Mélange l’améthyste avec la chrysoprase ;

Tandis qu’en murmurant, ces vins, célestes pleurs,
Tombent à flots pressés des cruches ruisselantes,
Et que ces chandeliers, semblables à des fleurs,
Mettent des rayons d’or dans les coupes sanglantes ;

Que les Dieux de vieux Saxe et les Nymphes d’airain
Semblent, en inclinant leur tête qui se penche,
Parmi les plâtres grecs au visage serein,
Se sourire de loin dans la lumière blanche ;

Les bras et les pieds nus, laissez votre beau corps
Dont le peignoir trahit la courbe aérienne,
Sur ce lit de damas étaler ses accords,
Ainsi qu’un dieu foulant la pourpre tyrienne.

Que votre bouche en fleur se mette à l’unisson
Du vin tiède et fumant, de la flamme azurée
Et de l’eau qui s’épuise à chanter sa chanson,
Et dites-nous des vers d’une voix mesurée.

Car il faut assouplir nos rhythmes étrangers
Aux cothurnes étroits de la Grèce natale,
Pour attacher aux pas de l’Ode aux pieds légers
Le nombre harmonieux d’une lyre idéale.

Il faut à l’hexamètre, ainsi qu’aux purs arceaux
Des églises du Nord et des palais arabes,
Le calme, pour pouvoir dérouler les anneaux
Saints et mystérieux de ses douze syllabes !
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Une tête merveilleusement charmante, la peau d’une pâleur chaude et couleur d’ambre, les sourcils droits et soyeux. L’œil enflammé, noyé, à la fois humide et brûlant, perdu dans la rêverie n’y voit pas mais est délicieux à voir. La bouche, voluptueuse, songeuse, empourprée de sang, la barbe à la fois douce et enfantine, l’abondante chevelure brune, l’oreille petite et délicate concourent à un ensemble fièrement viril malgré la grâce féminine. Avec ce physique invraisemblable, Alphonse Daudet avait le droit d’être un imbécile ; au lieu de cela, il est le plus délicat et le plus sensitif de nos poètes.

(à propos d'Alphonse Daudet)
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Théodore de Banville
Sculpteur, cherche avec soin, en attendant l'extase,
Un marbre sans défaut pour en faire un beau vase ;
Cherche longtemps sa forme et n'y retrace pas
D'amours mystérieux ni de divins combats.
Pas d'Héraklès vainqueur du monstre de Némée,
Ni de Cypris naissant sur la mer embaumée ;
Pas de Titans vaincus dans leurs rébellions,
Ni de riant Bacchos attelant les lions
Avec un frein tressé de pampres et de vignes ;
Pas de Léda jouant dans la troupe des cygnes
Sous l'ombre des lauriers en fleurs, ni d'Artémis
Surprise au sein des eaux dans sa blancheur de lys.
Qu'autour du vase pur, trop beau pour la Bacchante,
La verveine mêlée à des feuilles d'acanthe
Fleurisse, et que plus bas des vierges lentement
S'avancent deux à deux, d'un pas sûr et charmant,
Les bras pendant le long de leurs tuniques droites
Et les cheveux tressés sur leurs têtes étroites.
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V/6 - Soleil


Lorsque Juin fait même sourire
Le noir cachot,
Je n'aime pas entendre dire
Qu'il fait trop chaud.

Non. Pas assez chaud. Que notre âme
Au jour vermeil
Renaisse, prenne un bain de flamme
Et de soleil !

O Zéphyr, tandis que tu bouges
Dans le ciel bleu,
Que toutes les lèvres soient rouges
Comme du feu !

Que hors du corsage, sans honte
Les jeunes seins
Tressaillent, sans rendre nul compte
De leurs desseins !

Je veux dans les apothéoses
Entendre, autour
Du jardin, les bouches des roses
Crier d'amour !

Oublions les matins livides,
Flore aux abois,
La malignité des avides
Marchands de bois,

Et voulant que l'azur nous voie
Contents, ayons
Les prunelles pleines de joie
Et de rayons !

16 juin 1888.
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Gringoire - Je vais vous dire la "ballade" des pendus". (au roi, avec orgueil et confidentiellement.) Elle est de moi. (naïvement.) C'est une idée que j'ai eue en traversant la forêt du Plessis, où il y avait force gens branchés. On les avait mis là, peut-être, de peur que la rosée du matin ne mouillât leurs semelles !
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Théodore de Banville
N'est-ce pas à peu près comme si l'on avait dit à quelque dieu, après la création : "Voilà l'univers fini : recommencez-le !"
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Théodore de Banville
Quelle créature ce fut, quelle révolution, quel monde soulevé par la conception de Madame Bovary !
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Dernière angoisse.

Au moment de jeter dans le flot noir des villes
Ces choses de mon cœur, gracieuses ou viles,
Que boira le gouffre sans fond,
Ce gouffre aux mille voix où s’en vont toutes choses,
Et qui couvre d’oubli les tombes et les roses,
Je me sens un trouble profond.

Dans ces rhythmes polis où mon destin m’attache
Je devrais servir mieux la Muse au front sans tache ;
Au lieu de passer en riant,
Sur ces temples sculptés dont l’éclat tourbillonne
Je devrais faire luire un flambeau qui rayonne
Comme une étoile à l’Orient ;

Rebâtir avec soin les histoires anciennes,
À chaque monument redemander les siennes,
Dont le souvenir a péri ;
Chanter les dieux du Nord dont la splendeur étonne,
À côté de Vénus et du fils de Latone
Peindre la Fée et la Péri ;

Ranimer toute chose avec une syllabe,
L’ogive et ses vitraux de feu, le trèfle arabe,
Le cirque, l’église et la tour,
Le château fort tout plein de rumeurs inouïes,
Et le palais des rois, demeures éblouies
Dont chacune règne à son tour ;

Les murs Tyrrhéniens aux majestés hautaines,
Les granits de Memphis et les marbres d’Athènes
Qu’un regard du soleil ambra,
Et des temps révolus éveillant le fantôme,
Faire briller auprès d’un temple polychrome
Le Colisée et l’Alhambra !

J’aurais dû ranimer ces effroyables guerres
Dont les peuples mourants s’épouvantaient naguères,
Meurtris sous un rude talon,
Dire Attila suivi de sa farouche horde,
Charlemagne et César, et celui dont l’exorde
Fut le grand siège de Toulon !

Puis, après tous ces noms, sur la page choisie
Écrire d’autres noms d’art et de poésie,
Dont le bataillon espacé
Par des poèmes d’or, dont la splendeur enchaîne
L’époque antérieure à l’époque prochaine,
Illumine tout le passé !

Dans ce grand Panthéon, des dalles jusqu’aux cintres
Graver des noms sacrés de chanteurs et de peintres,
D’artistes rêvés ardemment ;
À chacun, soit qu’il cherche un poème sous l’arbre,
Ou qu’il jette son cœur dans la note ou le marbre,
Faire une place au monument !

Dire Moïse, Homère à la voix débordante
Qui contenait en lui Tasse, Virgile et Dante ;
Dire Gluck, penché vers l’Éden,
Mozart, Gœthe, Byron, Phidias et Shakspere,
Molière, devant qui toute louange expire,
Et Raphaël et Beethoven !

Montrer comment Rubens, Rembrandt et Michel-Ange
Mélangeaient la couleur et pétrissaient la fange
Pour en faire un Jésus en croix ;
Et comment, quand mourait notre Art paralytique
Apparurent, guidés par l’instinct prophétique,
Le grand Ingres et Delacroix !

Comment la Statuaire et la Musique aux voiles
Transparents, ont porté nos cœurs jusqu’aux étoiles ;
Nommer David, sculptant ses Dieux,
Rossini, gaieté, joie, ivresse, amour, extase,
Et Meyerbeer, titan ravi sur un Caucase
Dans l’ouragan mélodieux !

Mais surtout dire à tous que tu grandis encore,
Ô notre chêne ancien que le vieux gui décore,
Arbre qui te déchevelais
Sur le front des aïeux et jusqu’à leur épaule,
Car Gautier et Balzac sont encore la Gaule
De Villon et de Rabelais !

Montrer l’Antiquité largement compensée,
Et comparant de loin ces œuvres de pensée
Qu’un sublime destin lia,
Répéter après eux, dans leur langage énorme,
Ce que disent les vers de Marion Delorme
Aux chapitres de Lélia !

Pas à pas dans son vers suivre chaque poème,
Chaque création arrachée au ciel même,
Et surtout le vers de Musset,
Fantasio divin, qui, soit qu’il se promène
Dans les rêves du ciel ou la souffrance humaine,
Devient un vers que chacun sait !

Enfin, pour un moment traînant mes Muses blanches
Sur les hideux tréteaux et les sublimes planches,
Aller demander au public
Les noms de ceux qui font sa douleur ou son rire,
Puis, avant tous ces noms, sur le feuillet inscrire
George, Dorval et Frédérick !

Ainsi, des temps passés relevant l’hyperbole,
Et, comme un pèlerin, apportant mon obole
À tout ce qui luit fort et beau,
J’aurais voulu bâtir sur l’arène mouvante
Un monument hardi pour la gloire vivante,
Pour la gloire ancienne un tombeau !

Hélas ! ma folle Muse est une enfant bohème
Qui se consolera d’avoir fait un poème
Dont le dessin va de travers,
Pourvu qu’un beau collier pare sa gorge nue,
Et que, charmante et rose, une fille ingénue
Rie ou pleure en lisant ses vers.
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A un ami.

Mon ami, n’allez pas surtout vous soucier
De la lettre qu’on vous apporte ;
Ce n’est qu’une facture, et c’est un créancier
Qui vient de sonner à la porte.

Parcourant sans repos, dernier des voyageurs,
Les Hélicons et les Permesses,
Pour payer mes wagons, j’ai dû chez les changeurs
Escompter l’or de vos promesses

Vérité sans envers, que l’on nierait en vain,
Car elle est des plus apparentes,
L’artiste ne peut guère, avec son luth divin,
Réaliser assez de rentes.

Ainsi que la marmotte, il se sent mal au doigt
A force de porter sa chaîne :
Toujours il a mangé le matin ce qu’il doit
Toucher la semaine prochaine.

A moins qu’il soit chasseur de dots, et fait au tour,
Dieu sait quelle intrigue il étale
Pour ne pas déjeuner, plus souvent qu’à son tour,
Au restaurant de feu Tantale !

Moi qui n’ai pas les traits de Bacchos, je ne puis
Compter sur ma beauté physique.
Je suis comme la Nymphe auguste dans son puits ;
Je n’ai que ma boîte à musique !

Ainsi, j’ai beau nommer l’Amour " my dear child ",
Être un Cyrus en nos escrimes,
Et faire encor pâlir le luxe de Rothschild
Par la richesse de mes rimes,

Je ne saurais avec tous ces vers que paiera
Buloz, s’il survit aux bagarres,
D’avance entretenir des filles d’Opéra,
Ni même acheter des cigares.

Oui, moi que l’univers prendrait pour un richard,
Tant je prodigue les tons roses,
Je suis, pour parler net, semblable à Cabochard,
Je manque de diverses choses.

Le cabaret prétend que Crédit est noyé,
Et, si ce n’est chez les Osages,
Je m’aperçois enfin que l’argent monnoyé
S’applique à différents usages.

Je sais bien que toujours les cygnes aux doux chants,
Près des Lédas archiduchesses,
Ont fait de jolis mots sur les filles des champs
Et sur le mépris des richesses ;

Monsieur Scribe lui-même enseigne qu’un trésor
Cause mille angoisses amères ;
Mais je suis intrépide : envoyez-moi de l’or,
Je n’ai souci que des chimères !
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Le critique en mal d’enfant.

Ce critique célèbre est mort en mal d’enfant.
Quel critique ! Il était fort comme un éléphant,
Vif et souple comme une anguille.
S’il étirait un peu ses membres avec soin,
Il enjambait la mer, et savait au besoin
Passer par le trou d’une aiguille.

Au spectacle c’était charmant. Comme il jasait !
L’article Frédérick, l’article Déjazet
Pour lui ne gardaient pas d’arcanes.
Quant à ce qu’on appelle en ce temps-ci : des mots,
Il en laissait toujours au milieu des marmots
Sept ou huit au bureau des cannes.

Il avait de l’esprit comme Jules Janin
Et comme Beaumarchais ; le sourcil léonin
De ce Jupiter de la rampe
Faisait tout tressaillir, Achilles, Arlequins
Et Gilles ; devant lui ces porte-brodequins
Étaient comme le ver qui rampe.

Ce n’était qu’or et pourpre à tous ses dévidoirs.
Des myrtes qu’il avait cueillis dans les boudoirs
On eût chargé vingt dromadaires.
Certes il s’en fallait peu qu’il ne mît à bas
La Presse, La Patrie et même Les Débats
Par ses succès hebdomadaires !

On disait : « Prémaray, ce divin bijoutier,
A pourtant le ciseau moins agile, et Gautier
La touche moins fine et moins grasse ;
Saint-Victor et Méry, coloristes vermeils,
Ne peignent pas si bien les cheveux des soleils :
Janin lui-même a moins de grâce. »

Il n’était pas heureux pourtant. Devant son feu
Où parfois en silence il voyait d’un œil bleu
Mourir en cendre un demi-stère,
Des spectres noirs, sortis du fond de l’encrier,
Le talonnaient. C’est bien le cas de s’écrier
Ici : « Quel est donc ce mystère ? »

Ou bien il était triste en même temps que gai,
Mêlant De Profundis avec Ma mie, ô gué !
Telle en ces paysages qu’orne
Une blanche fontaine aux paillettes d’argent,
La lune, astre des nuits, folâtre mais changeant,
Montre ensemble et cache une corne.

Tel vous pouvez le voir gravé par Henriquel ;
Et voici le fin mot : le malheur pour lequel,
Poussant des plaintes étouffées,
Il laissait tant languir son âme en désarroi,
C’était de n’avoir pas d’enfants, comme ce roi
Qu’on voit dans les contes de fées.

Parfois contemplant seul, le front chargé d’ennuis,
Les clous de diamants sur le plafond des nuits,
Il invoquait les Muses, l’une
Ou l’autre, et leur disait : « Érato, mon trésor !
Thalie ! ô Melpomène à la chaussure d’or ! »
Il disait à la Lune : « O Lune !

Ne m’inspirerez-vous aucun ouvrage ? rien ?
Quoi ! pas même un nouveau système aérien ?
Un livre sur l’architecture ?
Un vaudeville, grand de toute ma hauteur ?
Ne deviendrai-je point ce qu’on nomme un auteur
Dans les cabinets de lecture ?

Oui, la gloire est à moi, j’ai su m’en emparer ;
Et, ne produisant rien, je puis me comparer
Aux filles qu’on marie honnêtes ;
Je reste magnifique autant que paresseux,
Oui, mais ne pouvoir être à mon tour un de ceux
Qui montrent les marionnettes !

Ce Lesage, hélas ! ni cet abbé Prévost !
Ni ce vieux Poquelin sur qui rien ne prévaut !
Ni ce Ronsard, ni ce Malherbe !
Danser toujours, pareil à Madame Saqui !
Sachez-le donc, ô Lune, ô Muses, c’est ça qui
Me fait verdir comme de l’herbe !

Oh ! que ne puis-je, enflant cette bouche, hardi,
Hurler ces drames noirs que signe Bouchardy,
Ou bien par un grand élan d’aile,
Faire enfin, n’étant plus un eunuque au sérail,
Des romans comme ceux de Ponson du Terrail
Ou du ténébreux La Landelle ! »

Il le faut, tôt ou tard un dénouement a lieu.
Or, la nymphe d’une eau thermale, ou quelque dieu
Mettant le nez à la fenêtre,
Voulut prendre en pitié l’illustre paria.
Notre homme devint gros, et chacun s’écria :
« Quelque chose de fort va naître. »

Lui se tordait avec mille contorsions
De gésine. Ébloui par les proportions
Vertigineuses de sa taille,
Le prenant pour un mont, Préault disait : « Oh ! ça,
C’est Pélion, ou bien son camarade Ossa :
Allez-vous-en, que je le taille ! »

Et l’attente dura dix ans. Les médisants,
Comme un chœur de vieillards, répétèrent dix ans
A la foule, en s’approchant d’elle :
« Tu prépares ton clair lorgnon, mais vainement.
Va plutôt voir Guignol que cet événement :
Le jeu n’en vaut pas la chandelle ! »

Enfin, pour accoucher le moderne Pança,
On prit tout bonnement une épingle : on pensa
Le vider comme un œuf d’autruche.
Il ne sortit pas même, ô rage ! une souris
De ce ventre dont l’orbe excita nos souris :
Le critique était en baudruche !
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Ballade en l’honneur de sa Mie

Je ne vois que marionnettes
Comme celles de Fagotin.
L’un est amoureux des planètes,
Cet autre court dès le matin
Pour un bracelet florentin
Ou pour un livre d’alchimie.
Moi qui me fie à mon destin,
Je ne veux du tout que ma mie.

On peut s’aller pendre aux sonnettes
Pour obtenir un picotin;
On peut débiter des sornettes
Avec l’aplomb d’un libertin;
On peut s’enivrer au festin;
On arrive à l’Académie
Avec un livre clandestin;
Je ne veux du tout que ma mie.

Ils se pâment pour des nonnettes
Qui font leur babil enfantin
A la façon des serinettes.
Pourvu qu’elles aient l’air mutin,
Des hommes de Romorantin
Couvrent la plus sèche momie
De diamants et de satins:
Je ne veux du tout que ma mie.

Envoi.

Que Rothschild garde son butin,
Leverrier son astronomie,
Et monsieur Nisard son latin,
Je ne veux du tout que ma mie.

Janvier 1862.
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Le Printemps

Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses des lilas fleurissent.
Les amantes qui te chérissent
Délivrent leurs cheveux flottants.

Sous les rayons d’or éclatants
Les anciens lierres se flétrissent.
Te voilà, rire du Printemps !
Les thyrses de lilas fleurissent.

Couchons-nous au bord des étangs,
Que nos maux amers se guérissent !
Mille espoirs fabuleux nourrissent
Nos cœurs gonflés et palpitants.
Te voilà, rire du Printemps !
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Rire

Rions sur la terre en délire
Où la lumière aime et fleurit,
Puisque le clair, le divin Rire
Nous appartient, comme l’Esprit.

Rions sous la clarté qui tombe
Parmi les rameaux chevelus;
Car, amis, la blanche colombe
Ne rit pas, le tigre non plus.

Oui, rions sous les flammes vives,
Puisque c’est notre beau destin
D’être les glorieux convives
Assis à l’immortel festin;

Puisque la Vie âpre et sévère
Aura son éclatant réveil;
Puisque brillent dans notre verre
Les rouges vins, pleins de soleil;

Puisque l’Homme, cueillant des roses,
Peut dire au divin Rabelais:
Tu sais toutes sortes de choses
Amusantes, conte-moi-les!

Puisque le sommelier Prodige
Est notre docile échanson;
Puisque c’est, lorsque je l’exige,
Hugo qui chante une chanson,

Et puisque, auprès du bleu pilastre,
Le diamant aux cieux cloué
N’est certes pas un plus bel astre
Que la prunelle de Chloé.

22 septembre 1888.
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Ballade du Rossignol

Sous les berceaux touffus, près de la rive,
Deux amoureux, couple jeune et charmant,
Passent. Il est heureux, elle est pensive.
La bien-aimée a souri tendrement,
Dans ses yeux noirs brille un noir diamant.
C’est l’heure émue, ardente, électrisée!
Pour sa compagne auprès de lui posée,
Au vaste azur qu’a mesuré son vol,
Lançant, joyeux, sa voix divinisée,
Au fond des bois chante le rossignol.

La bien-aimée, âme fière et captive,
Laisse tomber ses bras languissamment.
Elle frémit comme une sensitive.
Devant ses yeux tout n’est qu’enchantement.
La blanche lune éclaire à ce moment
Sa main d’enfant, par les lys jalousée.
Dans les rameaux, sur la rive opposée,
Semblant alors égrener sur le sol
Sa strophe d’or de mille feux croisée,
Au fond des bois chante le rossignol.

Ils parlent bas, et la brise furtive
Touche leurs fronts délicieusement.
Pâle de joie et cependant craintive,
La bien-aimée, au bord du flot dormant,
Vient, et se penche au bras de son amant.
L’aile du feu des astres arrosée,
Et frémissante et par le vent baisée,
Fier, célébrant son triomphe, le col
Dans la lumière et baigné de rosée,
Au fond des bois chante le rossignol.

Envoi.
Le chant éclate en brillante fusée,
Et, s’enivrant de lumière irisée,
L’oiseau dérobe aux cieux, par un doux vol,
Les traits divins de son hymne embrasée.
Au fond des bois chante le rossignol.

Juillet 1869.
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Les petits Lapins, dans le bois,
Folâtrent sur l’herbe arrosée
Et, comme nous le vin d’Arbois,
Ils boivent la douce rosée.

Gris foncé, gris clair, soupe au lait,
Ces vagabonds, dont se dégage
Comme une odeur de serpolet,
Tiennent à peu près ce langage:

Nous sommes les petits Lapins,
Gens étrangers à l’écriture
Et chaussés des seuls escarpins
Que nous a donnés la Nature.

Près du chêne pyramidal
Nous menons les épithalames,
Et nous ne suivons pas Stendhal
Sur le terrain des vieilles dames.

N’ayant pas lu Dostoïewski,
Nous conservons des airs peu rogues
Et certes, ce n’est pas nous qui
Nous piquons d’être psychologues.

Exempts de fiel, mais non d’humour
Et fuyant les ennuis moroses,
Tout le temps nous faisons l’amour,
Comme un rosier fleurit ses roses.

Nous sommes les petits Lapins,
C’est le poil qui forme nos bottes,
Et, n’ayant pas de calepins,
Nous ne prenons jamais de notes.

Nous ne cultivons guère Kant;
Son idéale turlutaine
Rarement nous attire. Quant
Au fabuliste La Fontaine,

Il faut qu’on l’adore à genoux;
Mais nous préférons qu’on se taise,
Lorsque méchamment on veut nous
Raconter une pièce à thèse.

Étant des guerriers du vieux jeu,
Prêts à combattre pour Hélène,
Chez nous on fredonne assez peu
Les airs venus de Mitylène.

Préférant les simples chansons
Qui ravissent les violettes,
Sans plus d’affaire, nous laissons
Les raffinements aux belettes.

Ce ne sont pas les gazons verts
Ni les fleurs, dont jamais nous rîmes
Et, qui pis est, au bout des vers
Nous ne dédaignons pas les rimes.

En dépit de Schopenhauer,
Ce cruel malade qui tousse,
Vivre et savourer le doux air
Nous semble une chose fort douce,

Et dans la bonne odeur des pins
Qu’on voit ombrageant ces clairières,
Nous sommes les tendres Lapins
Assis sur leurs petits derrières.
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La scène est à Paris, vers 1720. Le théâtre représente une place publique, très déserte, dans le voisinage du Luxembourg.
Au fond, une portion de la grille laisse entrevoir, à demi cachés par les massifs d'arbres, les bâtiments et les parterres du palais.
Les deux côtés de la scène sont occupés par des maisons vieilles et basses, et par des murs de jardins en ruine, sur lesquels retombent extérieurement des lierres, des branches fleuries et des plantes grimpantes.
A droite, au premier plan, la maison d'Orgon, construction du temps de Louis XIII, en briques rouges et roses, aux encadrements de pierres taillées à facettes, avec un balcon avancé au premier étage.
Au second plan, le mur du jardin, tout couvert de feuillages, et protégé par une borne.
Au premier plan, à gauche, un banc de marbre à demi brisé.
Le haut des toits s'éclaire peu à peu, le soleil vient de se lever.
Léandre paraît au fond, fait en sautillant le tour du théâtre, puis s'arrête devant la maison d'Orgon en lançant des regards passionnés, et, arrivé sur le devant de la scène, déclame avec enthousiasme les premiers vers...
(lever de rideau de "le beau Léandre", comédie en un acte en vers de Théodore de Banville)
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