J'ai toujours l'échiquier que mon père a fabriqué quand j'étais enfant, et les pièces en bois avec lesquelles on jouait. En me replongeant dans ce jeu de guerre et de stratégie, je repense à ce reportage et au fait qu'aucun des Vietnamiens filmés n'avait de nom ni de voix. Mes grands-parents, mes parents, mes soeurs et moi... nous n'étions aucune de ces pièces sur l'échiquier. Nos étions plutôt comme des fourmis essayant de nous protéger des géants et de s'enfuir assez loin du danger pour pouvoir reprendre une vie normale.
Effrayée par mon père et ayant besoin de sécurité et de confort...
... je ne me rendais pas compte que la terreur qui m'habitait n'était que l'ombre de la sienne.
Dans une guerre, chaque victime est la grand-mère, le grand-père, la mère le père, le frère, la sœur ou l'amour de quelqu'un.
Ce qui m'inquiétait depuis que j'avais un enfant à moi...
.. était de savoir si je lui avais transmis le gène de la mélancolie...
Ou si j'allais inconsciemment lui causer des dommages irréversibles.
Mais quand je regarde mon fils de dix ans maintenant...
...Je ne vois en lui ni guerre ni deuil...
Ni même Travis ou moi.
Je vois une vie toute neuve liée à la mienne comme par accident...
... et je crois qu'il a de bonnes chances de la vivre libre.
On en veut toujours à nos parents pour des choses qu'ils ont faites ou PAS faites...
Le trait caractéristique de la culture vietnamienne est mon héritage. Ce besoin inexplicable et cette capacité extraordinaire à fuir quand il se passe quelque chose de grave. Mon réflexe de réfugiée.
Désormais la FAMILLE est quelque chose que j'ai créé...
Et plus seulement l'entité dans laquelle je suis née.
Si avoir un enfant m'a appris quelque chose... c'est que je ne suis pas le centre de l'univers.
J'ignorais tant de choses sur ce que c'est que d'être parent avant d'en devenir un.
Que l'indifférence à mes problèmes me ferait me sentir si seule et démunie.