Je définirai donc plus précisément le refus du féminin comme étant le refus de la sexualité de la mère. C'est bien un roc d'origine, qui fonctionne comme le fondement biologique de l'Oedipe et de l'interdiction de l'inceste. Ce refus prend des formes différentes pour le garçon et pour la fille.
Pour le garçon, puis pour l'homme, le refus du féminin prend une place organisatrice majeure sous la forme du complexe de castration, comme défense contre un "trop" de la découverte du désir sexuel de la mère pour le père et son pénis, découverte qui risquerait de menacer son sentiment de base d'identité mâle, en raison des avatars de sa rivalité oedipienne avec le père.
Pour la fille, puis pour la femme, le refus du féminin prend une place organisatrice secondaire sous la forme d'une revendication phallique, avatar du désir d'obtenir un enfant du père. La revendication phallique de la fille, puis de la femme, constitue donc une défense contre un "trop" de la découverte du désir sexuel du père pour la mère et son vagin, découverte qui risquerait de menacer son sentiment de base d'identité femelle, en raison des avatars de sa rivalité oedipienne avec la mère.
Mais la mère n'investit pas narcissiquement de la même manière un garçon ou une fille. Le garçon satisfait davantage son narcissisme phallique, tandis que la fille - de même sexe qu'elle et de même sexe que sa propre mère - peut la renvoyer soit à la rivalité, soit à l'angoisse de la "castration" féminine, mais aussi à la représentation substitutive que celle-ci recouvre : à savoir l'angoisse de la jouissance féminine et celle de l'inceste.
Si l'harmonie relationnelle et sexuelle d'un homme et d'une femme qui s'aiment constitue le couronnement de toutes les expressions d'intimité psycho-sexuelle, la relation d'une mère avec son enfant -garçon ou fille- est bien celle qui organise, dans sa force et dans sa durée, tout l'investissement du corporal de l'infans - ce que C. Dejours appelle la "subversion libidinale". Parler de cette relation d'un point de vue psychanalytique implique la nécessité de considérer le devenir des pulsions des deux protagonistes dans cette relation, c'est-à-dire, l'organisation de leurs sexualités psychiques respectives, régies par le tabou de l'inceste. Or, parler du sexuel à propos de la relation d'une mère avec son enfant conduit inévitablement à la nécessité d'envisager la question du clivage. En effet, pour la femme adulte et mère, le corps de l'Autre est Deux : l'homme amant, d'une part, et le foetus qui deviendra bébé, puis enfant, puis adulte, d'autre part. Toute la difficulté du discours analytique sur la psycho-sexualité de la femme réside donc dans ce fait : comment comprendre et décrire la façon dont les investissements pulsionnels se distribuent chez elle, entre le féminin, le maternel et l'autoérotique?
L'identité d'une fille est une subtile combinaison de partages et de clivages par rapport à sa mère. Et comme sa mère est également une fille, et que cette fille deviendra également une mère, cette combinaison est constamment conduite à des remaniements. Mon hypothèse est que de ce fait, ces remaniements ne peuvent s'effectuer autrement que sur le mode d'une bascule entre féminin et le maternel. C'est pour cette raison qu'ils sont si soudains, si fragiles, et qu'ils contiennent une telle potentialité explosive.
Heureusement, il y a l'homme et, face à lui, la formidable force des investissements oedipiens des petites filles. Ce sont ces investissements qui organisent la base dite "hystérique" de la fille, référence majeure de la normalité de la femme. Mais ceci est une autre histoire...
Ainsi, premier objet d'amour et d'identification, la mère demeurera donc pour la fille, durant les étapes de son développement et pour toute sa vie de femme, sa référence identitaire. Cette configuration à trois volets constitue, selon moi, tout à la fois la force et la vulnérabilité du développement féminin et des relations des femmes entre elles.