Thierry di Rollo - Meddik .
A l?occasion des Utopiales 2013 à Nantes,
Thierry di Rollo nous présente son oeuvre, dont « Meddik » publié chez Folio SF, et nous parle de ses influences. Pour en savoir plus : http://www.mollat.com/livres/di-rollo-thierry-meddik-rire-sourd-9782070321131.html http://www.mollat.com/auteur/di-rollo-thierry-1361178.html Notes de musique : treasureseason, Return to Dope Mountain, Fjords ®
C'est encore mille fois plus horrible. Simplement parce qu'il n'y a plus rien, plus une herbe, plus un arbre. Rien.
Et c'est ce néant, cette absence de tout, qui vous prend à la gorge.
Le futur n'est qu'un chemin longeant une berge interminable.
Le monde a toujours préféré se déplacer à l'aide de sales béquilles plutôt que d'apprendre tout simplement à marcher.
Comment peut-on naître au sein de ce merdier ? J'ai grandi ailleurs, en Capitale, avec des saisons nettes, malodorantes et noyées d'oxyde de carbone, mais bien découpées. Un printemps sans oiseaux, un été vaseux dans les jupes des filles, un automne à contempler les balayeurs des parcs miteux, leur outil glissant le long des mains relâchées, un hiver de neige grise, sous le ciel gris, et toujours sans le moindre pigeon estropié pour venir picorer les miettes de pain lancées par des vieillards oubliés et oubliant. Une misère de vie citadine bien balisée par la monotonie.
J'aimerais pouvoir tous les enculer jusqu'à ce qu'ils en crèvent. Pour leur rendre ce qu'ils m'ont pris. Avoir une queue à la place de cette fêlure qui me blesse. Parce qu'elle ne me sert plus à rien. Oui, être un homme n'a forcément que du bon.
( après la faillite de l’âge nucléaire ) ,
Au début on les évacuait par camions entiers , après les avoir soumis à une décontamination sommaire.
Et puis , au bout d’un moment , on a préféré les laisser sur place , parce que leur transfert dans les zones d’habitations encore saines n’était pas du tout du gout des populations d’accueil . Les indésirables étaient repoussés violement . On ne voulait pas de ces pollués , comme ils furent vite appelés . On en voulait au demeurant nul part .

Tout le monde a oublié. Mais ces salauds-là n'ont pas tout effacé pour autant. Comme si ça les arrangeait. Comme s'ils avaient doser la souffrance, l'instiller savamment pour qu'elle nous tourmente assez sans jamais nous torturer vraiment. Un travail de sape lent, sournois, terriblement efficace. Je n'ai pas oublié le prénom que j'ai moi-même choisi. Je n'ai pas oublié le code d'identification de l'éprouvette qui m'a conçu. Je n'ai pas oublié l'image de ma mère que, jour après jour, je me suis construit, depuis que j'ai compris que j'aurais pu en avoir une, une vraie, une qu'on touche, qui vous caresse, longuement, jusqu'au bout de la vie. Je me souviens de tout cela. Mais je ne sais plus rien des raisons qui m'ont amené jusqu'ici, ni ce qui a poussé ceux de l'extérieur à nous parquer comme du vulgaire bétail. Le brouillard de la mémoire a tout enlevé. Alors on va crever, les uns après les autres, Renaud, parce que c'est comme ça et qu'on n'y peut rien.
Chacun a sa façon d'emmerder l'autre. Bongo, c'est l'hygiène, moi, la lassitude d'une transpiration maladive, l'allemand, la culture du mauvais whisky. Une perle en son genre. Comme une espèce de diamant bouseux empestant l'alcool à des lieues. Lhar s'affranchit des distances. Quelqu'un, quelque part en Europe ou au fin fond de l'Alaska, l'a repéré à l'odeur, je miserais mon salaire de garde là-dessus. Il ne se saoule pas, il est le malt qu'il s'ingurgite par flacons entiers.
Sacrifie-t-on réellement quelque chose lorsqu'on fait un choix ?
Certains jours, loin de toi, quand je n'ai pas tes yeux pour me faire croire à la beauté du monde, je réponds oui. Et lorsque je te sens là, tout près de moi, ton souffle chaud et lent sur mon cou, je crois sincèrement que nous ne pouvions pas faire autrement.
La Mort sait toujours où elle va.