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Citations de Thierry Laget (66)


Le 15 février 1897 commence chez Drouot la dispersion de la collection des frères Goncourt. Trente-trois vacations suffisent à peine pour écouler le trésor accumulé en cinquante ans, et, jusqu'à l'été, la corne d'abondance du Grenier d'Auteuil se déverse dans les salons de l'hôtel des ventes : meubles de Boulle, terres cuites de Clodion, sanguines de Fragonard, pastels de Watteau, estampes de mœurs d'après Greuze ou Boucher - La Bouquetière galante, La Charmante Catin, Les Hasards heureux de l'escarpolette - porcelaines de Saxe, tapisseries des Gobelins, de Beauvais, d'Aubusson, albums japonais, coquilles d'œufs, ivoires, éventails, et des reliures de maroquin rouge, de veau fauve, des exemplaires des chefs-d'œuvre de la littérature romantique et naturaliste
Balzac, Hugo, Flaubert, Zola enrichis d'envois autographes, et tout le fonds d'une bibliothèque de curieux - La Manière simple d'accommoder les pommes de terre, Le Ventriloque, L'Art de soigner les pieds - Le feu des enchères dévore tout, et la vente produit « plus de treize cent mille francs », de ces francs convertibles en or, qui, comme ce métal, paraissent inaltérables et qui, dit-on, vont gager l'immortalité des Goncourt.
[…] Car la vraie mort, c'est l'oubli du nom et l'effacement du goût. Or, pour perpétuer les deux, Jules et Edmond ont formé le projet d'instituer une société d'hommes de lettres qui, avec les intérêts du capital produit par la vente future, auront pour mission de décerner chaque année une récompense à un écrivain méritant.
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[...] "Je ne puis prendre pour un simple hasard le fait que Proust a vu se coaliser principalement contre lui tous les tenants de "l'art révolutionnaire", tous ceux-là qui, confondant vaguement politique et littérature, s'imaginent que la hardiesse est toujours de même sens dans les deux domaines, que dans le second comme dans le premier il n'y a d'initiatives qu'en avant, que l'inventeur est toujours celui qui va plus loin que les autres - tous ceux là qui se représentent l'innovation littéraire comme une émancipation et qui saluent comme un pas de plus vers la Beauté chaque abandon d'une règle jusque là respectée, chaque nouvelle entrave qui tombe, chaque précision de moins qu'on apporte. L'un d'eux, non sans candeur, a traité Proust d'écrivain "réactionnaire". Et comment eût-il compris qu'en littérature il peut y avoir des révolutions en arrière, des révolutions qui consistent à faire moins gros, moins grand, moins lisible, moins sublime, moins pathétique, moins sommaire, moins "génial" qu'on a fait jusque là ? Comment eût-il compris que c'est d'une révolution de ce genre que nous avons besoin aujourd'hui avant tout besoin, et que cette révolution, "le réactionnaire" Proust vient justement en donner le signal ?" (p. 175)

Jacques Rivière, "Marcel Proust et la tradition classique", la Nouvelle Revue française, février 1920, p. 193 - 194
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Les êtres nous sont d'habitude si indifférents que, quand nous avons mis dans l'un d'eux de telles possibilités de souffrance et de joie pour nous, il nous semble appartenir à un autre univers, il entoure de poésie, il fait de notre vie comme une étendue émouvante où il sera plus où moins rapproché de nous.
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Le mot d'immortalité est trompeur : pour y accéder un écrivain doit commencer par mourir. C'est ce que Proust voit se réaliser en cet instant. Plus que l'exultation du triomphe, plus que la joie, il doit éprouver un frisson de mélancolie. L'esprit se perpétuera dans les phrases qui ont été imprimées, mais le corps disparaîtra. Le but est atteint. Mais qui en jouira ? Et que reste-t-il à vivre après cela ? (p. 93)

Un homme qui dort
Mercredi 10 décembre 1919
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Proust est bien renseigné : Octave Mirbeau n’épargne en effet aucun effort pour tenter d’assurer la victoire de son ami et ancien secrétaire Léon Werth, auteur d’un roman — La Maison blanche — qu’il a préfacé et qui, prenant pour point de départ une otite suppurée, se prolonge dans une clinique, sorte de Montagne magique avant l’heure. Werth a tout juste trente-cinq ans, « il est très pauvre et il a beaucoup de talent ». Mirbeau, malade depuis 1910, n’a pas lu Proust : on peut d’ailleurs douter que l’auteur du Journal d’une femme de chambre eût apprécié Du côté de chez Swann.
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Et elle, aurait-elle su que je l’aimais si elle était venue au premier rendez-vous?
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Proust, à qui rien n’échappe, commente les revirements de Dorgelès : « Je trouve mon attitude silencieuse plus noble que la sienne puisqu’il a refusé la Vie Heureuse en disant qu’il ne voulait que du Prix Goncourt, s’est précipité sur les Dames Heureuses dès qu’il a eu manqué le prix Goncourt, et aussitôt qu’il a obtenu le prix de la Vie Heureuse, il s’est fait interviewer par le Petit Parisien (je crois) et a déclaré qu’il était heureux de ne pas avoir eu le Prix Goncourt ».
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Réjane - la grande comédienne qui lui a inspiré les pages sur la Berma - lui demande quel cadeau elle pourrait lui offrir en manière de félicitations. Proust répond que rien ne lui ferait plus plaisir qu'une photographie d'elle costumée en prince de Sagan, dans une revue du marquis Massa. Elle la lui envoie avec une dédicace datée du 10 décembre : "Hommage d'un Prince - admiration d'une artiste - amitié d'une amie - Réjane l'interprète de Goncourt."
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Et Swann aperçut, immobile en face de ce bonheur revécu, un malheureux qui lui fit pitié parce qu'il ne le reconnut pas tout de suite, si bien qu'il dut baisser les yeux pour qu'on ne vît pas qu'ils étaient pleins de larmes. C'était lui-même.
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Sept nouvelles aux allures de flâneries, de déambulations dans les rues d'une ville, égrènent dix manteaux rouges qui sont autant de femmes, unis, par-delà la diversité des lieux et des époques, par une voix qui se souvient et qui raconte.
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Ce regard était fascinant comme la flamme d’une bougie qu’on observe sans se lasser, la lumière ayant le don de concentrer nos pensées, de les aider à s’extraire des limbes. Comme devant la bougie, nous retenions notre respiration, par crainte de souffler l’éclat qui irradiait, nous comblait de tendresse et de lucidité, et en même temps nous nous approchions insensiblement l’un de l’autre, selon la loi de l’attraction universelle, pour approfondir l’instant et nous brûler au feu couvant dans le regard de l’autre, si bien que nous aurions fini par l’éteindre et par nous embrasser si la voix du chauffeur n’avait pas brisé l’enchantement.
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Quand elle est sortie, vers neuf heures, Azélie m'a confié la garde du château. Alors j'ai de nouveau entendu en moi la voix qui s'était tue - voix sombre, altière -, mais je n'ai pas compris ce qu'elle disait, car au même instant le démarreur de la 4 L s'étranglait, le moteur vocalisait, les pneus broyaient le gravier, traçant de leur compas un cercle dont je figurais le centre et dont le rayon, englobant la bâtisse, contournant les tilleuls, s'étira jusqu'à la grille au bout de l'allée avant de s'estomper dans le néant.
La nuit est retombée autour de moi avec un grincement de herse. Je n'ai pas voulu allumer les lampes, pour ne pas effaroucher les ombres. Je suis passé de pièce en pièce, tel un fantôme qui secoue ses voiles, mais c'était la lune, à travers les fenêtres, qui déroulait sous mes pas un tapis de soie, de silence et d'argent.
J'ai remonté la galerie des ancêtres, et la voix ronchonnait en moi, comme au vieux temps, aussi maussade que ces personnages - le connétable, la sainte, le philosophe, la bilieuse, le débauché. Les murailles exhalaient un souffle glacial, mais eux, stoïques dans leurs armures, sous leurs perruques et leurs chapeaux à cornes, ils frissonnaient à peine - une rousse aux joues de rose, et dont les tresses étaient enroulées en corbeille sous une chapka d'hermine, désignait de l'index la devise «Le temps viendra» calligraphiée dans un cartouche. C'était la nuit qui, en tremblant, ajustait son masque sur leurs visages, le clair-obscur qui les douait de relief et de vie. Ils me suivirent du coin de l'oeil tandis que j'avançais entre leur double haie. Je crus en voir un qui bronchait; je tournai la tête; la plume de son cimier frémissait encore.
J'ai traversé des salles fermées aux touristes, le bureau de la comtesse, où flottait son parfum, l'antichambre, la cuisine, la chaufferie. A la lingerie stagnait une odeur de savon et de sève : le plancher, les lambris, des monceaux de draps entortillés. La voix, désormais, pouvait bien tenir des discours sensés, je ne l'écoutais plus, captivé par l'exploration d'un nouveau monde - qui allait devenir mon domaine. J'ai refait à mon rythme le parcours de la visite guidée à laquelle je m'étais joint l'après-midi, mais, cette fois, j'ai pu enjamber les cordons de velours, m'asseoir sur les boudeuses, aux tables de jeu, couper les paquets de tarots, tâter les matelas, caresser des chevelures de plâtre, approcher des peintures de l'Âge d'or, poser la joue sur les fesses des bergères, découvrir leurs fossettes, monter des gammes sur un clavecin où, disait-on, Rameau avait interprété ses rondeaux. Pour que le décor s'anime, il aurait fallu la lueur des chandelles ; il recevait pourtant de la pénombre la stricte poésie des choses que n'éclaire pas l'électricité et qui somnolent dans des limbes où j'étais leur contemporain, moi que la solitude, ce soir-là, avait fait châtelain.
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Un jour, un monsieur rendait un immense service à Marcel Proust, qui pour le remercier l’emmenait déjeuner à la campagne. Mais voici qu’en causant, le monsieur, qui n’était autre que Zola, ne voulait absolument pas reconnaître qu’il n’y avait jamais eu en France qu’un écrivain tout à fait grand et dont Saint-Simon seul approchait, et que cet écrivain était Léon. Sur quoi, fichtre ! Proust oubliant la reconnaissance qu’il devait à Zola l’envoyait, d’une paire de claques, rouler dix pas plus loin, les quatre fers en l’air. Le lendemain on se battait, mais, malgré l’entremise de Ganderax, Proust s’opposait bel et bien à toute réconciliation.
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Léon Daudet (1867-1942) a été nommé en remplacement de son père, Alphonse, exécuteur testamentaire d’Edmond de Goncourt et premier président virtuel de l’Académie, décédé en 1897 avant même qu’elle ait pu se constituer. Mais il n’est pas que le fils de l’auteur des Lettres de mon moulin : il est aussi celui de Julia Allard, femme de talent qui, « chère collaboratrice » de son mari, apporta à ses récits le poli de la phrase, et qui tint, rue de Bellechasse, le plus beau des salons artistiques de l’époque ; et il est le frère aîné de Lucien, romancier, homme de bonne compagnie, que tutoie Proust. Enfant gâté des lettres, il épouse en grande pompe la petite-fille de Victor Hugo : il a pour témoins Edmond de Goncourt et le docteur Potain — celui-là même dont, à la première page d’« Un amour de Swann », les habitués du « petit clan » des Verdurin considèrent qu’il a moins de diagnostic que le docteur Cottard. 
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Lorsqu’on songe aux débats houleux, aux innombrables tours de table, aux claquement de portes qui ont conduit l’Académie Goncourt à préférer Leblond à Giraudoux en 1909, Elder à Alain-Fournier en 1913, Mazeline à Céline en 1932, on a peine à comprendre la tempête qui, en ce matin du 11 décembre, s’apprête à déferler sur la rue Hamelin. Tout semblait joué, les perdants s’étaient résignés, la discussion ne fut pas très animée, il ne s’agissait que de déposer une couronne de lauriers sur la tête d’un écrivain obscur. Pourtant, à peine la nouvelle est-elle connue que s’élève un chœur de protestation .
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...le vieux et ridicule Goncourt, qui institua le fameux prix par vanité et pour sauver son nom d'un oubli certain...

page 13
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Car la vraie mort, c'est l'oubli du nom et l'effacement du goût.

page 10
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"Mon voeu suprême, voeu que je prie les jeunes académiciens futurs d'avoir présent à la mémoire, c'est que ce prix soit donné à la jeunesse, à l'originalité du talent, aux tentatives nouvelles et hardies de la pensée et de la forme. Le roman dans des conditions d'égalité, aura toujours la préférence."
(Léon Deffoux, chronique de l'académie Goncourt)

page 10/11
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Céleste réveille Proust. C'est la première fois qu'elle ne respecte pas la consigne et se permet d'entrer chez lui sans avoir été appelé. "Monsieur, lui dit-elle, j'ai une grande nouvelle à vous annoncer, qui va sûrement vous faire plaisir... Vous avez le prix Goncourt ! "Le laconisme de Proust trahit pourtant son émotion ; lui, d'habitude si éloquent, ne parvient à articuler à cet instant-là que la phrase la plus brève de sa vie : "Ah ? "
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Edmond et Jules de Goncourt avaient pourtant eux-mêmes conscience de l'imperfection de la formule : "Les Académies ont été uniquement inventées pour préférer Bonnassieux à Barye, Flourens à Hugo et tout le monde à Balzac", disent-ils en 1866.
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