KTOTV - Émission du 07/01/2008 - Thierry Leroy
Lorsque la grand-mère s'est approchée pour me prendre dans ses bras j'ai eu tout d'abord un mouvement de recul, puis ma joue s'est posée sur sa joue humide et j'ai accepté de me reposer sur son corps rond et chaleureux, j'ai respiré la chair qui a vécu comme on respire un jardin de lavandes et d'épices.,
Les commentaires y étaient rédigés au passé, comme si depuis notre départ, Alger était une Atlantide engloutie. Elle est étrange mais banalement humaine,la vison qui réduit un lieu au moment où on y a vécu.
Renato leur ouvre la porte d'un appartement ducal fermé au public... Les fenêtres sont masquées par d'épais rideaux, les fresques murales quelque peu défraîchies, et les marqueteries du parquet, jolies, mais poussiéreuses...Simon est pensif. Comme Diane lui demande ce qu'il a, il répond comme s'il se parlait à lui même :
_C'est trop ! Cette forteresse, elle a un visage qui te repousse, mais son coeur te sourit. C'est un coeur triste comme cet endroit plein de poussière, mais il sourit quand même....
Moi quand je regarde une maison, c'est comme un visage. Ses murs sont sa peau, sa porte est une bouche et ses fenêtres sont ses yeux. Et je la laisse parler de ce qu'il y a en elle... Pour ce palais je me suis trompé. Sa figure est rugueuse, elle est dure, elle ne souhaite pas la bienvenue ; mais dedans c'est beau, c'est acceuillant. Ici c'est poussiéreux, abîmé, mais c'est beau comme la nostalgie...
_Oui, certifie Rénato, les palazzi toscans cachent leur beauté sous des dehors austères...
_ Je suis sûr que les maisons ont une âme et un coeur bien à elles, dit Simon avec conviction. On les arrange, mais elles ont une vie bien à elles, avec leurs souvenirs, bons et mauvais. Cette forteresse, elle a le coeur souriant, mais elle a beaucoup souffert à cause des hommes.
Le sourire de Sébastien se fige en une expression hébétée tandis que les propos de Simon se fraient un chemin jusque dans ses souvenirs, jusqu'au conversation avec Chiara et Elia, jusqu'à cette maison de famille de la région de Salerne qu'ils disaient hantées, sans oser prononcer le mot. Un frisson le parcourt. Les maisons ont leur vie propre et certains êtres le perçoivent...
Simon demeure pensif... Il se tourne vers Sébastien, il y a de la douceur dans sa voix :
_ Ce vieux palais ressemble à un bateau échoué et malheureux qui ne naviguera jamais plus... Et puis j'aime beaucoup ton appartement tu sais, mais il y a de la tristesse dedans, il faut qu'on la chasse.
Il paraît soulagé d'avoir dit cela.
Nicolas se met à jeter sur la toile comme au hasard de longues trainées bleues. Sa tignasse rousse s'anime d'une vie propre à chacun de ses mouvements... Il laisse brosses, couleurs et pinceaux, se lave sommairement les mains, et elle prend son premier cour de beaux-arts.
Les fauteuils et le sofa sans âge où ils prennent place, semble ne pas pouvoir contenir leurs corps autrement qu'à demi-allongés.
Comme Diane reprend ses esprits, elle lui demande pourquoi il projette des trainées bleues dans sa prairie. Il lui explique ce que leurs amis communs ont entendu des dizaines de fois : il y a une différence essentielle entre l'ombre et l'obscurité, car l'obscurité rend invisible tout ce qu'elle embrasse, tandis que l'ombre est la compagne inséparable de la lumière. N'est-ce-pas en sa compagnie qu'elle révèle les volumes des êtres et des choses ? L'obscurité noie ce qui existe, mais l'ombre révèle la consistance et la profondeur, elle structure l'espace et le rend lisible.
Sa voix est grave, profonde, posée, et bien qu'il ait sans cesse l'air de chercher ses mots, on a envie de l'écouter. Sa conception de la peinture est une véritable philosophie.
Son ami Jean l'a prévenue, Nicolas est un génie et un diable de séducteur, un Slave dans toute sa splendeur. La robe d'été de Diane en est restée tachée de bleu. Sa vie en a été bouleverseé.
Il ne sait pas vraiment s'il croit en quelque chose ou en quelqu'un, mais ce qu'il sait, c'est que l'homme n'a pas à se considérer comme le centre de l'univers. Il faudrait donc qu'il renonce à se croire tout permis. Quant à l'Enfer, il existe sur la terre, et le Paradis ne prend forme et figure que dans nos têtes remplies d'étoiles. Quant à la vie, elle est absurde et injuste.
Tosca, avec les choeurs et l'orchestre de la Scala de Milan...Le Tout-Florence se congratulait dans le hall de la Pergola...
Rénato avair réservé des places dans une de ces loges coquettes et confortables dont les théâtres à l'italienne sont pouvus. La salle exhalait une haleine de velours vieillots, relevée d'une pointe d'effluves précieuses. Ce serait l'arôme de Tosca.
Diane aussi doit vivre avec son deuil...Il la trouve forte, presque inhumaine dans la façon d'assumer la mort de Nicolas, c'est sûrement sa foi. La foi n'est-elle pas un bon moyen d'échapper aux difficultés, et donc de survivre ?
Planté sur ce palier, il avait éprouvé un vide abyssal...Il a juste éprouvé ce que pourrait ressentir un arbre au moment où la tronçonneuse tranche les dernières fibres qui le relient à ses racines.
Sébastien et Diane s'avisent en silence, probablement parce que les mots du premier moment des retrouvailles ne peuvent atteindre la profondeur des émotions éprouvées.