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Citation de jmlire92


Je savais que la mode était à la course à pied. Tous les ans, trente-cinq à quarante mille personnes s'alignent au départ du marathon de Paris, reproduisant dans un geste pathétique, cherchant à se prouver qu'ils sont encore vivants, la course d'un héros grec mort pour annoncer une défaite. Les panneaux publicitaires vantant les mérites ambigus d'un sport de salle censé rendre plus performant - ou productif - ne m'ont pas échappé non plus. On y lit les corps en sueur et les visages douloureux du masochisme hygiéniste de l'époque. Mais ordinairement je ne fréquente pas les parcs et les bois. Je ne m'étais pas rendu compte qu'on en était là. Partout autour de nous, les promeneurs ont tous été remplacés par des joggers.
   Ce ne sont pas quelques coureurs isolés profitant du cadre bucolique d'un parc familial, c'est le contraire : le lac Daumesnil est à présent un stade, une piste que le promeneur solitaire ne fait qu'embouteiller de sa présence importune. Ceux qui n'ont plus l'âge de galoper, ou qui se sont déjà abîmé les genoux en se prenant pour des sportifs, se contentent de se déhancher au pas de course en agitant des bâtons en fibre de carbone. Ils sont tous habillés, si l'on peut appeler ça ainsi, dans des tenues ridiculement moulantes, aux couleurs criardes, qui soulignent leurs os saillants ou les bourrelets qui leur restent. Ils courent, ils courent autour du lac, en rond, dans les deux sens, comme les voitures sur le périphérique, sans but apparent, sans logique, ils courent, mécaniques, la bouche ouverte, les sourcils froncés, les traits crispés dans l'effort, comme des poissons sur le point de se mettre à crier.
   Et dans le fond quoi de plus naturel, dans un décor, que de se donner ainsi en spectacle ? Sans doute, les quelques vieux en pardessus qui restent et déambulent deux par deux en commentant l'actualité jouent-ils aux vieux en pardessus, eux aussi. On est dans une époque comme ça.
   Et pas un, sauf à faire exprès de les observer, ne pourrait dire quels arbres il a croisés ni de quelles couleurs sont les feuilles de ce début d'automne. Où sont les escargots de Prévert ? C'est le monde entier qui n'est plus qu'un décor.
   Quand je pense que le lac a été nommé d'après un ancien gouverneur du fort de Vincennes, Daumesnil, qu'on appelait Jambe-de-bois parce qu'il avait eu la jambe arrachée à Wagram ! Au moment de l'invasion du territoire, cependant qu'il défendait vaillamment son fort, il répondait aux généraux ennemis qui réclamaient sa reddition : " Quand vous me rendrez ma jambe, je vous rendrai la place ! " pauvre Daumesnil, si  tu savais ce que les gens font de leurs jambes aujourd'hui, autour du lac qui porte ton nom !
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