Avant de commencer, souffrez que je dise un mot ou deux à de certains faquins qui affectent de parler de notre société comme si elle était, à un degré quelconque, immorale dans son but ! Immorale ! Jupiter me protège ; Messieurs ! Qu'est-ce donc qu'on veut dire par là ? Je suis pour la moralité, et je le serai toujours, et pour la vertu, et pour tout cela. Et certes, j'affirme, et j'affirmerai toujours (quoi qu'il puisse en résulter) que l'assassinat constitue une ligne de conduite inconvenante, hautement inconvenante, et je n'hésite pas à proclamer que tout homme qui commet un assassinat doit avoir des façons de penser fort incorrectes et des principes véritablement inexacts. Bien loin de l'aider et de l'encourager en lui désignant la cachette de sa victime – ce qu'un grand moraliste d'Allemagne déclarait être le devoir de tout homme de bien (6) - je souscrirais un shilling et six pence pour qu'il soit arrêté..., ce qui fait dix-huit pence de plus que ce que les moralistes les plus éminents ont souscrit dans ce but jusqu'à ce jour. Mais quoi, enfin ? Toute chose dans ce monde a deux anses. L'assassinat, par exemple, peut être saisi par son anse morale (c'est ce qu'on fait, en général, en chaire ou à Old Bailey) et c'est là, je le confesse, son côté faible ; mais il peut aussi être traité esthétiquement, comme disent les Allemands, c'est-à-dire dans es rapports avec le bon goût.
(6) Kant poussa les limites des exigences de la vérité à un point si extravagant qu'il ne craignit point d'affirmer que quand une homme venait de voir une personne innocente échapper à un assassin, il serait de son devoir, interrogé par l'assassin, de dire la vérité et de lui indiquer la retraite de la personne innocente, même avec la certitude qu'il serait cause d'un assassinat. De peur qu'on ne puisse supposer que cette doctrine lui avait échappé dans la chaleur d'une discussion, un écrivain français le lui ayant reproché, Kant la reprit et l'affirma de nouveau, en l'appuyant de ses raisons (Note de De Quincey.)
(Traduction André Fontainas)
Page 12 (Édition Mercure de France, 1944)