Point Lecture #70 | Qui suis-je ? de Thomas Gornet
Les Lectures de Mylie
Et, comme à la fin d'un livre quand le héros comprend toute l'histoire, je comprendrais qu'avoir envie de faire des bisous, ce n'est pas réservé aux bébés.
Au moment où je pose ma tête sur son épaule, il (son grand-père) me chuchote dans l'oreille : - T'es un bon gamin. Je lui serre la main plus fort. Il continue : - Tu sais, quand je ne serai plus là, sur ce canapé, je serai dans la télé. Je te regarderai grandir et toi, en regardant tes dessins animés puis des films de grands, puis des émissions politiques ou des jeux idiots, tu te rappelleras que je t'aimais très fort.
Je lui réponds par un sourire horizontal, celui qu'on fait en tirant les coins de la bouche sur les côtés. Celui qui veut dire : " C'est gentil de vouloir être gentille. Mais moi, je sais que si j'ai l'air trop heureux, même si je ne le suis pas, ça va te rendre malheureuse alors c'est pour ça que je choisis le sourire horizontal et neutre." C'est fou tout ce qu'on peut mettre dans un sourire.
J'ai trouvé ça atroce, de devoir entrer dans cette chambre funéraire. Rien que le mot, ça donne des cauchemars éveillés. "Chambre" et "funéraire", ça ne va pas du tout ensemble.
Le lendemain, dans la cour, kevin creuse les fondations de notre futur château grâce à sa pelleteuse nucléaire. Mat surveille les travaux avec ses jumelles bioniques, et moi j'envoie des ondes à haute tension sur les maîtresses qui surveillent la cour pour qu'elles ne se retournent pas vers nous.
Cette fois-ci, je me sens comme un arbre mort sur une plage désertique balayé par un vent sablonneux. Eh oui!
C'est beau en même temps, comme image.
Mais sur le moment, ça me fait une grosse boule d'angoisse dans la gorge et des pleurs dans la tête : je ne comprends rien à ce qui m'arrive.
Je suis un garçon normal. Enfin, comme les autres, quoi. Sauf que depuis aujourd'hui, je n'aime plus les bisous. C'est fini, terminé. Finito, terminado. Stop. Demain j'ai 9 ans. C'est plus l'âge des bisous.
Pour l'instant c'est mon cœur qui est tout frisé, emmêlé et serré. Serré comme le col de ma chemise qui me démange de partout.
Moi, je tremble. Je tremble de bonheur, tout bas, toute la soirée. Car je sens que je suis sur le point de renoncer à ma promesse de renoncer aux bisous.
J'ai envie que son tabouret tourne tout seul et le fasse s'envoler au plafond pour y faire un trou, comme une visseuse, et qu'il s'envole dans le ciel, jusqu'au soleil, pour brûler.
Mais il n'y a pas beaucoup de soleil aujourd'hui, il a plu toute la journée.
Je retourne à mes soustractions. Deux chats miaulent.