— Embrassez-moi !Jamais je n’ai dit ça à un inconnu, mais c’est libérateur. Tout comme l’est cette nuit. Enfin, l’était, jusqu’à ce qu’on me rappelle que mes responsabilités l’emportent sur le plaisir. Mes pensées s’enchevêtrent, puis je m’avise que le type à lunettes s’exécute sans se faire prier. Alors qu’il se penche, l’une de ses mains exerce une légère pression sur le bas de mon dos, et je me renverse légèrement en arrière. Mes paupières s’abaissent et, grisée par l’étrangeté de cette soirée, je cède à cette perte de contrôle.
Nos corps plaqués l’un contre l’autre, mon esprit s’égare, se focalise sur des visions de lui et moi loin de cette fête sur Haight Street, zoome sur des matinées sur une plage brumeuse, des tripotages par-dessus des vêtements, du sable retrouvé dans mes poches plusieurs jours plus tard.
Je dois forcément le connaître, parce que mon deuxième coup d’œil est bientôt suivi d’un troisième, puis d’un quatrième. Les rouages de mon cerveau grincent dans leur effort pour tenter de se rappeler où et quand je l’ai vu, et une scène se dessine. Je me le représente à côté de moi alors que je cuisine, prise d’une curieuse sensation d’ivresse. Comme invoqué par un sortilège, un nom commence à se former sur ma langue. Du moins jusqu’à ce que la réminiscence se dissipe brusquement quand le Spartiate avance d’un pas et que la gêne que j’éprouve vire au malaise.
Nous sommes radicalement opposées, et je suis incontestablement le cerveau, la voix de la sagesse. D’habitude, j’en suis fière. Mais être comme ma meilleure amie et, l’espace d’un instant, tout envoyer balader… quelle tentation !
C’est lui. Le type avec les lunettes. Et tandis que mon corps s’imbrique dans le sien telle une clé dans une serrure, mon cerveau comprend que c’est un visage que je vois quotidiennement.