Des lettres, des confiseries, des bandes dessinées, mais aussi bien entendu des armes et des munitions, car c'est la guerre... voici une partie des choses qu'ils emportaient.
Tim O'Brien livre ici un témoignage assez puissant sur l'enfer d'un conflit, le Vietnam en l'occurrence. Pas la vie des planqués qui jouent avec la vie des autres, mais bien l'expérience concrète, sale, effrayante, de jeunes troufions sur le terrain, envoyés en terre inconnue, impliqués dans une guerre qui les dépasse. Et qui ont tant de mal ensuite à revenir à une vie normale, pour ceux qui ont eu la chance de ne pas y rester...
Ce roman est la somme de chapitres pas forcément chronologiques, récits presque autonomes les uns par rapport aux autres, avec le sentiment de quelques répétitions parfois du fait de la construction. Mais c'est aussi un bel hommage aux camarades de l'auteur, cette compagnie alpha à qui ce livre est dédié. Une histoire de camaraderie, de solidarité, et de douleurs.
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Une œuvre. Pour moi elle est parfaite car elle ne peut être comparée qu'à elle-même. Quand il l'a écrite, elle était essentielle à l'expression de l'auteur, qui écrivait pour survivre à ce moment là; sûrement.
Si vous cherchez à comprendre certains traumatismes, des autres, de vous-même. Ou les vivre par procuration parce que vous éprouvez un sentiment de reconnaissance. Ca parle de traumatismes de guerre et de résilience, mais sous forme littéraire et non clinique. C'est très fort. Je vais le relire tout de suite d'ailleurs, pour m'immerger encore plus, mais il est vrai qu'étant en psychanalyse en ce moment j'ai besoin de partager et comprendre plus que jamais.
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"A propos de courage", livre sélectionné parmi les meilleurs livres du siècle par le New York Times et enseigné aujourd'hui dans les lycées et les universités.
Mazette, ça doit vraiment être du lourd me dis-je. Mais j'ai appris à être prudent et je me méfie un peu de ces belles accroches qu'on trouve généralement sur les jaquettes.
"Best-seller vendu à plus de deux millions d'exemplaires".
J'entretiens une relation un peu particulière avec cette guerre du Viêtnam.
J'ai été biberonné par mon père qui était littéralement fasciné par cette guerre de la fin des années soixante.
Les images, journaux télévisés, documentaires et films qu'il m'obligeait de regarder m'ont profondément marqué. Je suis allé là-bas faire ce "tourisme de guerre" pour voir de mes propres yeux. Dans les années nonante, c'était devenu un business fort lucratif. On écoutait les Doors dans les cafés de Saïgon, on descendait dans les tunnels Cu Chi (sont-ce les vrais ou ont-ils été reconstitués ?), on allait s'acheter un Zippo gravé ayant appartenu à un pauvre GI, garanti "authentique". Qu'importe..
Je suis allé à Washington voir le "Vietnam Veterans Memorial" si impressionnant avec les cinquante mille et quelques noms gravés sur ce mur de marbre et campés plus bas, deux, trois vétérans, arborant leur veste kaki élimée et faisant la manche.
Tim O'Brien, jeune recrue, raconte "son" Viêtnam, son quotidien du haut de ses vingt ans.
Envoyé dans un endroit du monde dont il n'avait probablement jamais entendu parler avant, entre 1968 et 1970.
À le lire, il ne faisait sans doute pas partie des volontaires, patriotes convaincus, voulant défendre la patrie à tout prix.
Il avait juste vingt ans en soixante huit.
Il écrit des pages très belles et très touchantes de sa petite escapade au Canada pour éviter l'enrôlement.
Ce livre n'est aucunement politique, ce sont plutôt les souvenirs d'un gamin, ses peurs, ses doutes, ses morts ...
Tim O'Brien, des années plus tard est toujours hanté par la perte des potes qu'il s'est fait là-bas, habité par ses cauchemars dans une guerre aussi stupide qu'absurde (mais ne le sont-elles pas toutes) à laquelle lui et ses amis ne comprenaient pas grand chose.
C'est plus qu'un témoignage et c'est vraiment bien écrit. Nul doute, Tim O'Brien est un écrivain.
PS: Et pourquoi pas écouter "Comme un homme mort" de Lynda Lemay.
Je suis si vieux
J'étais si p'tit
Tout juste hier
J'étais nerveux
Je suis parti
C'était la guerre
J'ai fait le voeu
De revenir
En bon état
J' suis rev'nu vieux
Sans avenir
Et sans éclat
Ceux des obus
Ne m'ont pas eu
Je suis ici
J'ai survécu
Je suis rev'nu
En bonne partie
Je traîne mon âme
Qui n'est jamais
Sortie des flammes
J'effraie les dames
Je suis plus laid
Que mes secrets
Je plante ma canne
Dans les chemins
Et j' me revois
Planter mes armes
Dans des gamins
Qui étaient comme moi
Que des enfants
Pas assez grands
Déjà soldats
Que des garçons
Que d' l'innocente
Chair à canon
Je marche seul
Et je me butte
À des voyous
Je les engueule
Ces fils de pute
Je suis jaloux
D' leur ignorance
Qu'ils me brandissent
Comme un drapeau
D' leur insolence
Alors que moi
J' risquais ma peau
Pour ce pays
Que de mon mieux
J'ai défendu
Avec ma vie
Qui n'est pas bien
Mieux que perdue
Je suis un fou
En liberté
Un solitaire
Je survis saoul
Le coeur noyé
Au fond d'une bière
C'est tous les jours
Le même projet
Le même parcours
J'invite ma peine
Et mes regrets
À la taverne
D'où je ressors
En bafouillant
Ma confusion
Comme un homme mort
Mais plus vivant
Qu' ses compagnons
C'est toutes les nuits
Les mêmes chagrins
Les mêmes cauchemars
J' vois mes amis
Mais y a plus rien
Dans leur regard
Faut pas rester
Y faut s' couvrir
Faut qu'on s'en aille
Y faut s' sauver
Y faut courir
Jusqu'aux médailles
Je suis rev'nu
En un morceau
Moi, le héros
Je suis rev'nu
Sous les bravos
Serrer des mains
L'air égaré
Mais décoré
Comme un sapin
Y avait une fête
Mais dans ma tête
Y avait plus rien
Que ces souvenirs
De comportements
Inhumains
Qu'en pleine horreur
Et en pleine peur
Nous empruntions
Nous les garçons
Nous les soldats
Nous les gamins
Au coeur du crime
Autant victimes
Qu'assassins
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Ce roman témoigne de l'enfer que fut la guerre du Viet Nam. Sa lecture devrait inciter à ne plus jamais faire une guerre, tant la destruction des humains par d'autres humains est atroce. Il me semble qu'il faut rapprocher ce roman de "Sympathy for the devil" de HANSON. On y voit les mêmes traumatismes, les mêmes atrocités commises par des soldats de 20 ans qui deviennent des monstres. Ils détruisent et sont eux-mêmes détruits physiquement et psychologiquement. Une guerre injuste et injustifiable. "L'innocence perdue" de N. SHEEHAN raconte quasiment scientifiquement cette guerre. Dans "ce qu'ils emportaient", le lecteur est avec les soldats au coeur des massacres et de la souffrance qui est en eux et qu'ils répandent.
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A PROPOS DE COURAGE de TIM O’BRIEN
Quand il était parti au Vietnam le lieutenant Jimmy Cross, l’unité où avait été affecté Tim, avait emporté les lettres de Martha qu’il ouvrait régulièrement le soir. Ils avaient tous emmenés des affaires selon leurs goûts, anti moustiques, savons, chaussettes, drogue, mais tous avaient des photos, ceci en plus de leur charge normale, leurs armes et éventuellement celles qu’ils avaient pris à l’ennemi. Jimmy avait aussi du cognac, des vitamines et le galet de Martha, se demandant si elle l’aimait autant que lui l’aimait. Drôle de guerre, la nuit les mortiers, le jour les francs-tireurs, pas vraiment une bataille. Dans leur unité, Lavander meurt d’une balle dans la tête en allant pisser, certains blaguent, d’autres sont désenchantés ou résignés, certains jouent les machos, ce jour là, Jimmy brûle lettres et photos. Il joue son rôle, laisse Martha à sa place. Des années plus tard Jimmy rendra visite à Tim O’Brien, des retrouvailles difficiles, puis la parole prit le dessus, ils échangèrent les souvenirs, Martha, avec laquelle rien ne s’était concrétisé. Souvenir d’une guerre d’attente, « creuser des tranchées, écraser des moustiques », restent des images des fragments. Les histoires, vraies ou fantasmées qu’on se raconte le soir comme celle de Mark qui avait fait venir Mary Ann sa petite amie qui serait finalement partie avec un groupe de bérets verts. Puis O’Brien revient sur son départ au Vietnam, été 1968, sa tentative de passer au Canada, sa rencontre avec Elroy qui gère un hôtel sur la frontière près du lac, leur relation comme père et fils, un homme bienveillant qui ressent le désespoir de Tim.
Un livre témoignage de Tim O’Brien sur sa guerre au Vietnam, la vie de sa section, l’avant et l’après. C’est la guerre à travers les détails de la vie quotidienne, les petits moments, la sensation de ne pas comprendre pourquoi et comment on en est là. Des histoires d’hommes, 19/22 ans qui découvrent un univers où l’on tente de survivre à peine sorti du cocon familial et de l’école.
Un roman autobiographique écrit sans fioritures qui a eu un énorme retentissement à sa sortie aux États Unis.
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Il y a quelques années, j'ai lu ‘Anatomie d'un soldat'. Harry Parker y racontait son expérience de la guerre d'Irak à travers divers objets. J'avais beaucoup aimé ce point de vue original.
C'est ainsi que je me suis laissée tenter par ‘Les choses qu'ils emportaient' de Tim O'Brien quand j'ai lu le pitch dans le catalogue Totem des éditions Gallmeister. Un énorme coup de coeur !
Tim O'Brien est Américain et le 17 juin 1968, une lettre a changé sa vie : il a été convoqué sous les drapeaux. Il a 22 ans et d'autres rêves que d'aller faire la guerre au Vietnam. Il n'a pas assez de courage pour se défiler, il se considère d'ailleurs comme un lâche.
Les choses qu'ils emportaient, c'est un aperçu de ce que ses compagnons d'armes ont amené en plus du paquetage de base. Mais ce n'est qu'une histoire parmi d'autres. A travers une écriture à proprement parler stupéfiante, il raconte son vécu et celui des hommes qui ont servi sous les ordres du Lieutenant Cross.
Un point de vue intimiste, poignant, inoubliable.
Challenge Totem
Challenge XXe siècle 2023
Challenge multi-défis 2023 (43)
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"À propos de courage"...plus qu'un simple récit, un plongeon dans l'esprit d'un homme envoyé au Viêtnam et qui, d'une certaine façon, restera engloutie dans les entrailles de ce pays. La guerre, les amis, les amis que l'on perd, la vie ailleurs, l'espoir et puis finalement la guerre encore. Tim O'Brien n'a qu'une mission: nous raconter le Viêtnam, pas les combats qui font rage mais les esprits des hommes qui se délient. Le survivant O'Brien n'a qu'un devoir: raconter pour l'éternité, le Viêtnam et la guerre, les amis qui ne sont plus, les souvenirs qui rongent la nuit et le criminel qui, un jour, s'est soudainement réveillé en lui pour ne jamais se rendormir.
"À propos de courage" est un livre de vie où cohabitent des soldats fantômes, une certaine idée de la mort et peut être même aussi, une certaine idée de la vie.
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[Lu en février 2012]
Si je meurs au combat raconte la guerre du Vietnam telle que l'a vécue Tim O'Brien, de ses classes jusqu'à son arrivée sur les lieux du conflit, entre 1968 et 1970. Paru seulement 3 ans après ce retour, en 1973, le roman a été plutôt inattendu, alors que le conflit était encore bien frais dans la mémoire des américains (les dernière troupes se sont retirées en 1972).
Ce que j'ai le plus apprécié dans ce récit, c'est la façon dont Tim O'Brien raconte ou décrit chaque instant de cette guerre, avec précision et sans prendre de gants, pour être au plus près de son expérience traumatisante et mieux la faire comprendre. Il décrit par exemple, et d'une manière qui peut paraître assez froide, les différents types de mines qui existent, et ce qu'elles coûtent quand on marche dessus. Il décrit également les différents lieux dans lesquels sa compagnie (la compagnie Alpha) devait se rendre pour diverses opérations, en insistant sur l'aspect hostile, car souvent inconnu et bourré de pièges, de ces lieux (lieux qui plus est en pleine nuit quand toute utilisation de lumière est synonyme de mort certaine). De ce fait, même s'il raconte avant tout son histoire, il raconte aussi, par ce regard très précis et parfois détaché, l'histoire de tous ces soldats qui ont été envoyés de force au Vietnam, pour une guerre dont ils ne comprenaient pas le sens (il a d'ailleurs lui-même longuement songé à déserter avant de faire ses classes, allant même jusqu'à préparer ses affaires pour partir au Canada).
Un extrait sur les types de mines, comme développé plus haut :
"Ce qu'on redoutait le plus, c'était le Bouncing Betty, l'une des mines les plus courantes. La Bouncing Betty surgit de son petit nid enfoncé dans la terre, et quand elle arrive au plus haut, elle explose - efficace et mortel. Quand le type a du bol et que la mine est là depuis pas mal de temps, qu'elle a été exposée à la pluie, il pourra peut-être voir ses trois dents sortir de l'argile. Les dents servent de détonateur. S'il marche dessus, le soldat malchanceux entendra une explosion sourde - il s'agit de la charge initiale qui envoie la mine à un mètre dans les airs. Le type fait encore un pas, commence celui d'après, et puis il a tout l'arrière en sang et ça y'est, il est mort. On appelle ça "le bon vieux pas et demi".
Malgré tous ces instants de désespoir dus au fait de voir des camarades mourir au combat et d'avoir des difficultés à survivre, Tim O'Brien revient également sur des instants de bonheur, de répit, qui l'ont sauvés de la folie, risque pour chaque soldat face à des conditions inhumaines : les rencontres marquantes qu'il a pu faire pendant ses classes, ayant notamment pour conséquence la tenue d'une correspondance avec un de ses camarades. C'est justement cette correspondance et cette expérience de la guerre qui vont le mener ensuite à l'écriture quand il rentrera aux Etats-Unis.
Un autre extrait qui montre justement un des moments d'accalmie de la compagnie Alpha :
" Le premier mois au sein de la compagnie Alpha a été une période assez particulière. C'était surtout des vacances. On se baladait sur les plages, à l'extérieur de Chu Lai, on faisait des patrouilles de garde et très peu d'embuscades nocturnes. Ce dont rêvaient tous les soldats. Il n'y avait pas de Viet-congs, pas de mines, il y avait du soleil, l'eau où l'on se baignait était bien chaude, on se faisait approvisionner deux fois par jour en lait et en bières. On formait une sorte de cirque ambulant. Toute une file de gosses et de nanas du coin nous suivait d'un banc de sable à l'autre, et tout ce beau monde essayait de nous refourguer du Coca, des photos de cul, nettoyait nos armes, et tout ça en échange d'une boîte de ration C. Pendant la journée, on jouait au foot. Il y avait deux ou trois amoureux qui traînaient sous leur poncho avec des Vietnamiennes. "
Ce qui est également intéressant dans ce récit, c'est qu'à aucun moment, Tim O'Brien ne prend véritablement parti pour ou contre cette guerre en particulier : il la décrit, tout simplement, en tant que soldat qui l'a vécue. La conclusion de son récit reste cependant sans appel, autant pour la guerre du Vietnam que pour toute autre guerre : c'est une action inhumaine, qui n'a aucun sens, et jamais réellement de véritable "camp" meilleur qu'un autre. C'est ce que montre le récit qu'il fait de son passage à Pinkville (My Lai), zone particulièrement dangereuse, dans lequel a eu lieu le massacre tristement célèbre de civils vietnamiens, en mars 1968, un mois avant l'arrivée de sa compagnie.
Un récit vraiment poignant, dont on a du mal à se détacher (je l'ai lu en un ou deux jours) et que je conseille fortement. L'écriture est à la fois passionnée, nous présentant un jeune homme en devenir, qui va se forger grâce (ou à cause) de cette guerre, et documentaire, en ce qu'elle décrit le plus minutieusement et froidement possible cette même guerre.
Pendant ma lecture, j'ai pensé immédiatement à Full Metal Jacket, film réalisé par Stanley Kubrick et sorti en 1987. En effet, là aussi nous assistons à la préparation éprouvante des futurs marines avant de partir au Vietnam, puis aux combats proprement dits, ainsi qu'aux répercussions psychologiques qu'a pu induire cette guerre sur toute une génération de jeunes américains qui n'y étaient que rarement partis de leur plein gré.
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Un couple, John et Kathie Wade passent quelques jours de vacances dans un coin perdu du Minnesota au bord d'un lac . John, gouverneur du Minnesota tente de se remettre de sa lourde défaite électorale après la révélation d'événements qui l'ont fait perdre alors que sa victoire était assurée : Ancien soldat ayant combattu au Vietnam, il a fait partie d'une compagnie qui a exterminé sauvagement des villageois, cet épisode a été soigneusement tu.
Au bout de plusieurs jours tranquilles, Kathy disparait, le bateau de la villa n'est plus dans le hangar et tout porte à croire quelle s'est perdue dans le dédale des lacs.
Deux récits s’entremêlent, on pourrait même dire s'entrechoquent : celui des recherches de Kathie et celui beaucoup plus torturé des pensées et des souvenirs de John.
"Parmi les disparus, comme parmi les morts, il n'y a que la fluctuation du possible .
Peut-être un paradis, peut-être pas."
Cet homme est foncièrement un manipulateur très doué , ne dit-il pas en parlant de politique où il excellait :
"La politique , c'était de la manipulation. Comme un spectacle de magie: ficelles invisibles et trappaes secrètes."
Manipulation aussi lorsqu'il évoque ses souvenirs de guerre ? Le lecteur est laissé maitre de croire ou pas son récit . Il oscille entre les vérités , des demi-mots esquissés, une tromperie habilement montée ...
C'est très habile de la part de l'écrivain mais laisse un sentiment de malaise d'autant plus que Tim O'Brien est un vétéran de la guerre du Vietnam et que on ne sait jamais quelle part de son expérience intervient dans ce récit.
Assez glaçant en vérité !
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Grâce à un impur hasard, j'ai commencé la lecture de Au lac des bois comme je terminais de regarder sur Arte les 9 volets de la plus passionnante, complète et pédagogique fresque documentaire jamais réalisée sur la guerre du Vietnam, due à Kenn Burns et Lynn Novick, dans laquelle Tim O'Brien intervient pour témoigner sur des images d'archives où on le voit, lui et tous ses frères d'armes au combat.
Dans le roman, John Wade, après son retour du bourbier, un homme en ruines ayant perdu le contact avec une partie déterminante de lui-même, absent, ni là ni ailleurs, s'engage en politique après avoir achevé ses études d'avocat. Il est élu sénateur du Minnesota pour ne pas ressembler à de nombreux vétérans clochardisés qui dorment sous les ponts, méprisés par leurs compatriotes, oubliés du pouvoir, gommés de l'Histoire. Mais lors de sa réélection, il est balayé par l'opinion publique sous le choc de la révélation du massacre de My Lay perpétré par la Compagnie Charlie, le 16 mars 1968, au cours duquel entre 200 à 500 civils selon les sources, vieillards, femmes, enfants, bébés, ont été égorgés, sodomisés, violés, éventrés, énucléés, scalpés, abattus comme les chiens, veaux, vaches, poulets de la pauvre communauté... Or John Wade/Tim O'Brien, dans la vie comme dans le roman était là, témoin des exactions. Voilà sa réputation politique flinguée, sa carrière foutue. Avec sa femme Kathy, avec qui il a cru pouvoir construire un bonheur post-traumatique, il se réfugie au bord du Lac des Bois. Mais un matin, Kathy disparaît, le bateau n'est plus amarré au ponton...
Il s'agit d'un roman d'une puissance exceptionnelle, dans lequel la part de fiction rend la réalité de la guerre plus grave, horrible, lui donne une netteté saillante, vivante. En alternance, John Wade parle de son enfance, il voulait être magicien, prestidigitateur ; il évoque sa vie sentimentale ; il incruste des citations d'écrivains ; des extraits authentiques de dépositions faites en cour martiale, qui après des bruits d'enquête, des blagues inquiètes et des rires forcés n'a retenu comme seul coupable du massacre, que William Calley, condamné à trois ans d'assignation à résidence.
Qu'est-il arrivé à Kathy ? Que s'est-il passé ? Qui le saura jamais ? En tout cas, comme prévient l'auteur, si l'on veut connaître la vérité, il faut lire un autre roman. Ici, plusieurs hypothèses sont émises par un homme en pleine confusion mentale et délitement moral, une âme perdue, brouillée avec la réalité du monde. Il porte des fardeaux, se mure dans le silence, cache une histoire démoniaque aux autres et à lui-même, escamote, verrouille et truque sa vie. Il cherche l'oubli ou trahit le présent à chaque bouffée d'air tirée de la bulle d'un passé pourri. N'est-il plus qu'un esprit serpentant à travers le dernier mécanisme d'une dernière illusion magistrale pour s'auto-persuader que cela n'a pas existé, comme un magicien fin manipulateur sait tromper son public. Et si la vérité était inaccessible ? Et si tous les secrets ne menaient qu'à l'obscurité, et si au-delà de l'obscurité, il n'y avait que des peut-être ? L'épilogue est d'une beauté à couper le souffle.
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Tim O'Brien, soldat en Asie, rêve, pour échapper à l'horreur de la guerre.
Vingt ans plus tard, à l'image de la plupart des vétérans, les souvenirs du Vietnam, toujours présents, lourds, encombrants, perturbent encore sa vie familiale et professionnelle. Ecrire devient alors une nécessité à la finalité triple : amoindrir voire exorciser les regrets, remords, culpabilités; rendre hommage à ses compagnons vivants et disparus; témoigner face au monde.
Quelles choses les soldats emportent-ils avec eux ? En une vingtaine de pages, le premier chapitre consacré à cette liste exhaustive ---barda de trente kilos de matériel obligatoire, de kits de survie, de fétiches et fétichismes personnels--- donne le ton et ouvre la porte des souvenirs.
L'humour noir ou blagueur selon les circonstances, s'entremêle aux descriptions poétiques des lieux, à l'horreur du carnage, aux récits parfois crus jusqu'à l'insoutenable, à la gaîté réelle ou forcée, au découragement comme au courage, à la vérité vraie et celle ressentie ou imaginée, à la perception immédiate que la mémoire enjolivera ou déformera …
Rêve ou réalité ? On ne sait plus exactement; mais le rêve permet de s'évader, de juguler cette réalité par trop inhumaine; et se trouve en l'occurrence être l'unique pilier de soutien, la seule échappatoire permettant de fuir l'enfer.
Le Trick or Treat du Halloween américain ! Littéralement : un bonbon ou un sort, qui peut aussi se traduire par la bourse ou la vie.
En fait … Eux ou Nous !
Lorsque l'on découvre que l'auteur applique cette pratique du rêve depuis son enfance, on peut logiquement se poser la question : est-ce cette faculté, cette habitude, qui lui a permis de survivre moralement au Vietnam ?
Et si le récit est dur, percutant, poignant, jamais, ni dans le passé ni dans le présent, il n'est glauque, trouble, voyeuriste.
Ce livre m'a ramenée des années en arrière, près de mon grand-père qui a fait la guerre 14-18, de la Crête aux Vosges et à l'Aisne, via la Serbie. Il n'en parlait jamais, n'en racontait que les anecdotes gaies.
Mais nous avons toutes les lettres que pendant quatre ans, il a envoyé à notre future grand-mère; y sont exactement similaires : le ton, le non-dit, le courage modeste, l'obéissance obligatoire aux ordres, les critiques camouflées, la lassitude sous-jacente, l'horreur dissimulée et parfois avouée, le rêve en tant que palliatif, et malgré tout, ou à cause de, la faim, plus exactement la rage de vivre.
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Au lac des bois.
Tim O’Brien (traduction Rémy Lambrechts)
Au lac des bois dans le Minnesota il fait bon se baigner, prendre un apéritif sur la terrasse, boire un café en lisant le journal.
Au lac des bois il fait bon vivre.
Surtout après l’échec cuisant de John Wade aux élections sénatoriales…
C’est dans ce paisible endroit qu’il compte reprendre des forces avec sa femme.
En profiter pour se redécouvrir, redevenir amoureux l’un de l’autre.
Mais un drame survient qui leur ôtera toutes possibilités : au petit matin Kathy à disparu ainsi que le bateau dans la grange.
Pendant des mois les autorités, la famille et John vont chercher Kathy encore et encore ne trouvant aucun indice.
Que s’est-il donc passé au lac des bois ?
Le sauront nous jamais ?
Un roman très étrange qui oscille en permanence entre la vie réelle au lac et les souvenirs d’enfance et surtout de guerre du Vietnam de Wade.
Je reconnais bien dans ce roman les « obsessions » de Tim O’Brien découvertes dans « Ce qu’ils emportaient ».
John Wade s’est enfermé à double tour dans ses souvenirs les plus horribles et il a jeté la clé.
Le style est particulier car on trouve des articles de journaux, des témoignages de personnes qui l’ont connu enfant puis des camarades de l’époque du Vietnam.
Petit à petit j’ai compris que je ne comprendrais pas tout de ce roman.
Beaucoup d’hypothèses et au final c’est à nous de choisir celle qui nous convient le mieux.
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J'ai eu envie de lire ce livre après un reportage sur ARTE je crois. J'ai été touché par la finesse du témoignage de l'auteur. Il sait assurément de quoi il parle, puisqu'il l'a vécu. J'aime son ton direct et ses descriptions crues, comme la guerre sans doute. Pour moi c'est un peu l'écho du livre de Maurice Genevoix "ceux de 14".
Heureusement que les guerres laissent des survivants qui savent témoigner avec autant de sens littéraire !
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Je n'ose même pas imaginer l'horreur que cela doit représenter que de décrire et traduire avec des mots les atrocités vues et vécues au cours d'une guerre. Quelle qu'elle soit.
Quand ici Tim O'Brien nous décrit avec précision les effets dévastateurs de tous les types de mines disponibles ou bien les pièges imaginés par chacun pour mieux affliger l'adversaire de blessures (physiques et morales) irrémédiables. Les images de corps meurtris et mutilés se gravent de manière permanente dans l'esprit des témoins, compagnons d'armes et d'infortune envoyés au champs de bataille.
La guerre s'insinue partout. Prend d'assaut toutes les failles et faiblesses de ceux qui la vive. Elle ne rend à la vie que les fantômes des hommes qu'elle a prit.
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Roman d'analyse psychologique mais celle-ci ne conduit pas ici à la clarté; au contraire; le mental en déséquilibre est un dédale semé de gouffres. Le personnage central de cette histoire d'amour et de mort, un politicien avide de pouvoir et dont la carrière se trouve soudain brisée, tente de s'expliquer à lui-même, de découvrir sa propre identité, et ne débouche que sur la démence. Sa femme l'a-t-elle quitté? S'est-elle suicidée? L'a-t-il assassinée? Au réalisme simpliste de ces questions se substituent les méandres de l'incompréhension. Roman puissant, insolite, plein de fièvre.
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Un chef d'œuvre. Une note parfaite.
Le déroulement du récit, l'écriture serrée, les descriptions saisissantes, les personnages plus grands que nature, les réflexions sur une guerre à laquelle le protagoniste n'adhère pas et son regard sur les combattants et l'ennemi.
Troublant. Dérangeant. Admirable. À lire.
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J'ai beaucoup aimé ce roman et l'ai dévoré quasi d'une traite !
Le roman alterne entre les souvenirs, abominables, terrifiants, du "héros", John, de sa Guerre du Vietnam; et la disparition de sa femme, Kathy, au bord du lac des Bois à la frontière entre le Minnesota, le Manitoba et l'Ontario.
Ambiance bizarre. Envoutante.
Superbe roman, à l'écriture assez originale.
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