Timothy Leary

Dans 1984, l'Etat totalitaire utilise la télévision pour épier les citoyens. Ce qui arrive actuellement est pire: les citoyens s'alignent docilement et volontairement devant la boîte à endoctrinement et ils se délectent des messages et des images servis en technicolor par Newspeak.
Prophète visionnaire, Marshall McLuhan a bien appréhendé la situation. Il a dit: "Le medium constitue le message".
La pourriture transmise par l'écran n'a aucune importance.

Timothy Leary 1994

Branchez vous, accordez vous et laissez tomber.
Le temps est venu d'enclencher votre interrupteur intérieur sur la position pleine puissance.
Écoutez il faut choisir.
Vous pouvez passer le temps qui vous reste à vivre comme figurants sous payés dans un film documentaire en noir et blanc et à petit budget tourné par quelqu'un d'autre.
OU BIEN
Vous devenez les producteurs de vos propres films.
Réalisez les, écrivez les, assurez en la distribution et choisissez les extérieurs pour le plus grandiose ébranlement de la réalité jamais tourné. Pourquoi se contenter de moins ?

Des centaines d'Anglais sont revenus chez eux avec une conscience indienne. L'Angleterre fit des lois, mais l'inde s'empara du cerveau des législateurs.
Les madras ont laissé leur marque ondulante dans les usines d'Angleterre.

Voilà pourquoi les intellectuels anglais n'ont jamais avalé la pilule du rationalisme des Français, cette grande amertume d'un esprit déplaçant ses pièces jusqu'à l’inévitable désespoir du voyage existentialiste.

- Ils t'aiment toujours, au début. Et puis tu fais volontairement quelque chose d'extravagant. Promets-moi d'être raisonnable, Timothy.

Se brancher signifiait rentrer en soi pour activité son bagage nerveux et génétique. Devenir sensible aux divers et multiples niveaux de conscience ainsi qu'aux embrayeurs spécifiques qui permettaient d'y accéder. Les drogues étaient l'un des moyens d'y parvenir.

S'accorder signifiait interagir harmonieusement avec le monde autour de soi - extérioriser, matérialiser, exprimer ses nouvelles perspectives intérieures.

Laisser tomber renvoyait à l'abandon actif, sélectif et élégant des engagements involontaires ou inconscients. Laisser tomber signifiait avoir confiance en soi, découvrir sa propre singularité et s'engager dans la voie de la mobilité, du choix et du changement.

Puis je me retrouvai dans le fabuleux domaine des images. Palais sur le Nil, temples hindous, boudoirs de Babylone, tentes de Bédouins réservés au plaisir, scintillements de pierres précieuses, robes tissées de soie respirant de couleur, mosaïques flamboyantes d'émeraudes de Muzo, de rubis de Birmanie, de saphirs de Ceylan. Et voilà les serpents gemmés, ces reptiles mauresques qui glissent, ondulent, chavirent dans le canal ouvert au centre de ma rétine.

Et puis ce fut le voyage à travers l'évolution, garanti à tout client des Excursions Psychiques. Une dégringolade le long du tunnel de récapitulation, jusqu'à ces salles où se projettent les scènes antédiluviennes du cerveau moyen : âge du serpent, âge du poisson, âge de la plongée dans la jungle de palmiers géants, âge verdoyant des fougères dentelées.

J'observai tranquillement la première créature ramper sur la grève, je m'allongeai près d'elle, le sable crissant contre ma joue, puis je m'enfonçai vers les profondeurs vertes de l'océan. Bonjour, je suis le premier être vivant.

Pendant dix ans, mon équipe de recherche avait tenu le compte des succès obtenus en psychothérapie. Nous découvrîmes que, quelle que fût la méthode de traitement pratiquée, elle aboutissait aux mêmes décourageants résultats. Un tiers des patients voyait son état s'améliorer, un tiers ne subissait aucun changement, et la situation empirait pour le dernier tiers. Des groupes témoins qui n'étaient soumis à aucun traitement mirent en évidence des résultats identiques.

Malgré tous ses efforts, la psychologie s'était révélée incapable de développer une méthode pour modifier le comportement humain de façon significative et prévisible. J'avais découvert que je pratiquais un métier apparemment inopérant.

Pas question de se ruer à l'intérieur de cet Œuf Élégant, Distingué et Expérimenté avec une hâte de macho. En retrait, j'examinai timidement ses nombreuses ouvertures sensorielles en cherchant à déchiffrer les signaux qu'elle émettait, en essayant de déterminer ce que femme veut. Ma carrière en dépendait. Je me livrai naturellement à quelques tours pour attirer son attention. Ceux-ci durent être efficaces, car une douce attraction magnétique me fit tendrement remonter en flottant le Grand Canal Ovarien puis le Boulevard des Gènes Brisés tandis que je me sentais jaugé, choyé et (d'une certaine manière empreinte d'hilarité) cherché et guidé. On m'introduisit dans cette douce et onctueuse demeure, mon corps mince et reptilien se tordant de plaisir. Plus j'étais attiré vers cette sphère solaire, plus je me dissolvais au sein de tourbillons d'intelligence tiède...

- Branchez-vous, accordez-vous et laissez tomber. Le temps est venu d'enclencher votre interrupteur intérieur sur la position pleine puissance ! Écoutez, il faut choisir. Vous pouvez passer le temps qui vous reste à vivre comme figurants sous-payés dans un film documentaire/pédagogique en noir et blanc et à petit budget tourné par quelqu'un d'autre. OU BIEN. Vous devenez les producteurs de vos propres films. Réalisez-les, écrivez-les, assurez-en la distribution et choisissez les extérieurs pour le plus grandiose ébranlement de la réalité jamais tourné. Pourquoi se contenter de moins ?

Choc, terreur. C'était ma fille, et c'était le jeu du père-avec-sa-fille. Un échange creux, superficiel, stéréotypé et vide de sens : Salut, P'pa, Salut Sue, Comment ça va, P'pa ? Et l'école, ça va ? Qu'est-ce que tu veux pour Noël ? Tu as fait tes devoirs ? La poupée de plastique représentant le père et la poupée de plastique représentant la fille toutes deux montées sur roulettes et se croisant en roulant, toujours et encore, sur des rails inamovibles. Une vulgaire caricature de la situation réelle : deux complexes agrégats d'un billion de cellules, enracinés dans une éternité d'évolution et partageant pour un instant infime cette unique configuration de l'espace-temps. Alors que nous nous voyions offrir cette chance de mêler nos âmes et de nous apporter l'un l'autre la divinité, nous nous lancions des Salut P'pa, Salut Susan, des vagissements...

Je la regardai d'un air implorant, cherchant de toutes mes forces à établir un contact authentique. J'étais étourdi par la culpabilité.

A l'aube de cette nouvelle décennie, Harvard était un prestigieux récif de corail, accumulation compacte de traditions académiques entassées au fil des siècles, où s'engraissait un éventail très large de créatures du littoral : professeurs titulaires solidement cramponnés, conférenciers vifs comme l'éclair, diplômés glissants et nerveux, minuscules étudiants à la robe éclatante de couleurs, que croquaient de prestes crabes universitaires ou, parfois, des orques de l'espèce Kissinger-Schlesinger venues nager en ces eaux abritées à l'occasion des migrations annuelles qui leur faisaient quitter et regagner Wall Stress, Washington, et autres territoires de chasse.