Si aujourd’hui j’en suis là, c’est grâce à la lecture. J’ai beaucoup lu. J’ai lu, et je lis beaucoup. C’est l’unique façon d’arriver à écrire. Il n’y a pas d’autre moyen d’écrire qui ne passe pas par la lecture.
Il n’y a pas longtemps je me suis demandé comment se font les souvenirs, comment on peut les préserver, et qu’est-ce qui se passe si on les perd. Pour répondre à tout cela, j’ai écrit « La mémoire de l’arbre ».
Tina Vallès, discours inaugural « XXX Jocs Florals Escolars de Ciutat Vella », 23 mai 2017.
Ces conversations
Si mes parents savaient tout ce que je demande à papi sur le chemin de la maison, je suis sûr qu'ils se fâcheraient. Mais je ne comprends pas comment elle marche, sa maladie, comment on perd la mémoire, comment la tête peut se vider de tous les souvenirs et oublier tout ce qu'on a vécu. J'ai besoin de réponses. (...)
J'ai l'impression que papi a autant besoin de mes questions que moi. ça le rassure de voir qu'il arrive à y répondre.
"J'aime bien rentrer de l'école avec toi, papi.
-Moi aussi, Jan.
-Et j'aime bien te poser des questions. Que tu me laisses te les poser. (p. 137)
[***citation déjà choisie par rkhettaoui ... que je retranscris toutefois, car très appréciée... et pour remettre ce livre en avant ! ]
L'Histoire
Quand j’étais petit, je disais que le travail de papa, c’était de raconter des histoires. Maintenant, je sais que c’est l’Histoire avec un grand H qu’il raconte. Il dit que c’est le h de l’humanité, le h des hommes et qu’on l’écrit en majuscule parce qu’il supporte un grand poids, le poids du monde depuis qu’il existe. Et c’est ce poids qu’il raconte dans ses cours à l’université. Quand il ne fait pas de la recherche.
Ce qu’il voudrait, papa, c’est être chercheur. Quand il dit ça, je l’imagine au milieu des pyramides, ou en blouse blanche devant un microscope. Mais il fait de la recherche avec des gants blancs et de vieux livres qui sentent l’église.
Il dit que même si l’Histoire est passée, il faut l’étudier, la comprendre et savoir l’expliquer pour qu’elle ne se répète pas, pour que l’humanité marche vers l’avant et non en cercle. (p.70)
«Qui et llegeix no vol sentir-te explicar el que has escrit, només llegir-te i llegir en tot el sentit del verb, interpretar el que has escrit amb les seves eines, les que té ell»
Le lecteur ne souhaite pas t'entendre expliquer ce que tu as écrit, il veut seulement te lire et lire dans tous les sens du mot, interpréter ce que tu as écrit d'après ses propres outils, ceux qu'il possède, lui.
Je ne sais pas comment il fait, papi. Il parle avec tout le monde et se met tout de suite les gens dans sa poche avec ses histoires d'horloges, d'arbres, et de temps anciens et lents.
Toujours les arbres...
-Oui, les arbres m'aident aussi à te répondre, et aussi à répondre à mes propres questions. J'y trouve presque toujours une réponse.
-Eh bien, moi, je ne les comprends pas, ces réponses.
- Moi non plus, pas toujours, mais je les garde au cas où j'y parviens un jour.
Je sais que papi est en train de me dire de retenir tout ce dont on parle. Comme s'il me donnait des provisions pour quand il ne sera plus là. (p. 136)
Papi dit qu'une souche est un arbre dont la mémoire est à découvert.
À la maison, quand on est contents, on est tous des rois. Tu as passé une bonne journée, mon roi ? Tu as vu mon portable, ma reine ? Tu as fini tes devoirs, mon roi ? Maman est celle qui le dit le plus souvent. Mais la championne, c’est mamie : elle appelle tout le monde comme ça, même les gens qu’elle ne connaît pas. Maman ne le dit qu’à papa et à moi. Et papa le réserve à maman. Moi, ça ne me vient pas. Mais j’aimerais bien y arriver. Quand les grands prononcent ce mot, on dirait que c’est le seul qui convienne. On sent une sorte de chaleur au fond du ventre, comme si on n’allait jamais tomber malade. J’aimerais bien apprendre à le dire et à conserver nos trônes pour toujours.
Quand j’étais petit, je disais que le travail de papa, c’était de raconter des histoires. Maintenant, je sais que c’est l’Histoire avec un grand H qu’il raconte. Il dit que c’est le h de l’humanité, le h des hommes et qu’on l’écrit en majuscule parce qu’il supporte un grand poids, le poids du monde depuis qu’il existe. Et c’est ce poids qu’il raconte dans ses cours à l’université. Quand il ne fait pas de la recherche.
Ce qu’il voudrait, papa, c’est être chercheur. Quand il dit ça, je l’imagine au milieu des pyramides, ou en blouse blanche devant un microscope. Mais il fait de la recherche avec des gants blancs et de vieux livres qui sentent l’église. Il dit que même si l’Histoire est passée, il faut l’étudier, la comprendre et savoir l’expliquer pour qu’elle ne se répète pas, pour que l’humanité marche vers l’avant et non en cercle.
Papa s'est arrêté et s'est frotté les sourcils avec deux doigts. Et puis il m'a aidé à chercher les fourmis. quand on les a trouvées, il en a pris une et on s'est assis à chercher les fourmis. Quand on les a trouvées, il en a pris une et on s'est assis sur la marche d'une boutique qui n'avait pas encore ouvert.
"On peut être les deux, Jan. Toi, tu dois être une fourmi pour préparer l'hiver. Papi, lui, il a déjà passé l'hiver, alors il peut chanter maintenant. "
Je n'ai pas tout à fait compris, mais les yeux me disaient qu'il ne voulait pas d'autre question? ça m'allait bien comme ça.
Il y a des réponses qui viennent toutes seules, plus tard, en procession peut-être, comme une miette de pain sur le dos d’une fourmi, ou par les airs, comme le chant d’une cigale.