(...)
Cette nuit
la lumière en flamme de Hiroshima
se reflète sur le lit de l'humanité;
avant longtemps l'histoire
aura tendu une embuscade
à tout ce qui ressemble à dieu.
Dans les ténèbres de la conscience vacillante
des nerfs cherchent à tâtons ce qui a été perdu
se heurtent au rideau de fumée de l'éclair
et une fois encore
se consument
Extrait de "Aveugles"
Les chauds rayons d'uranium
qui ont repoussé le soleil
impriment sur la chair du dos des vierges
le motif fleuri d'une soie fine,
mettent instantanément en feu
la robe noire d'un prêtre
1945, Aug.6
en ce minuit en plein midi
l'homme à coup sûr a livré Dieu
aux flammes.
Cette nuit
la lumière en flammes de Hiroshima
se reflète sur le lit de l'humanité ;
avant longtemps l'histoire
aura tendu une embuscade
à tout ce qui ressemble à Dieu.
Extrait de "Flammes"
Septième jour :
Dans la faible lumière de l'entrepôt vide, une silhouette sanglote toute la journée dans un coin ; à l'ombre de ce pilier, la poitrine du dernier blessé silencieux comme une pierre s'essoufle, s'arque.
Extrait de "chronique de l'entrepôt"
Ventre déchiré vers le ciel
la vision d'un cheval de somme piétinant le vide
erre sur le pavé autour de l'abreuvoir
dans le quartier des baraques abandonnées par les
services d'intendance
au fond d'une ruelle infecte tu vis cachée
voilà près d'un an depuis cet été-là
que cachée sous un parapluie
tu te rends régulièrement à l'hôpital
la silhouette translucide d'un B 29
t'est soudain tombée sur le visage
la cicatrice de l'éclair
s'est incrustée de tes paupières jusqu'à ton nez
toi
tu dis que jusqu'à la mort tu ne verras plus personne
d'un bras arraché par une maison qui s'effondrait
tu te tricotes
un fil de laine de vie
de quel sang gluant
laisse-t-il la trace dans ta paume ?
Des ailes de moulins tournant lentement
une ville tranquille où des enfants jouent dans des jardins potagers
c'est sur cette route brûlée
que plusieurs fois j'ai fait demi-tour
et qu'aujourd'hui décidément je vais te rendre visite
des bosses comme celles d'un reptile
une peau huileuse sans un poil
dans la rougeur du soleil couchant
rappellent à mes lèvres le goût des os de mes parents ;
dans l'ombre des croûtes dures qui
de cicatrices douloureusement lancinantes dans la
chaleur et le froid
font couler des gouttes de pus puant
à toi qui gèles ton coeur de fille calciné
je dirai
la force de flammes imprimant sur tous les humains
la brûlure d'un espoir fou qui suinte du fond
et le combat dans lequel mille images pareilles à toi
dévorent les ténèbres du monde
sous les bruits d'explosions qui de nouveau nous
recouvrent
je dirai ce temps
où ma colère
et tes malédictions
se changeront en le plus beau des visages
Poème "Pour une dame"
Comment oublier cet éclair
en un instant 30 000 dans les rues disparaissent
au fond de ténèbres qui s'écrasent
les cris de 50 s'éteignent
fumés jaunes se dissipent en volutes
déchirés les bâtiments, effondrés les ponts
les trains ont brûlé bondés
infini tas de tuiles de pierres restes calcinés de Hiroshima
(...)
Au poste de soins d’urgence
Vous
qui pleurez mais sans plus d’endroit d’où puissent venir
des larmes,
qui criez mais sans plus de lèvres pour former
des mots,
qui cherchez à agripper mais sans plus de peau sur les
doigts pour saisir
vous
inondées de sang d’une sueur huileuse de douleur et de
lymphe vos quatre membres se débattant
gonflés réduits à un fil vos yeux scintillant blancs
seuls les élastiques de vos culottes tenant dans vos
ventres enflés bleuis
même si de l’exposition de vos parties intimes vous
voudriez avoir honte vous n’êtes plus en état,
et qui pourrait croire
qu’un instant plus tôt
vous étiez de jolies lycéennes ?
Émergeant des flammes qui étincelaient obscurément
dans Hiroshima brûlée et pourrie
vous qui n’étiez plus vous-mêmes
vous sortiez en sautant, en rampant l’une après l’autre
jusqu’à ce terrain en friche
vous ensevelissiez vos têtes dénudées sauf quelques
touffes dans une poussière d’agonie
Silhouette
Cinémas maisons de geishas, marchés en plein air
dès que brûlés rebâtis, détruits dès que rebâtis et
s’étendant comme la gale ;
de la graisse fond sur la tête huileuse
du grand frère de Hiroshima ;
dans les reconstructions no stocking
se sont adjoints partout visibles
tôt suspendus des panneaux en anglais
et aussi un des « Vestiges de la bombe atomique » ;
enclose par une palissade peinte
dans un coin des marches en pierre d’une banque
voici faisant tache sur le grain rouge-noir de la pierre
une forme intime ;
ce matin-là
un éclair de dix mille degrés
a imprimé sur une épaisse dalle de granit
les hanches de quelqu’un
sur les marches fissurées rouge pâle
en traces de sang écoulé avec des entrailles fondues en boue
une silhouette carbonisée
pourquoi vous faut-il souffrir à ce point
pourquoi vous faut-il souffrir à ce point
pour quelle raison
pour quelle raison
combien désespérées de votre état
combien loin de l’humain
sous quelle apparence vous avez été rejetées
vous ne le savez plus,
simplement
vous pensez
à vos pères mères petits frères petites sœurs tels que ce
matin
(est-ce qu’aucun d’eux vous reconnaîtrait maintenant ?)
et aux maisons où vous dormiez vous éveilliez mangiez
(en un instant les fleurs des haies furent arrachées et
qui sait la trace de leurs cendres ?)
auprès des allées et venues des habitants calmes et indifférents
bons au point de faire pitié
exposée au soleil battue par les pluies ensevelie dans de
la poussière de sable
pâlissant année après année ; cette silhouette
la banque qui déposant au bord de son entrée le « vestige »
crache dans la rue de rugueux morceaux de pierre et de verre brûlés
dans l’achèvement de grands travaux de reconstruction
brille en un corps immense au soleil couchant ;
à la diagonale sur la place
un marchand forain déguisé en bonze voyageur attire des foules ;