C’était là tout le problème de cet exposé : on se contentait de nous dire que, pour se protéger des crocodiles, il fallait les éviter, notamment en restant loin de certains cours d’eau ; pour se protéger des serpents, il fallait faire beaucoup de bruit et « les éviter autant que possible ». On ne nous expliqua pas quoi faire si l’on tombait face à face avec l’une de ces bêtes, ni comment soigner la victime d’une morsure.
Personne ne peut s’imaginer en train de mourir. C’est toujours les autres.
Imaginez que vous puissiez dire cela à propos de quelqu’un : IL M’A SAUVE LA VIE. Forcément, après cela, vous ne verrez plus cette personne de la même manière.
C’est ainsi que je devins un héros. Le journal local a titré « Saint George à la rescousse ». Mon nom a été détourné dans d’autres jeux de mots similaires un peu partout dans la presse nationale. Je suis passé à la télé. J’avais sauvé la vie d’un bébé. Le grand type avait sauvé à la fois la mère et le bébé, mais c’est moi qu’on a mis en tête d’affiche. On m’a collé une sacrée responsabilité. Pourtant, ce n’était qu’une suite de hasards heureux : le bus s’est arrêté devant l’immeuble, j’ai regardé par la fenêtre au bon moment, un type costaud s’est ramené juste quand il le fallait. Mais ce qui, sur le moment, s’apparentait à de la chance, n’était que la première étape d’une autre succession d’événements, bien plus horribles. En y repensant, je me dis que ma vie serait peut-être meilleure aujourd’hui si je n’avais pas sauvé ce bébé.
Personne n’est triste quand une VERMINE meurt.
Personne ne pleure quand une mouche est ECRASE. ( Pas les personnes normales en tout cas.)
Des millions de personnes MANGENT des animaux morts. TOI aussi.
Admets-le : même TOI, tu n’as aucun remords à écraser une guêpe. Et pourtant tu te crois si innocent, si parfait, un de ces guignols qui-ne-font-jamais-rien-de-mal, jamais-jamais-jamais.
Pourquoi chacun se met dans le camp des gentils, et les autres dans le camp de ceux qui se trompent ? Même les personnes les plus insignifiantes, comme toi, pensent ainsi. C’est minable.
-Il méritait de mourir. Il n’était rien.
- Personne ne mérite de mourir. Tout le monde devrait avoir la chance de devenir bon, même si certaines personnes n’y parviennent jamais, répliquai-je.
-C’est le genre de réflexion typique d’un type comme toi, ricana-t-il*.
Puis il ajouta :
-Je pensais que tu faisais semblant d’être parfait, mais maintenant je me demande si tu n’es pas parfait à ta façon, c’est-à-dire quelqu’un d’étroit, sans imagination et dégoûtant.
Je me suis dit que cette dernière phrase transpirait la folie.
Finalement, j’ai supplié les responsables du parc de me laisser tranquille. Je n’étais pas blessé et je ne voulais pas rater l’occasion de m’amuser sur d’autres activités pour retrouver le moral. Je me suis rappelé un conseil que mon père m’avait donné lorsque, à environ onze ans, j’essayais de réaliser quelques figures avec mon vélo. « Si tu tombes, remonte en selle aussi vite que possible avant que la peur ne te rattrape. »
Il suffisait de gratter la surface. Il était là, (le mal à l’état pure) caché sous sa tenue criarde, son accent rigolo et sa touffe de cheveux roux. (….) Tout ce que j’ai découvert, c’est qu’il était une personne manipulatrice, malveillante, qui se comportait en public comme quelqu’un de sérieux et digne de confiance. On ne peut pas toujours deviner.
Luke était doué. Il n’était presque pas aussi bête qu’il le semblait.
Mais il a commencé à avoir des doutes… Il a commencé à ressentir la chose la plus stupide du monde :
LA CULPABILITE. La culpabilité. Cette main minable qui se pose sur ta bouche et qui t’empêche de vivre.
Il devait être contrôlé.
Et je m’y connais en contrôle, non ?
Le fait de frôler la mort, cela vous change.