Ça y est, c'est sûr, je suis amoureuse de l'écriture de Tom Lanoye. Après "La langue de ma mère" qui m'avait tourneboulée jusqu'au fond des tripes mais pour des raisons très personnelles, j'ai tenté une deuxième approche pour confirmer ma première impression. Bref, résultat, me voilà prise au piège de sa prose, mais je ne m'en plains pas le moins du monde.
Et donc, ces boîtes ? Il y en a trois, personnelles, plus une, à contenance universelle. Je m'explique.
La première : la boîte en carton qui, dans les années 70 (prononcez "septante"), sert de valise au jeune Tom, dix ans, pour deux semaines de colonie de vacances dans les Ardennes, financées par les Mutualités Chrétiennes. L'occasion pour le petit gars de rencontrer Z., son premier amour, même s'il ne connaît pas encore les mots à plaquer sur ce qu'il ressent pour son camarade. Oui, SON camarade. Parce que, d'emblée, on sait qu'il sera ici beaucoup question d'homosexualité.
La deuxième : la "Boîte", surnom du collège catholique élitiste où Tom et Z. se retrouvent dans la même classe. Six années pendant lesquelles Tom gardera son amour pour Z. secret, de même que ses séances répétées de masturbation frénétique, lesquelles sont cependant décrites au lecteur de long en large (si je puis me permettre). L'occasion aussi de partir à nouveau en colonie de vacances avec Z., en Suisse cette fois, et de tenter quelques manoeuvres d'approche aussi discrètes qu'incomprises.
La troisième : la, ou plutôt les boîtes d'archives que Tom l'écrivain conserve "pieusement" depuis ces années d'émoi. En particulier celle où il est question d'un dernier voyage avec Z., non pas en colo, mais avec ses condisciples, quelques semaines avant la fin de la dernière année scolaire à la "Boîte", avant l'entrée dans le monde adulte. Un voyage en Grèce, au pays des éphèbes, apothéose culturelle et espoir de climax amoureux, mais dont le final tourne à la tragédie... grecque pour Tom, qui en reviendra avec son premier chagrin d'amour.
La quatrième : celle qui englobe les autres et dans laquelle on peut tous se reconnaître, un peu, beaucoup, passionnément...
Oui, on peut s'y reconnaître, parce que (et sans même tenter de refréner mon enthousiasme), en vrac :
Même si c'est un récit autobiographique qui parle d'éveil à l'homosexualité, c'est aussi l'histoire d'un premier amour et du chagrin qui va avec, et c'est si entier et si sincère, et tellement bien décrit que ça touche à l'universel et que ça vous plonge dans vos souvenirs.
Parce qu'il y a l'humour, l'auto-dérision, et puis cette façon jouissive de brocarder les rivalités entre mutualités chrétienne et socialiste, la ligne de faille typiquement belge entre collèges cathos et athénées impies, et la révolution interne à l'enseignement catholique, contraint de se moderniser et d'accepter des profs laïcs et "rénovants" dans un corps enseignant jusque là exclusivement vêtu de soutanes et de cols romains. Les anecdotes et les portraits qu'il tire de certains professeurs me rappellent ceux que mon père et mes oncles et tantes racontent encore de leurs propres années de secondaire.
Parce que l'écriture sonne tellement juste dans ses détails et son réalisme qu'on se sent pris, pas tant de belgitude, mais de "flamanditude", avec ces descriptions du quotidien de la classe moyenne d'une petite ville provinciale de la Flandre patoisante...
... et parce que c'est magnifiquement traduit, chapeau bas et mille mercis à Alain van Crugten.
Parce que c'est drôle, nostalgique, un brin sulfureux, truculent et décomplexé, parce que l'auteur y parle avec tendresse et générosité des femmes de sa vie, mère, soeur, tante, amies, auxquelles il rend hommage. "Les femmes ont le coeur trop grand pour ce bas-monde", ça se passe de commentaire.
Parce qu'enfin, il s'adresse à son lecteur, en lui témoignant respect et admiration, et que j'en suis toute « paf ».
"Autori salutem"; ceux qui ont lu comprendront.
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