" On est tout petits, Judy, reprit-il après une pause. Tous autant qu'on est. Même si chaque jour de la semaine on s'agite pour l'oublier, ça n'en reste pas moins vrai. On est tout petits, on est pas grand-chose, et peut-être, si on a un peu de cran, on parvient à faire quelque trucs qui en valent la peine, et puis on disparaît.
Parfois je considère la couverture d'un livre comme une porte vers un autre monde... Et d'autres fois, comme une trappe de secours pour fuir celui dans lequel on vit.
Je me souviens d'avoir lu quelque part que la première chose à faire quand on se sent mal à l'aise à propos d'un sujet important, son mode de vie, les directions que l'on prend, un problème dont on essaie de se sortir... La première décision qu'il faudrait prendre, c'est celle de s'arrêter. S'arrêter vraiment. Se transformer en rocher au milieu du torrent.
Elles sont nombreuses, celles qui, quand elles voient le coeur d'un homme écrasé sur le bitume, croient pouvoir le réparer.
" Ton père était un monogame rigoureux, jusqu'au deuxième verre."
Elle disait aussi, avec un sourire triste :
" Rares sont les mariages équipés de véritables carrefours."
Je vais te dire une chose, Judy. Voici ce qu'il va falloir qu'on accepte . Pour toi, je n'étais qu'un chapitre... Un bon chapitre, peut- être, ou même ton chapitre préféré, mais en tout cas rien de plus. Alors que pour moi, tu étais tout le livre.
Judith était convaincue qu'au-dessus de tous les types d'amour très routiniers formés ( et, jugeait-elle, édulcorés) par les liens du sang, du pragmatisme économique, ou même de la proximité géographique, il en existait un autre, ainsi qu'elle l'avait un jour expliqué à Lucy Meynke, qui vous prend à Akron, Ohio, et vous transporte à Rio de Janeiro. ( "Appelons ça la Variation de Rio", avait décrété Judith. Lucy Meynke avait déclaré avoir, quant à elle, surtout rencontré le genre d'amour qui vous trouve à Minneapolis et vous emmène à St Paul, soit trente kilomètres plus loin.)
Pour toi, je n'étais qu'un chapitre... Un bon chapitre peut-être, ou même ton chapitre préféré, mais en tout cas rien de plus. Alors que pour moi, tu étais tout le livre.
Depuis toute petite, Judith avait entendu nombre d' aphorismes déprimants appliqués au mariage, presque tous de la bouche de sa propre mère. Tous les mariages ont une faille quelque part, lui avait un jour dit celle-ci. Le mariage avale l'amour et recrache du chagrin. Le mariage est une maison où sont cantonnées les femmes et où les hommes ne sont que de passage. ( Ou, selon une variante : le mariage est une maison avec une femme enfermée dedans.)
Et si, au final, nous n'étions tous que des oiseaux incapables de voler ?