Lecture en anglais de Tomas Espédal, à partir de son texte "Marcher"

Ainsi se présente la journée :
Blanche.
Crocus. Lis. Perce-neige. Cigarettes.
Soleil. Quelque chose de noir.
Tôt le matin, déjà, dans cette lumière forte : des bribes de noir.
Qui ne disparaissent pas.
Quelque chose de mauvais. De sombre. Qui se voit,
et qui redevient invisible. Blanc.
Des birbes de noir. Dans la journée.
Et pareil dans la nuit, quelque chose de blanc.
Quelque chose de terriblement blanc dans la nuit.
Et pareil dans la journée, quelque chose de noir.
Cela n’as pas de nom, et puis on lui en redonne un.
Les noms apparaissent. Une légère brume blanche. Puis un soupçon de bleu. Un courant d’air frais et ce bleu argenté qui recouvre les carreaux. Fleurs de givre.
Soleil. D’abord un rayon clair, d’un jaune presque blanc, et puis la manière dont la lumière se déploie sur la vitre comme une flamme de gaz, orange et chaude : la manière dont les objets retrouvent leurs contours, la manière dont le lit devient lit. La manière dont les arbres deviennent arbres, dont les fleurs deviennent fleurs, dont les visages disparaissent et la maison devient maison. Les pièces deviennent habitables, reconnaissables : la manière dont les noms reviennent.
Tout ce qui n’advient pas fait mal.
Tout ce qui n’advient pas. Tout cela ne disparaît pas.
"La piste ouverte. La vaste demeure de l'âme est la piste ouverte. Ni le ciel ni le paradis. Pas "au-dessus", pas même "dedans". L'âme n'est ni au-dessus ni au-dedans. Elle est un voyageur sur la piste ouverte. Ni par la méditation. Ni par le jeûne. Ni par la connaissance du ciel et de la vie intérieure, à la manière des grands mystiques. Ni par l'exaltation. Ni par l'extase. Par aucune de ces voies, l'âme n'arrive à s'appartenir. Seulement en suivant la piste ouverte. Ni par la charité. Ni par le sacrifice. Ni même par l'amour. Ni par les bonnes actions. Par aucun de ces moyens, l'âme ne s'accomplit. Seulement en s'en allant sur la piste ouverte. Le voyage en lui-même, sur la piste ouverte. Exposé à tous les contacts. Sur deux pieds lents. Affrontant tout ce qui passe sur la piste ouverte. En compagnie de ceux qui suivent le même chemin. N'allant vers aucun but. Seulement la piste ouverte."
D. H. Lawrence
p40
On est passé à coté de ses poèmes, de la même façon que nous passons à coté d'un arbre, sans véritablement le voir, sans comprendre ce que nous avons laissé derrière nous. L'arbre et le poème sont porteurs du même message : nous devons apprendre à voir. Nous devons apprendre à lire. En lisant Olav Nygard, nous découvrons que tout ce que nous cherchions, tout ce qui nous manquait, est là, où que nous soyons, devant nos yeux. Caché dans ce qui nous est proche, dans les choses simples, dans ce qui nous entoure et nous est familier, dans ce que nous ne voyons plus à force de le côtoyer.
p66
Le plaisir que vous procure une maison n'a rien à voir avec la satisfaction de posséder un logement, il est plus profond, il réside dans le fait d'avoir trouvé un lieu où se reposer, où il y a de la chaleur et de la lumière, où on peut s'asseoir près de la fenêtre pour regarder dehors; être dedans. Le plaisir de la maison, c'est le plaisir d'être dedans. Le plaisir d'être dehors découle du fait d'avoir trouvé une maison, elle n'a pas besoin de vous appartenir.
p76
"Jamais je n'ai tant pensé, tant existé, tant vécu, tant été moi, si j'ose ainsi dire, que dans les voyages que j'ai faits seul et à pied. La marche a quelque chose qui anime et avive mes idées : je ne puis presque penser quand je reste en place; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit. La vue de la campagne, la succession des aspects agréables, le grand air, le grand appétit, la bonne santé que je gagne en marchant, la liberté du cabaret, l'éloignement de tout ce qui me rappelle à ma situation, tout cela dégage mon âme, me donne une plus grande audace de penser."
J.J. Rousseau.
p33
Pour Rousseau, le promeneur est donc un homme simple et paisible. Il est libre. Il a quitté la ville, abandonné famille et obligations. Il a fait ses adieux au travail. Aux responsabilités. A l'argent. Il a pris congé de ses amis et de sa bien-aimée, de ses ambitions et de son avenir. C'est un révolté, mais il a également fait ses adieux à la révolte. Il erre seul dans la forêt, en vagabond. Il parcourt les chemins, sans trop de possessions, il s'est approprié le monde et ses possibles. Tout ce dont il a besoin, il le porte dans un sac sur son dos.
p35
La bêtise de la nouvelle richesse. La bêtise des chalets et des maisons démesurés. La bêtise des voitures trop nombreuses. Combien de voitures faut-il à un homme ? Combien de pièces faut-il à une maison ? Combien de toilettes faut-il à un capitaliste ? Quelle quantité de bêtise peut supporter une société ? La bêtise de l'argent facile. La bêtise de la consommation. La bêtise de la cupidité. La bêtise de la nouvelle richesse. (p.114)
Ce doit être le langage qui est à l'origine de la solitude, me dis-je en franchissant la barrière d'une ferme, là où le chemin postal amorce une montée vers Mellingen. C'est un beau chemin. C'est donc à pied que l'on distribuait le courrier. La lettre n'est-elle pas l'emblème même de la solitude ? La personne qui écrit. Seule à la table. La lettre d'adieu. La lettre d'amour. L'enveloppe jaune que l'on ferme et qu'on abandonne à son sort. On n'écrit pas de lettres pour abolir la solitude; on les écrit pour la sceller. (p.54)
Quand elle franchit la porte pour aller à l’école, j’attends déjà son retour. J’attends son retour ; un jour elle téléphonera pour dire qu’elle dort chez une copine, un jour elle téléphonera pour dire qu’elle dort chez un copain, un jour elle téléphonera pour dire qu’elle va vivre dans une autre ville ; je m’y attends.
…
(L’auteur parlant de sa fille âgée de 15 ans avec une infinie tendresse)
La bêtise de la nouvelle richesse. La bêtise des chalets et des maisons démesurés. La bêtise des voitures trop nombreuses. Combien de voitures faut-il à un homme ? Combien de pièces faut-il à une maison ? Combien de toilettes faut-il à un capitaliste ? Quelle quantité de bêtise peut supporter une société ? La bêtise de l'argent facile. La bêtise de la consommation. La bêtise de la cupidité. La bêtise de la nouvelle richesse.