Citations de Tomas Espedal (100)
Nous sommes mardi et je sors . Je sors boire un coup . Une joie stupide . La joie de tanguer et de perdre les mots , de tituber et de ramper , un peu comme si on redevenait un enfant .
Moi je n'ai pas un nom à coucher dehors, dans ma famille tout le monde préfère dormir dans des maisons, c'est ce qu'on fait depuis des générations, et j'ai repris cette habitude comme si cela allait de soi, jusqu'à la première nuit que j'ai passée dehors. (p.125)
Le marcheur connaît la liberté. Il peut choisir ses chemins.
J'étais dans le jardin, face à la porte où une plaque m'informait qu'ici Rimbaud avait écrit -Une saison en enfer-, et c'est alors seulement, devant cette maison, que j'ai soudain compris que j'avais découvert le point de départ de ma propre écriture; la maison où le jeune garçon vivait avec sa mère. Le jeune garçon qui voulait se révolter, qui voulait partir, qui voulait la liberté libre. Le jeune garçon qui voulait écrire. Qui voulait vivre une vie poétique et déréglée. Qui voulait voir, qui voulait marcher. Parcourir le trajet Rimbaud. (p.171)
Qui étais je ? Où était elle ? Dans quelle maison, à quel âge ; l'instant précédent, elle avait dix-sept ans et elle en avait maintenant soixante-dix-huit, il lui fallait un bon moment pour reprendre ses esprits, pour reconnaître l'appartement et la cuisine où elle était assise;
Ces chemins ancestraux ont pu être élargis, adaptés aux chevaux et aux voitures, ils ont pu servir à acheminer le courrier et devenir des routes principales, on a pu les goudronner et les équiper de tunnels, les transformer en autoroutes pourvue d'échangeurs; apparaissent alors d'autres chemins, des chemins étroits destinés aux marcheurs, nous les traçons lentement, patiemment. (p.201)
Comme il est bon de boire , de se remplir d'oubli , de se perdre et de sombrer .
« Dès qu’il l’a vue, il a oublié l’âge qu’il avait. »
S'asseoir au bar, c'est partir en voyage. Boire, c'est voyager sans quitter sa chaise.
J'étais assis seul dans ma chambre, remplissant page après page mon journal intime. Journal après journal; je remplissais les pages de pensées et de rêves, de notes et de petits récits. Je remplissais le journaux de copains et de copines, de filles et d'amours, de voyages et de villes, de lieux et de gens; à mesure que j'écrivais, les lieus et les gens prenaient vie, une une vie qui leur est propre; je ne dirais pas qu'ils sont devenus vivants, ni réels, mais il m'est arrivé de les rêver comme s'ils existaient, et en un sens, ils existaient vraiment : sous l'apparence de spectres ou de marionnettes, d'êtres qui auraient pu vivre, ou qui avaient vécu, comme les personnages d'un roman. Mes journaux ressemblaient de plus en plus à des romans; j'apprenais à manier la langue, ma langue prenait forme; comme lorsqu'on modèle l'argile ou la terre, il en naissait des mains et des pieds, des corps et des visages, des phrases et des mots, et tout cela me paraissait crédible.
Déménager ne changera rien. Déménager, c'est ajourner la répétition.
Rousseau a-t-il inventé la solitude ?
il le semblerait. Comme tous les grands solitaires, Rousseau rêve de communauté, plus il se retrouve seul. C'est par l'écriture qu'il se fait des ennemis, c'est l'écriture qui l'isole et le rend solitaire. Mais l'écriture est aussi la lance d'Achille qui guérit la blessure qu'elle a causée. (p.52-53)
Marcher est une manière de se purifier, on se lave de scories et des troubles que nous inflige la société. Celui qui marche bénéficie de la meilleure compagnie qui soit, il est seul avec lui-même. (p.102)
Henri David Thoreau écrit son essai "Walking" : -si tu es prêt à quitter père et mère, frère et sœur, femmes et enfants et amis pour ne plus jamais les revoir-si tu as payé tes dettes, fait ton testament, mis tes affaires en ordre, et si tu es un homme libre, alors te voilà prêt à marcher- (p.106)
Arrivé à un certain âge, on devient rassasié; on a trop voyagé, vu trop de choses, visité trop de villes. tout n'est plus que répétition, et la répétition fait mal; ce que nous avons connu a disparu; nous sommes des étrangers dans une ville étrangère que nous aimions autrefois. Nous cessons de voyager. Nous préférons rester chez nous. Et pour supporter le vide de la répétition, nous le remplissons d'autres répétitions; nous faisons la même chose tous les jours. p. 111
« Jamais je n’ai aimé quelqu’un comme j’ai aimé Janne. Le grand amour à l’âge de quarante-huit ans ; ça peut vous tuer. »
« Je reposais mon visage contre ses seins ; ce devait être un vieux désir, plus vieux que moi ; j’étais heureux. Jamais je n’avais connu un tel sentiment de bonheur, provoqué par quelque chose d’aussi naturel, la courbe blonde de sa peau nue, les seins parfaits d’une jeune fille : ce n’est que plus tard, bien des années plus tard, que je deviendrai enfin coupable, que j’irai contre la nature ; en trente-trois ans, je n’ai pas changé.
Je suis le même, exactement le même qu’à cette époque-là ; rien en moi n’a changé. Mon visage a vieilli, et mon corps aussi, bien sûr ; sinon tout est comme autrefois. »
« Ne pourrais-je pas me trouver une nouvelle petite-amie ? Non, ce n’est pas possible. Pas quand on a déjà aimé.
Dans ma lettre je lui ai écris : j’ai du mal à t’imaginer avec quelqu’un d’autre que moi, et il m’est venue difficile de m’imaginer avec quelqu’un d’autre que toi. »
« À l’extérieur, tout change ; à l’intérieur nous pouvons conserver les choses en l’état ; les meubles, les lampes, les pièces.
À l’intérieur, nous pouvons retenir le passé, ou plutôt nous y accrocher, à l’intérieur nous restons heureux, sans âge. »
La bêtise de la nouvelle richesse. La bêtise des chalets et des maisons démesurés. La bêtise des voitures trop nombreuses. Combien faut-il de voitures à un homme ? Combien de pièces faut-il à une maison ? Combien de toilettes faut-il à un capitaliste ? Quelle quantité de bêtise pour supporter une société ? La bêtise de l'argent facile. La bêtise de la consommation. La bêtise de la cupidité. La bêtise de la nouvelle richesse.