Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés comme ça, sans rien dire, sans bouger, mais je pense que je me suis presque endormi, les yeux grands ouverts. Des ombres vertigineuses de forêts de jeunes bouleaux, tachetées de soleil, et des tapis odorants d'anémones blanches dansaient dans mon esprit, tissant l'image d'une jeune fille étendue sur le dos, avec des anémones des bois entre ses doigts croisés. Et des lunettes sur le nez. Je sentais le parfum des anémones et du fond de la forêt. Puis j'entendis de nouveau sa voix. La voix chaude et mûre de cette femme qui me faisait totalement pénétrer dans une existence si éloignée de ce salon familier.
Un matin, il y a bien des années, j'allai me promener. Je me détachai à grand-peine d'une barrière où j'avais presque pris racine à cause d'une douleur, une douleur que beaucoup de gens, à travers les âges, ont connue, par un matin de printemps. Je traversai une violente averse de chants d'oiseaux, dans la jeune forêt, et je dus faire face au plaisir qui consistait à savoir que j'avais de la force en réserve dans ma conscience, dans ma soif de comprendre, dans mon sentiment d'être un être humain, dans un monde plein d'autres êtres humains empêtrés dans leurs chaînes.
C'est colossalement affligeant que de n'avoir absolument aucun amoureux. Mais ce n'est quand même que la chose qui vient avant le pire de tout. Le pire de tout, c'est d'avoir un amoureux qui ne veut pas de vous comme amoureuse. Et c'est comme du sel et du poivre qu'on verserait sur une plaie ouverte quand, en plus de cela, il est amoureux d'une autre.
Certaines fois, le Temps passe, léger et circonspect, sur les humains, on remarque à peine ses vagues pas. Il arrive alors qu'on lève le visage et que l'on s'étonne : le Temps passe. Pour certains, on le remarque peut-être quand, un beau jour, la robe est trop courte et qu'il faut l'allonger, ou bien c'est une bizarrerie dans l'épiderme qui se signale par une sensibilité croissante.
Elle posa le front contre le nickel froid du guidon et chercha bien si elle n'était pas, si peu que ce fût, heureuse. A un endroit ou à un autre en elle-même, elle l'était, mais cette joie était enfermée et il n'y avait personne qui eût pu lui ouvrir la porte.
Est ce que la politique - tu entends un peu ce son écorchant ? - est ce que la politique sèche, inhumaine, peut donner de la chaleur à des jeunes et faire briller leur regard, et mettre du coeur dans leur chant ? À moins qu'il n'y ait quelque chose de plus, là dedans ? Ou que leur lutte soit une lutte pour l'humanité ? Oh, j'aurais tant voulu que quelqu'un puisse répondre plus tôt à ces questions.
Peut être avais je espéré y trouver un peu de réconfort que d'autres trouvent dans ce juge mesquin et puissant qu'ils appellent Dieu. Celui que les gens accusent de vouloir venger tous ces instincts qu'il a créés en nous. Celui qui a créé l'amour chez l'un, mais qui a oublié de le créer chez l'autre.
Parce que ce combat muet contre la mesquinerie à la maison, ce combat contre ce qui cherchait à l'enchainer à sa chaise et l'empêchait d'aller travailler, ce combat contre ce qui tenaillait sa respiration et voulait l'étouffer, c'était un combat contre une mort sans grâce.
Dans les bras de celui qu'on aime, on est plus seul que si on était assis sur la lune, mais je ne savais pas ça, à l'époque. Maintenant je le sais, je sais qu'on n'est jamais plus seul que quand on aime quelqu'un qui s'est endormi à côté de vous.
On se vend pour une nuit. C'est un échange réaliste. Rien d'autre que ça. Et après, tu as l'argent qu'il faut pour manger le premier repas de la semaine, ou pour payer ton loyer.
Mais le mariage, c'est une escroquerie de parler de ces liens sacrés. Sacrés ! Oui, inviolables ! Et c'est au moins aussi vrai pour ces mariages qui ne sont que des tractations commerciales, dissimulées derrière le contrat officiel.