On trouve chez nous toutes les variations possibles de couleurs de peau, du blanc à peine hâlé au chocolat brûlé, en passant par le miel, le cuivre et le bronze. Sur l'angle des paupières, l'ourlet des lèvres et la couleur des yeux. Ces nuances combinées entre elles donnent parfois des choses étonnantes : visages polynésiens aux yeux verts, visages orientaux au regard noisette, corps bruns aux chevelures blond vénétien. Dieu sait que j'ai vu défiler dans mon école de danse ces merveilles ciselées par le métissage, mais je ne suis toujours pas blasée : il m'arrive encore de tomber en arrêt, dans la rue, devant la grâce d'une silhouette polynésienne à la cambrure africaine, ou l'éclat d'un regard violet sous des paupières plissées.
Seuls ceux qui ont vécu cette expérience connaissent la difficulté, la quasi-impossibilité de vivre en tête-à-tête avec un autre homme pendant des semaines, dans des conditions éprouvantes, dans un espace exigu, confiné, d'où l'on ne peut s'échapper. Etera et Robinson ont traversé l'enfer ensemble, plusieurs fois, pendant des périodes prolongées, et ils sont restés bons amis malgré tout, jusqu'au bout de leur voyage. Cela en dit long sur le caractère de ces deux hommes ; mais il faut avoir fait partie de l'équipage d'un yacht et traversé un océan pour comprendre la dimension de ce miracle.
Tous les grands buts qu'on se fixe ne sont que des fantômes. Le bonheur consiste à les poursuivre. Lorsqu'on les a atteints, qu'en reste-t-il ? On a pu dire que l'homme qui a réalisé tous ses rêves est l'homme le plus malheureux de la terre. Je serais sans doute très près de me retrouver en sa compagnie si, chaque fois que j'ai atteint un but, il ne s'en était immédiatement trouvé un autre pour prendre sa place. Que ceux qui ont des rêves se le disent : il est plus important d'en avoir que de les réaliser.
Ultime paradoxe : tout en instaurant une distance toute bostonienne avec les insulaires, mon père a investi une partie de sa fortune pour sauver leur vie dans le cadre de la recherche sur la filariose... et passé son temps à courir les femmes !
Honolulu avait été ma première découverte d'une grande ville. Papeete était si petite, à l'époque. Pour nous, les supermarchés, les interminables rues bordées de marchands de chocolats, de bonbons, de chewing-gums en grosses boules roses et vertes, c'était le pays des merveilles ! Et puis, là-bas, les corn flakes étaient croustillants, pas comme ici où ils arrivaient tout mous d'Amérique ; nous avions aussi découvert le lait, le vrai lait en bouteille, pas la poudre blanche de nos petits-déjeuners, avec son résidu verdâtre. Et le jus de goyave ! La première fois que j'en ai goûté, j'ai dégusté ce nectar rose, les yeux fermés. C'était le paradis !
Aujourd’hui encore, des marins continuent à dire qu’à un certain endroit du Pacifique, ils entendent des sons étranges à la tombée de la nuit, comme un doux chant flottant dans l’air. Ils ont beau chercher au loin quelque rivage, ils ne voient rien que l’interminable horizon où déferlent les crêtes blanches des vagues.
Aujourd'hui, en tant que mère, je me demande si c'était la confiance qu'il nous témoignait, ou bien l'inconscience qui l'habitait, qui permettait à notre père de laisser en pleine nuit des gamines de quatorze ou quinze ans seules à la barre d'un yacht de vingt mètres au milieu des grandes houles du Pacifique.
Une île perdue dans le Pacifique ; une tribu mystérieuse... Les yeux noirs, le nez fin, les pommettes saillantes, une dentition impeccable sur un teint bronzé leur conférait une allure royale
Il faut tout un village pour élever un enfant.