Les lettres de maman, je les garde bien fermées, leurs bords rapprochés comme les lèvres d'une plaie qu'il faudrait forcer à cicatriser.
Mes frères sont comme tous les hommes dans la vie de maman, essentiellement des souvenirs, aussi flous que les cachets de la poste sur les rares cartes de Noël et de Fête des Mères envoyées de Sacramento, de Frisco ou de n'importe quelle ville suffisamment éloignée pour qu'ils soient à l'abri de ce que leur réservait le toit maternel.
....c'est la même chose avec le fait d'être une arriérée. Aussi maligne qu'on paraisse plus tard avec des brassées de diplômes sur un beau parchemin blanc, les erreurs commises avant que les vraies leçons aient été assimilées ne s' effacent jamais.
Quand la totalité de ce qu'on a besoin de savoir lire pour se débrouiller dans la vie se limite aux textes des cartons d'emballage, aux fiches de recettes et aux notices de recouvrement, lire un livre d'un bout à l'autre paraît une sacrée perte de temps, surtout si, comme maman, on a des problèmes avec les lettres.
En fait de faune et de flore, tout ce qu'on a ici c'est racaille et bibine.
J'imagine sa maison, loin de la Calle, des tapis épais dans lesquels on voit la trace de l'aspirateur, une chambre toute prête pour une petite fille à elle, avec un lit en cuivre et trop d'oreillers en forme de ronds et de cœurs, des oreillers qui ne servent qu'à prendre de la place.
Tenir un bar, c'est comme faire l'accueil aux urgences.
"Il faudra bien que quelqu'un y arrive et ce quelqu'un, ce sera toi", son odeur douce de Grandma malade se mélangeant à la fumée de ses cigarettes, au vent froid de la Calle, à sa voix rauque de papier de verre, me poussant à l'action, à saisir ma chance, à être convaincue.
Sa télévision a disparu, vendue pour acheter de la drogue pour un de ses enfants, de la nourriture pour un de ses petits-enfants.
Je m'appelle Rory Dawn Hendrix, fille arriérée d'une fille arriérée, elle même produit d'une lignée d'arriérés. Bienvenue à la Calle.