Marie, au fond de toi, tout au fond, tu sais ce que tu veux. Écoute cette petite voix. C’est elle qui a raison, même si elle ne dit pas la même chose que la raison, car c’est ta voix.
« Alors ce billet, tu m’y disais : “Ma chère Marie, Si notre professeur Avait pu lorgner sur ton postérieur Comme moi pendant un bon quart d’heure Nul doute que ta note d’oral eût été meilleure.” Je t’avais répondu : “Mon cul t’emmerde.” Le prof nous avait félicités. Toi pour ta sagacité. Moi pour la délicatesse de ma prose. Il nous avait offert de poursuivre notre correspondance épistolaire le samedi suivant, lors de deux heures de colle.
Elle se réjouissait de l’enchaînement des jours, ponctués par cette croisée des regards. Chaque minute qui passait lui était agréable car elle la rapprochait de l’instant de la rencontre.
Des tentations, tu sais, dans une vie on en rencontre toujours. Pas besoin de rencontrer l’improbable plus belle femme du monde. J’ai rencontré des femmes extrêmement séduisantes. Et comme je ne suis pas un ange, j’ai pu parfois être tenté. Mais l’amour de ta mère m’a toujours semblé le bien le plus précieux qu’il m’ait été donné de recevoir. Et pour rien au monde, pas même pour une nuit de plaisirs torrides, je n’aurais voulu risquer d’endommager cet amour.
Quand on aime vraiment quelqu’un, les tentations pour une autre finissent par se dégonfler toutes seules. On dit que l’amour rend aveugle. On dit ça pour dire qu’on ne voit pas les défauts de l’être aimé, mais je crois qu’il rend aussi aveugle aux beautés des autres.
Là, le manque d’Angel était permanent et aigu. Tel un aimant puissant ou un ogre vorace, la pensée d’Angel attirait et engloutissait toute son énergie, toute son attention. Sans lui, l’univers entier était privé d’intérêt, la vie, de saveur.
C’était parce qu’il était un ange qu’il pouvait deviner ses conversations, apparaître et disparaître comme par magie, déployer une force surhumaine, avoir un regard si bon et si doux, l’apaiser comme par enchantement.
Cancer, ce mot était fatal, il charriait avec lui une menace létale, il drainait une odeur mortelle. Elle avait déjà si souvent entendu parler de gens emportés par cette terrible maladie.
Les couples qui durent ne sont pas ceux qui n'ont connu aucune épreuve, mais ceux qui ont su les surmonter ensemble.

— Bonjour Damien. Je suis heureuse que tu sois de retour parmi nous. Très heureuse. Sais-tu qui je suis ?
Il avait répondu non de la tête. Comme je lui souriais, il affichait en retour un léger sourire. Mais tout son visage exprimait son désarroi. Il cherchait manifestement dans son cerveau l’image correspondante à la mienne et ne la trouvait pas.
— Si je te dis « Marie », est-ce que cela t’évoque quelque chose ?
Nouveau geste de la tête. Et nouveau regard désemparé.
— Damien, toi et moi sommes en couple depuis nos dix-sept ans.
Je guettais son expression, espérant y lire la trace d’un déclic. Mais je n’y voyais que ses vains efforts. Parler à quelqu’un que vous connaissez depuis près de quinze ans, avec lequel vous avez partagé tant de moments intimes mais qui, lui, ne vous reconnaît plus est une expérience plus que déstabilisante. La dissymétrie du point depuis lequel vous vous adressez à l’autre vous donne le vertige. L’impression de vouloir danser à deux alors que vous êtes seule à entendre la musique. Vous vous tenez au bord du trou noir de sa mémoire comme au bord d’un abîme dans lequel tout faux pas pourrait vous précipiter. J’avais immédiatement perçu, dès les premiers mots de notre pauvre dialogue, que nous allions avancer comme deux funambules, menacés à chaque instant de perdre l’équilibre