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Citation de michelekastner


Jacob était fait de ces mots transmis de génération en génération, prières, bénédictions, exclamations, il était fait aussi des silences si nombreux autour de l'amour, de la mort, et il était curieux qu'il ait rencontré les deux à des milliers de kilomètres de là où il était né, détaché des siens, défenseur d'une Europe qui avait tué ou laissé mourir des juifs mais qui l'avait bien voulu, lui, pour la délivrer, alors que trois ans avant son incorporation on ne l'avait plus jugé suffisamment français pour l'autoriser à franchir les portes du lycée d'Aumale. Et les questions que cette situation posait, Jacob n'avait pas eu le temps de les méditer, de les appréhender. Elles auraient pu être des sujets de dissertation, il y aurait réfléchi à froid, avec la distance des années qui assourdit les sons, estompe les couleurs, mais fige parfois les événements et les êtres dans un lieu invisible, débarrassés de toute matérialité, de toute temporalité, réduits à leur essence même d'émotion et de pensée liées, de trace. Il aurait cherché dans sa mémoire des citations apprises en cours de philosophie, de rhétorique, de littérature. Il aurait éprouvé de nouveau, en l'approfondissant, cette exaltation qui s'était emparée de lui lorsqu'il avait découvert le territoire sacré de la parole intérieure et les chemins que la langue orale et la langue écrite peuvent esquisser pour qui les emprunte. Et au fur et à mesure que le récit des années de guerre se serait imposé, dévoilant les déportations, les camps, l'inhumanité de ces années-là, la fierté d'avoir libéré l'Europe aurait perdu de son éclat. Il se serait dit, accablé, nous avons gagné la guerre, oui, mais pour tant et tant d'hommes, de femmes et d'enfants, nous sommes arrivés trop tard. Il aurait alors pris conscience qu'il avait fait partie de l'histoire, acteur, indéniablement, mais pas si puissant qu'il avait cru l'être dans la pinède en feu sur les hauteurs de Toulon quand il avait tiré pour la première fois aux côtés des GI's, et porté Bonnin sur son dos pendant des centaines de mètres. Il se serait interrogé sur le miracle mille fois répété qui lui vait permis de se soustraire à la mort. Pouvait-on voir en cela le hasard, la chance ? Peut-être. La découverte du drame tellurique auquel il avait mis fin avec ses camarades se serait faite par à-coups, au hasard d'une lecture, d'une rencontre, d'un souvenir, parce que même après cette guerre qui aurait exigé une redéfinition totale des rapports entre les êtres, personne n'avait eu la capacité d'arrêter le temps, d'imposer le silence, la réflexion, les événements se succédaient, la propagande les mettait en scène pour les actualités, les mouvements saccadés de la vie détournaient chaque jour le regard vers un autre point.
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