Ici, rien ne se fait « par gentillesse », comme vous dites. Il y a toujours une contrepartie à la clé. Ce type qui exploite honteusement mes Noirs s’imagine qu’en couvrant ma fille d’or je fermerai les yeux sur son trafic!
Comme les recommandations ne suffisaient pas toujours à ces cigales qui se contentaient d’une petite économie de subsistance, il existait une Société de prévoyance où les indigènes devaient apporter quelques sacs de riz et de fonio au moment de la récolte. On pesait, on notait les quantités qui leur seraient ensuite intégralement redistribuées à l’époque des semailles. Mais cette vigilance n’était pas toujours bien acceptée.
Quant à la justice à rendre, il fallait faire la part du droit coutumier, des clans et des croyances qui gouvernaient leur vie.
—Mais voyons, les indigènes s’en moquent complètement, de la libération de Paris ! Ça ne représente rien pour eux.
—Qu’est-ce que vous en savez ? Il n’y a qu’à leur expliquer, et puis il y a sûrement des familles qui ont un gars qui se bat ou se battra encore. Quand eux-mêmes tapent sur leurs gros tambours pendant des nuits entières, nous ne savons pas pourquoi. Cette fois, ce sera pour nous. Je vous en prie. Faites-moi plaisir...
À défaut de se faire aimer d’elle, il était humilié de ne pas la troubler sensuellement et confusément jaloux de l’amour physique qu’elle avait connu avec un autre. Parfois ses nuits s’embellissaient de fantasmes érotiques où, délivrée de ses pudeurs, elle se transformait en bacchante perverse, avide de satisfaire tous ses caprices. Lorsque, le lendemain, au hasard d’une rencontre, elle posait sur lui deux yeux indifférents aussi clairs qu’innocents, il détournait le regard, gêné comme si elle risquait d’y lire ses turpitudes nocturnes.
Il n’aurait pas fallu que nous nous rencontrions et que nous nous aimions. Il n'aurait pas fallu que je connaisse ton existence ni seulement que je vienne au monde.
Il n’aurait pas fallu... rien. Et il ne faudrait pas qu'il y ait des hommes et des femmes puisque nous sommes tous capables de concevoir et d'adorer le bonheur et assez insensés pour partir vers lui.
Elle glisse ses doigts dans sa chevelure devenue trop longue. Elle s’est juré de ne la raccourcir que le jour où la guerre sera terminée. Une idée stupide. Maintes fois, gênée pour se coiffer et rêvant d’une coupe pratique « à la Jeanne d’Arc », elle s’est contentée de nouer un peu plus haut sur le crâne la queue de cheval qui maintenant lui balaie les épaules.
Chaque fois qu’elle va guerroyer avec un obstacle, il ronchonne, se penche à l’extérieur pour la regarder s’affairer dans la boue. Pas question de descendre pour un coup de main. Lui, c’est un grand chef ! En tout cas, il l’a affirmé à plusieurs reprises. Grand chef ou pas, il a été tellement exaspérant tout au long de la route que, lorsqu’il est descendu pour satisfaire un besoin pressant, elle a dû résister à l’envie diabolique de le planter là dans les fourrés, accroupi sous son parapluie, le boubou retroussé jusqu’aux épaules.
Trop jeune aussi pour aller s’enterrer sur une plantation, d’autant plus que sur le bateau elle avait rencontré un jeune et beau commerçant grec, propriétaire de plusieurs boutiques à Dakar. « Le coup de foudre, ça existe ».
Je trouve parfaitement stupide de tuer des animaux par caprice et de s’escrimer ensuite à leur donner une vague illusion de vie.
Apprenez que la patience paie toujours. C’est ma devise.