Vanessa Kelly

Quand elle vit l'expression dans ses yeux, son cœur fit un bond. Elle avait l'impression qu'ils reflétaient les enfers. Mais ces enfers-là étaient enveloppés d'une épaisse couche de glace en lieu et place des flammes des âmes damnées.

À cet instant, avec une terrifiante impression d'inéluctabilité, elle prit conscience que ce qu'elle éprouvait pour lui était bien plus qu'une toquade de gamine et qu'une ridicule fantaisie de vieille fille. Aprės toutes ces années, et avec un caractère définitif qui, elle le savait, allait signifier sa perte, Meredith comprit qu'elle était follement et irrémédiablement amoureuse.

-Pourquoi une demande en mariage, venant de toi, ressemble-t-elle plus à une condamnation à mort qu'à une consécration à laquelle on aspire ardemment?

-Vous me comparez à un oignon, grommela-t-elle.
Il partitd'un gloussement rauque.
-Mais un oignon doux, avec un petit côté piquant, précisa-t-il.

La poitrine de Meredith se serra avec amour. La jeune fille semblait si belle et si frêle, dans sa jolie robe jaune primevère, avec sa nouvelle coiffure à la
mode, les cheveux tirés en arrière et noués avec des rubans assortis. Meredith, en revanche, était vêtue de sa plus vieille robe et avait les cheveux rassemblés
sur sa nuque grâce à un simple nœud, pour éviter de les avoir dans la figure pendant qu’elle travaillait.

Parfois,
la jeunesse et la beauté de sa sœur lui rappelaient cruellement qu’elle était
elle-même en bonne voie pour rester vieille fille. Annabel était tout pour
elle, mais elle n’avait jamais ressenti aussi vivement les différences qui les
séparaient.

Elle
déposa son panier de linge et s’efforça d’esquisser un sourire.

—
   D’accord, ma belle. Va dire à Miss Noyes que je la rejoindrai
dans quelques minutes. Il faut juste que je range les vêtements à raccommoder
et que je remette à Cook la liste des courses pour les jours à venir.


   

Elle sentit la langue de cet homme se glisser entre ses lèvres et caresser la sienne avec un léger arôme de café. Elle gémit, si pleinement emportée par la force de son baiser qu’elle ne put rien faire d’autre que de s’abandonner à lui et de se livrer aussi généreusement qu’il lui donnait. Le goût humide de ses lèvres glissant sur les siennes mit son sang en ébullition, chassant la fatigue due à la maladie et la douleur due à la colère et au chagrin. La stupéfaction naquit en elle lorsqu’elle reconnut le désir qui l’animait – cette douce brûlure du besoin charnel qu’elle n’avait pas ressentie depuis si longtemps. Il répondit à son gémissement par un grognement guttural, tel le ronronnement d’un félin, qui déclencha une réaction immédiate dans son bas-ventre. Elle empoigna le devant de son manteau, malmenant le riche tissu de ses doigts, s’agrippant à lui comme si sa vie en dépendait.

Quand bien même, la plupart des jeunes filles bondiraient sur l’occasion de pouvoir participer à une Saison parrainée par l’une des ladies les plus puissantes de la capitale. Pas Meredith manifestement, et ce n’était que l’un des points qui la rendaient si différente de toutes les femmes qu’il avait connues.

Elle aussi était très belle, et cela le tourmentait plus que tout. Sa petite vesteen velours rouge cerise soulignait sa généreuse poitrine et lui dessinait des
hanches parfaites. Il mourait d’envie de lui caresser tout le corps, de glisser ses doigts dans sa chevelure noir brillant, de les passer sur ses courbes
féminines, jusqu’à ses pieds élégamment chaussés de bottines de marche.

Cette femme était tout bonnement la plus séduisante qu’il ait croisée au cours de ces
dernières années. Son regard extraordinaire et son teint ivoire, sa chevelure noir luisant... Tous ces éléments participaient d’un portrait des plus ravissants. Mais c’était surtout en raison de sa silhouette hors du commun que
les hommes se retournaient sur son passage. Elle avait un corps magnifique, une poitrine généreuse et des hanches rebondies qui prolongeaient de façon voluptueuse sa taille de guêpe. Encore plus fascinant, Meredith dégageait une
sensualité à la fois puissante et subtile, la promesse d’une myriade deplaisirs à celui qui aurait la chance de l’attirer dans son lit.

Elle se sentait toujours aussi faible qu’un oisillon, mais plutôt rôtir en enfer que de laisser Blackmore la voir allongée sur une dormeuse comme une vieille dame fatiguée. Elle prit une profonde inspiration pour recouvrer un peu d’équilibre puis lissa le corsage et les jupes de sa robe beige en mousseline française. Elle savait qu’il était ridicule pour une femme de son âge de porter des vêtements d’une couleur d’ordinaire portée par les jeunes filles, mais elle adorait la sobriété de cette teinte – la façon dont celle-ci mettait en valeur ses cheveux auburn et les courbes de son corps plutôt que la coupe de la robe elle-même.

Elle n’était pas une dévergondée. Elle était pire que cela encore : une lâche, trop peureuse pour s’autoriser à ressentir de l’amour ou de la passion, ou même pour oser remettre son cœur entre les mains d’un autre homme. Depuis la mort de Reggie, elle s’était autorisée à prendre des amants, mais seulement lorsque sa situation financière le requérait. Elle avait essayé de se montrer sélective mais avait dû sacrifier le désir au besoin. Seul son dernier amant, le comte de Trask, avait éveillé la passion en elle. Quand bien même, elle n’avait jamais ressenti de l’amour pour lui.