Le Livre des départs, Velibor Čolić
" Un exilé est un homme qui est plus ou moins mort quelque part. "
Plus que jamais je suis perdu dans une Europe aveugle, indifférente au sort des nouveaux apatrides. Mes rêves de capitalisme et de monde libre, de voyage et de villes des arts et des lettres sont devenus des mouchoirs en papier usagés, utiles pendant un bref instant mais gênants après l’utilisation. Rien que des cendres. J’ai échangé la fin du communisme pour le crépuscule du capitalisme.
La mélodie existe, mais elle est dispersée, éparpillée un peu partout comme de la poussière d'étoiles, comme le souffle du vent qui, soudain, tourne les pages d'un livre. Elle est jouée avec indolence, nonchalance, si bien que, d'une fragilité cristalline, elle semble inconstante, irréelle telles des lettres tracées sur le sable. Mais le son est clair pourtant.
— Quand on voit les croix des autres, soupire-t-il, on reprend toujours les siennes...
Les rêveurs, conclut tristement Azlan Bathalo, meurent de faim, prouvant ainsi qu'ils ont vécu de leurs rêves.
Je cherche la vraie parole de Dieu, et le curé, visiblement, a autre chose à faire. Dieu pêche les âmes à la ligne, le diable les pêche au filet.
Quand on mange bien, c'est du catholicisme. Et si on n'a rien à manger mais qu'on chante et qu'on danse, c'est du communisme.
Ce livre pourrait encore s'appeler "Les Quatre Saisons", mais elles ont une tonalité beaucoup plus sombre que celles de Vivaldi, elles se jouent sur la partie droite du clavier, la plus triste, accompagnée de la trompette argentée comme le clair de lune de Miles Davis, du jeu mélancolique de Stan Getz, doux et chaud comme la vanille, et d'un solo particulièrement sauvage de Charlie Bird Parker, qui se fiche tel un couteau dans le dos de la nuit.
Velibor Colic
Budapest, 1997-1998
(placé en exergue de Mother Funker)
Hubert Selbie retrouva Paris par un petit matin gris. A travers la vitre sale du taxi, il contemplait les trottoirs mouillés et les devantures des restaurants alsaciens qui jouxtaient la gare de l'Est. Il se sentait du vague à l'âme. C'était un peu comme si un oiseau noir, en route pour sa migration vers le sud, projetait sur son visage son ombre veloutée. p 89
De mon vivant, j’étais de partout et de nulle part, j’étais tout le monde mais aussi personne. J’étais un grand soleil et parfois des nuages ; tantôt l’ombre mais très souvent la lumière. J’étais l’eau fraîche et le sang chaud, l’enfant illégitime de chaque nation. Moustachu, barbu et pieds nus ; j’étais le saint des pauvres et le sel de la terre. J’étais l’oiseau, les percussions et chaque instrument à cordes. Compteur et conteur, poète et chanteur. J’étais celui qui porte le violon sur son épaule ; celui qui rendait vos rêves possibles. J’étais voyageur, fou du roi, paysan sans terre et apôtre, témoin et traître.J’ai fait mille fois l’amour et jamais la guerre.
(...) Une chose est sûre : mon nom est Azlan Tchorelo, Azlan Bahtalo et Azlan Chavoro Baïramovitch et je suis mort ce matin.
Voici mon histoire