Entretien avec Vénus Khoury-Ghata à propos de son ouvrage Les derniers jours de Mandelstam :
Entretien réalisé par Marie-Delphine
Comment avez-vous découvert le poète Ossip Mandelstam ? Pouvez-vous nous dire quelques mots à propos de son œuvre ?
J’ai participé à la constitution d’un numéro spécial de la revue Europe, paru en juin/juillet 2009 et dirigé par Jean-Baptiste Para. C’est là que j’ai découvert l’œuvre de Ossip Mandelstam. Cet homme a vécu une véritable vie de souffrance pendant la majorité de laquelle ses écrits ont été interdits. Il écrivait sous le sceau du secret et chaque fois qu’il tentait de revenir il était exilé ailleurs. Il est mort en déportation, en Sibérie.
Pourquoi avoir choisi de lui dédier un roman ? Qualifieriez-vous cet ouvrage de biographique ?
Lorsque j’ai découvert le travail de cet écrivain, j’ai été immédiatement envoutée, il m’a beaucoup inspiré et c’est pourquoi j’ai décidé de lui consacrer un livre. Aucune biographie officielle n’a le droit d’être publiée au sujet d`Ossip Mandelstamdelstam depuis la parution de celle réalisée par sa veuve. Il m’a alors fallu trouver un moyen qui me permettrait de raconter sa vie sans pour autant écrire une biographie au sens premier du terme. J’ai par conséquent choisi de faire une biographie dirons-nous émotionnelle et littéraire du poète : j’ai rédigé comme les choses me sont venues, spontanément.
Quel travail documentaire avez-vous effectué pour écrire le roman ? Quel degré de liberté vous êtes-vous accordé vis à vis des faits ?
Le travail que nous avons réalisé collectivement pour la revue Europe est l’une de mes principales sources, le dossier est très complet. J’ai aussi évidemment lu l’intégralité de son œuvre, ainsi que la superbe biographie qu’a rédigé la femme de Mandelstam.
Le roman s’ouvre sur Mandelstam à l’aune de sa mort et c’est au gré de ses souvenirs que l’on découvre sa vie, presque à rebours. Pourquoi avoir choisi cette trame narrative particulière ?
Ne faisant pas une biographie traditionnelle, j’ai décidé de partir du dernier mois où le poète vivait, alors qu’il était devenu complètement fou. Cela m’a permis de laisser une part importante à la fiction et c’est ce dont j’avais besoin. Par exemple, j’ai pu imaginer tous les moments où l’écrivain s’adresse à Staline, afin de mieux le représenter, car la folie me permettait de le faire parler tout seul. On peut prêter beaucoup de choses à un mourant fou ! La folie était la porte ouverte nécessaire à la fiction, voilà pourquoi j’ai mis en scène le poète à la fin de sa vie.
Nadejda, son épouse, est omniprésente dans votre roman. Quel rôle a-t-elle joué dans la vie de Mandelstam et dans son œuvre ?
Sans elle, Mandelstam serait mort dès sa première arrestation. Elle a véritablement soulagé son existence, soutenu envers et contre tout alors qu’ils vivaient en dehors de tous les critères de bien-être : ils n’avaient absolument rien. Ecrire était ce qu’il y avait de plus important pour le couple. C’est également elle qui travaillait ponctuellement en tant que traductrice pour rapporter les quelques pièces qui leur permettaient de survivre.
Seul dans sa prison russe, Mandelstam semble inconscient et perdu dans des pensées. Le poète était-il pour vous plutôt fou ou génie ?
Je dirais que Mandelstam à la fin de sa vie était à la foi fou et génial. Il n’était plus du tout capable d’écrire, il apprenait par cœur ses textes et sa femme devait les écrire pour lui. C’est grâce à elle que son œuvre a survécu. Son génie était là mais la folie dominait son corps et son esprit.
Quelques questions à propos de vos lectures :
Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?
Le Petit Prince d`Antoine de Saint-Exupéry : je l’ai découvert en classe de 7ème et j’ai été littéralement éblouie par le texte.
Quel est l’auteur qui vous a donné envie d’arrêter d’écrire (par ses qualité exceptionnelles...) ?
Aucun auteur que j’apprécie ne me donnera envie d’arrêter d’écrire.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Je relis beaucoup de choses lorsqu’il s’agit de poésie et l’auteur change en fonction des périodes. Fut un temps où je relisais Charles Baudelaire chaque soir, comme un livre de prières, puis est venu le temps d’Guillaume Apollinaire, d`Arthur Rimbaud… Je n’aime pas relire les romans.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Beaucoup de jeunes auteurs méritent d’être plus connus. Je pense notamment à Marie Huot ou encore Amandine Marembert en poésie.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
« Je ne sens pas le pays sous mes pieds » d`Ossip Mandelstam.
Et en ce moment que lisez-vous ?
J’écris un roman, j’en suis à la page 120, et j’aime beaucoup : voilà ce que je lis ! Mais je lis également à la sélection du prix des 5 Continents de la Francophonie ; je lis toujours 50 livres à la fois.
2/08/2016
Découvrez
Les derniers jours de Mandelstam de
Vénus Khoury-Ghata aux éditions
Mercure de France :

VÉNUS KHOURY-GHATA ÉLOIGNEZ-VOUS DE MA FENÊTRE
&
CAROLINE BOIDÉ
UNE FEMME EN CRUE
Lecture par les auteures
Rencontre animée par Kerenn Elkaïm
C'est l'ardeur poétique qui relie
Vénus Khoury-Ghata et
Caroline Boidé. Ensemble, elles ont cosigné un recueil de poèmes (
Kaddish pour l'enfant à naître, éd.
Bruno Doucey) et un livre d'entretiens (Ton chant est plus long que ton souffle, éd. L'Archipel) dans lequel on découvre la femme derrière la cinquantaine d'ouvrages publiés par la poète et romancière libanaise, et la relation singulière qui la lie à
Caroline Boidé.
Lors de cette rencontre, elles partageront avec nous leurs derniers recueils de poèmes. Éloignez-vous de ma fenêtre de
Vénus Khoury-Ghata transforme la mort en espace habitable, apprivoisé, dont la peur est enfin chassée. À travers un poème narratif et sensuel à trois voix,
Une femme en crue de
Caroline Boidé célèbre le désir : sa fièvre, ses vertiges, son éros, sa force vitale et son alliance secrète avec la liberté.
À lire
Vénus Khoury-Ghata, Éloignez-vous de ma fenêtre, éd. Mercure de France, 2021
Ce qui reste des hommes,
Actes Sud, 2021
Caroline Boidé,
Une femme en crue, éd.
Bruno Doucey, 2021
Vénus Khoury-Ghata, Ton chant est plus long que ton souffle. Entretiens avec
Caroline Boidé, éd. l'Archipel, 2019.
Caroline Boidé ©
Daniel Mordzinski + Lire la suite