Les éditions Métailié proposent, dans la collection « Bibliothèque allemande », au moins deux romans ciblant le nazisme : sa montée (pour l’un) sa chute (pour l’autre). Ce sont « La septième croix » d’Anna Seghers et « Hôtel Berlin 43» de Vicki Baum. Leurs points communs : deux auteures allemandes exilées aux USA avant le début des hostilités, deux romans écrits avant la fin de la Seconde Guerre Mondiale, deux livres inclus dans le package des GI’s appelés à débarquer sur les plages de Normandie, deux adaptations hollywoodiennes peu avant et peu après l’Armistice. Les deux récits véhiculent des thématiques similaires : la soumission léthargique d’un peuple à un totalitarisme inique, l’opportunisme et l’appétence de certains pour le pouvoir et l’argent quitte au pire et à la folie génocidaire. Et au final, pour les deux, un happy-end, ou pour le moins une lueur d’espoir pour qu’enfin renaissent les jours heureux d’antan.
J’avais précédemment lu (et chroniqué) « La 7ème croix ». Je récidive, ici, avec « Hôtel Berlin 43» qui, en queue de comète du conflit, anticipe et tire déjà le bilan d’une fin de règne.
1943 : une année-charnière pour l’Allemagne et ses alliés, une année-bascule entre apogée et fourches caudines. Le nazisme vacille ; qui pour l’enterrer dans l’attente fataliste d’un désastre pressenti ? Personne ou presque n’y croit encore vraiment ; l’espoir/le désespoir s’habillent de non-dits ; certains se ménagent déjà des solutions de replis vers l’étranger.
1943 : Berlin sous les bombes. H24 ou presque. Les raids de jour ne débuteront que l’année suivante. Vicki Baum anticipe. Les tentatives de putschs, dont il sera question dans le roman, n’auront lieu, de même, qu’en 44.
« Hôtel Berlin ». Un cinq étoiles Grand Siècle en écho d’un passé glorieux. Un palace réservé, en ses heures fastes, aux élites financière, politique et aristocratique. Un hôtel grand luxe, au statut diplomatique officieux : des affaires internationales s’y réglèrent ou avortèrent ; le national-socialisme ne fera pas exception à la règle. De l’Empire au nazisme triomphant, par-delà l’espoir suscité par la fragile République de Weimar déchue, une faune caractéristique des époques traversées s’y est agitée. Baum nous en présente quelques exemples.
« Hôtel Berlin » : un palace suranné, à bout de souffle, à l’entretien illusoire (les finances du Reich sont au plus bas, il y a d’autres priorités) ; un bâtiment peu à peu grignoté par la mort venue du ciel. Grand privilège, la haute-société y mange encore convenablement, hors rationnement, quand au-delà de ses murs les civils crèvent de faim. C’est aussi un palace repos du guerrier discrètement offert aux aviateurs revenus du siège de Stalingrad. On y danse, on y chante, on y flirte. On se réfugie dans ses caves quand l’alerte est donnée et que tremblent les murs sous l’assaut des bombes. Y séjourne la race des vainqueurs arrogants d’il y a peu, celle bientôt honnie des vaincus, sous l’œil patient et acerbe d’un petit personnel inamovible qui, peu importe les régnants, se fond dans le décor ou complote discrètement.
« Hôtel Berlin ». Militaires, épouses et petites pépées. Diplomates discrets, allemands ou issus de pays alliés, neutres et affiliés. Gestapistes hautains et arrogants, aux aguets de la tête qui dépasse des rangs. Banquiers, financiers, affairistes, industriels, tous étrangers, de plus en plus réticents à engager de l’argent dans un Reich à vau-l’eau.
« Hôtel Berlin » : L’étau se resserre à quelques mois de l’hallali. Sur le fil des illusions perdues de castes moribondes et de parvenus démasqués, l’hôtel devient un lieu stratégique, un huis clos où disséquer l’implosion en cours d’un régime à l’agonie, le destin d’un peuple promis à la défaite mais qui sera le dernier à savoir. 48 heures durant, comme en équilibre au bord d’un gouffre, se nouent et se délient nombre de destins croisés. S’y jouent à pile ou face les morts par suicide, celles sous le poids des bombes ou des armes, celles des coupables et des sacrifiés sur l’autel de l’aryanisme. La grande comédie de l’amour y prend place aussi, entre deux êtres que tout aurait dû opposer. On n’est pas très loin de l’atmosphère supposée de Sigmaringen au bout du bout de la collaboration vichyssoise.
Le brigadier frappe les trois coups d’un drame de théâtre, de quelques actes sur le plancher du hall, d’une réception où rôde encore la soumission des employés, sur celui des chambres où dans l’intimité se jouent en vain les dernières cartes d’une diplomatie allemande dépassée, avant que la note du prix à payer ne soit présentée.
Quelques personnages de premier plan ou ancillaires :
Arnim Von Dahnwitz : archétype du général à la prussienne, celui de la Wehrmacht et pas de la SS qu’il déteste, toujours d’active sur le front malgré son grand âge, homme de vieille noblesse, au port raide, monocle sous sourcil haussé, bottes claquées sous le fouet du stick, salut hitlérien comme contraint par les circonstances, petite pépée à discrétion, acteur (parmi d’autres) d’un putsch avorté dont il devra rendre compte en toute discrétion …
Lisa Dorn : jeune et belle actrice de cinéma et de théâtre shakespearien (le fait a son importance dans la couleur donnée à sa personnalité) ; remarquée par le Führer alors que, toute jeune, elle lui offrit des fleurs sur le chemin de l’Anschluss ; depuis lors égérie du régime ; nourrie et adulée dans la soie d’un nazisme de façade ; elle n’est plus en prise avec la réalité, enfermée dans une tour d’ivoire tout en théâtralité oblitérant la réalité.
Martin Richter : étudiant, opposant au régime en place ; la Gestapo à ses trousses ; un phare dans la révolte, au bout d’un tunnel sombre ; l’espoir de renaissance d’un peuple sous chappe de plomb totalitaire ; presque une légende de la clandestinité. Le voici traqué dans l’hôtel ; quel va y être son destin ?
Von Stetten : ambassadeur d’Allemagne. L’homme de l’ombre, tout en non-dits et suggestions. L’ultime solution à la défaite, celle diplomatique, loin des combats désormais inutiles et vains. Von Stetten, aussi, apte à régler en douceur le cas Von Dahnwitz saura se montrer Grand Siècle en ces heures d’apocalypse.
Tilli. Un peu Dietrich dans l’ange bleu. Désargentée. Elle n’a d’autre légitimé dans l’hôtel que sa jeunesse, sa beauté, son sex-appeal, sa naïveté, sa joie de vivre, son versant charnel avenant, son empathie pour les jeunes aviateurs en permission. Elle passe son temps à se chercher en vain des chaussures, les siennes sont hors d’usage. Elle semble n’avoir qu’un rôle annexe alors que son histoire, longtemps retenue (et je n’en dirai rien), fait d’elle la grande énigme du récit, presque son point d’orgue.
Ecrit en anglais, aux Etats-Unis et à l’été 43 (parution US l’année suivante), « Hôtel Berlin 43 » a subi, après guerre, les aléas des rapprochements franco-allemands et les tensions est/ouest ; ce qui provoqua des traductions à géométries variables en fonction des pays destinataires : passages oubliés ou modifiés (ceux peu amènes à l’égard de la population civile du 3ème Reich), noms disparus de personnages, de lieux ou donnés à certains évènement … La présente version en français est issue de la VO en anglais de 44. Vicky Baum avait fait paraitre un autre roman (« Grand hôtel ») en 1931 qui, construit sur le même principe, était axé sur la montée du nazisme. (Peut-on considérer les deux œuvres comme les 2 volets d’un diptyque ?). « Grand hôtel » valut à Baum d’être classé au rang des auteurs interdits et soumit à autodafé.
Elle s’exila …
Merci aux Ed. Métailié, à Babelio et à sa Masse Critique
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