Vidéo de Victoire Maçon Dauxerre
La solitude .
La solitude au milieu des cyniques , des salauds, des égarées, des déglingués . La laideur immonde , squelettique , dégueulasse, au milieu de toutes ces beautés . La mort parée de lumières , de fards, de fourrures, de soieries, de strass, de dentelles, de satins, de cuirs fins, et de talons de dix-huit centimètres .
La mort qui a bien failli m'attraper .
Je pense que Vladimir n'a même pas envisagé que je participe à ce déjeuner. Ça tombe bien, je ne vois pas ce que j'aurais fait dans un restaurant. Il le sait, lui qui est du métier : on n'invite pas un mannequin à manger...
Avant de filer à l'agence , le photographe m'a montré les photos. Je l'ai observé commencer le travail de retouche: en quelques clics , il m'a rajouté des joues, des cuisses, des seins, et a effacé les os de mon sternum pour me faire un beau décolleté . Voilà donc comment ça se passe : nous on perd des kilos et des kilos pour qu'ils nous choisissent ... et qu'ils puissent nous en rajouter , à leur gré.
Nous avons pleuré longtemps, ensemble. Et puis j’ai arrêté de pleurer. Définitivement. Je me suis levée pour me préparer pour mes rendez-vous. « Victoire, on rentre à la maison. » J’ai dit pas question. Je suis là pour les rendez-vous, je vais aux rendez-vous. Elle a dit qu’elle pensait que je devais arrêter ce métier. J’ai senti la rage et la haine m’envahir à nouveau. Je l’ai regardée droit dans les yeux. « Tu te souviens, à Milan, quand j’ai appelé pour dire que j’arrêtais ? Tu as dit “n’arrête pas, j’arrive”. Voilà. C’est trop tard. Vous voulez que je continue, je continue. J’ai signé pour un an. Je vais faire un an. »
J’étais devenue la voix. La salope, maintenant, c’était moi.
Seb m'a présenté Gilad , le photographe,[..] Il me dit que je suis "Wonderful", et m'explique qu'il est "so happy" d'avoir "the honor "de faire ma toute première séance photos . Que je ne dois pas m'inquiéter, qu'on va avoir "so much fun together" .
...j'ai fait la connaissance de Maud, une Hollandaise blonde et diaphane, très jeune , qui m'a confié comme un grand secret, que pour garder la ligne elle avait trouvé le truc: elle mangeait un biscuit . Par jour . Rien d'autre .
« C’est peut-être vrai, Victoire, le monde de la mode, c’est tellement la roulette… Mais moi, au bout de quatre ans, je peux te le dire : la plupart des filles travaillent dur, vraiment dur, pour pas grand-chose. Quand tu signes un beau contrat avec une grande marque, tu crois que tu touches le jackpot ? Pas du tout. Bien sûr, c’est beaucoup d’argent, mais il va surtout aux agences, et au remboursement de tes frais. Au bout du compte, il te reste 10 % de la valeur du contrat, à peine… »
[...],une petite brune un peu ronde et pas aimable du tout . Je me suis présentée , je lui ai dit bonjour et que je venais de la part de Flo . Elle n'a pas répondu , a pris mon book, m'a regardée de la tête aux pieds, m'a rendu mon book sans prendre de composite ni même me demander de marcher . Fin de l'histoire .
Quand j'ai rappelé Flo pour lui faire le compte rendu , elle n'était pas étonnée . "Je t'ai envoyée là-bas parce que c'est Chanel , mais Karl Lagerfeld n'aime pas les seins . Ton 85A , c'est encore trop pour lui . Son top fétiche , c'est Freja Beha . elle est ultra plate ..."
Justement , à propos de manger, Céleste m'a informé d'un "détail " très Prada : si nous disposions d'un buffet dégueulasse, où du poulet improbable baignait dans une sauce encore plus improbable dans des bacs en alu dignes de la plus mauvaise cantine - je ne m'y ferai jamais , ils nous demandent d'être filiformes et la plupart du temps ils ne prévoient jamais la nourriture adéquate -, l'équipe des stylistes , elle , avait droit à un buffet délicieux caché dans la pièce suivante . So chic !
"N’oublie jamais que ce sont les vêtements qu’ils regardent, pas toi… !"