En conversation avec Hervé Mazurel, Quentin Deluermoz & Anouche Kunth
Rencontre proposée par la revue Sensibilités
« Il n'y pas d'histoire qui ne soit sensible de part en part ».
Georges Didi-Huberman
La revue Sensibilités s'emploie à mieux saisir les ressorts sensibles de la vie collective. Elle s'efforce de décrire l'infinie variété des modes de présence au monde. Ou, dit autrement, des façons de sentir et de ressentir d'hier et d'aujourd'hui, d'ici et d'ailleurs. Ce faisant, elle explore la vie affective dans toutes ses dimensions : pulsions et désirs, perceptions et émotions, sentiments, passions et autres fantasmes
Pour fêter la parution de son 10e numéro, la revue et son comité de rédaction, en partenariat avec les éditions Anamosa, ont souhaité inviter le philosophe et historien d'art Georges Didi-Huberman pour discuter de son approche de la vie sensible et de ce qu'il appelle les « faits d'affects ». Les historiens Quentin Deluermoz, Anouche Kunth et Hervé Mazurel se relaieront pour évoquer avec lui la vie longue de l'image survivante, les métamorphoses du pathos et de ses représentations, la contagiosité des émotions politiques et, avec elle, des gestes de révolte et de soulèvement.
Pour l'anniversaire de la revue Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales (Anamosa), Quentin Deluermoz, Anouche Kunth et Hervé Mazurel, trois de ses animateurs, discuteront avec Georges Didi-Huberman de ses derniers livres autour de la vie sensible et des faits d'affects.
À lire La revue Sensibilités n°10, « La guerre transmise », éd. Anamosa, 2021.
Georges Didi-Huberman, le Témoin jusqu'au bout. Une lecture de Victor Klemperer, Les éditions de Minuit, 2022.
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Les Juifs de la tradition ont pour coutume de purifier les récipients devenus "trefe" en les enterrant. De la même manière, il faudra enterrer le mot "Führer" pour longtemps, avant qu'il soit à nouveau pur et utilisable.
Journal, été 1934
Cité par Frédéric Joly dans "La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd'hui" (page 39).
Nous ne savons rien du passé lointain, parce que nous n'y étions pas ; nous ne savons rien du présent, parce que nous y sommes. Seul le souvenir du passé que nous avons nous-même vécu peut nous permettre d'acquérir après coup une once de savoir - et d'un savoir très peu sûr.
Je veux témoigner jusqu'au bout. Journal 1942-1945, vol. II, p.151
Cité par Frédéric Joly dans "La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd'hui" P.140
Le pas véritablement décisif vers la mécanisation de la vie par le langage n'est franchi que lorsque la métaphore technique vise directement la personne ou, comme le dit une expression qui sévit depuis le début du siècle : lorsqu'elle est "réglée" sur elle.
Les guillemets simples et primaires ne signifient rien d’autre que la restitution littérale de ce qu’un autre a dit ou écrit. Mais les guillemets ironiques ne se bornent pas à citer d’une manière aussi neutre, ils mettent en doute la vérité de ce qui est cité et, par eux-mêmes, qualifient de mensonge les paroles rapportées. Comme, dans le discours, cela s’exprime par un surcroît de mépris dans la voix de l’orateur, on peut dire que les guillemets ironiques sont très étroitement liés au caractère rhétorique de la LTI.
Car tout ce que fait le nazisme se trouve déjà en germe dans le romantisme : le détrônement de la raison, la bestialité de l'homme, la glorification de l'idée de puissance, du prédateur, de la bête blonde...
Mais n'est-ce pas là une terrible accusation portée contre le mouvement intellectuel, précisément, dont la littérature (au sens le plus large) et l'art allemand tirent des valeurs humaines si extraordinaires?
Elle est justifiée en dépit de toutes les valeurs créées par le romantisme. "Nous volons haut et nous descendons d'autant plus bas." La caractéristique essentielle du mouvement intellectuel le plus allemand qui soit est l'absence de toute limite.
Page 191
Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quel temps l’effet toxique se fait sentir
La profusion nouvelle de tournures techniques dans la langue du bolchevisme témoigne donc exactement du contraire de ce dont elle témoigne dans l'Allemagne hitlérienne : elle indique les moyens mis en œuvre dans la lutte pour la libération de l'esprit, alors qu'en allemand les empiètements du technique sur les autres domaines m'obligent à conclure à l'asservissement de l'esprit.
[...]
La métaphore allemande désigne l'esclavage et la métaphore russe, la liberté
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Un mot, une connotation ou une valeur linguistique donnés ne commencent à prendre vie dans une langue, à exister vraiment que lorsqu’ils entrent dans l’usage d’un groupe ou d’une collectivité et y affirment son identité.
p.101 de la présente édition
Si quelqu’un, au lieu d’"héroïque et vertueux", dit pendant assez longtemps "fanatique", il finira par croire vraiment qu’un fanatique est un héros vertueux et que, sans fanatisme, on ne peut pas être un héros.
pp.47-48 de la présente édition
« A chaque instant, le mensonge imprimé peut me terrasser, s'il m'environne de toutes parts et si, dans mon entourage, de moins en moins de gens y résistent en lui opposant le doute »