Citations de Victor Klemperer (30)
Les Juifs de la tradition ont pour coutume de purifier les récipients devenus "trefe" en les enterrant. De la même manière, il faudra enterrer le mot "Führer" pour longtemps, avant qu'il soit à nouveau pur et utilisable.
Journal, été 1934
Cité par Frédéric Joly dans "La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd'hui" (page 39).
Nous ne savons rien du passé lointain, parce que nous n'y étions pas ; nous ne savons rien du présent, parce que nous y sommes. Seul le souvenir du passé que nous avons nous-même vécu peut nous permettre d'acquérir après coup une once de savoir - et d'un savoir très peu sûr.
Je veux témoigner jusqu'au bout. Journal 1942-1945, vol. II, p.151
Cité par Frédéric Joly dans "La langue confisquée. Lire Victor Klemperer aujourd'hui" P.140
Le pas véritablement décisif vers la mécanisation de la vie par le langage n'est franchi que lorsque la métaphore technique vise directement la personne ou, comme le dit une expression qui sévit depuis le début du siècle : lorsqu'elle est "réglée" sur elle.
Les guillemets simples et primaires ne signifient rien d’autre que la restitution littérale de ce qu’un autre a dit ou écrit. Mais les guillemets ironiques ne se bornent pas à citer d’une manière aussi neutre, ils mettent en doute la vérité de ce qui est cité et, par eux-mêmes, qualifient de mensonge les paroles rapportées. Comme, dans le discours, cela s’exprime par un surcroît de mépris dans la voix de l’orateur, on peut dire que les guillemets ironiques sont très étroitement liés au caractère rhétorique de la LTI.
Car tout ce que fait le nazisme se trouve déjà en germe dans le romantisme : le détrônement de la raison, la bestialité de l'homme, la glorification de l'idée de puissance, du prédateur, de la bête blonde...
Mais n'est-ce pas là une terrible accusation portée contre le mouvement intellectuel, précisément, dont la littérature (au sens le plus large) et l'art allemand tirent des valeurs humaines si extraordinaires?
Elle est justifiée en dépit de toutes les valeurs créées par le romantisme. "Nous volons haut et nous descendons d'autant plus bas." La caractéristique essentielle du mouvement intellectuel le plus allemand qui soit est l'absence de toute limite.
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Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quel temps l’effet toxique se fait sentir
La profusion nouvelle de tournures techniques dans la langue du bolchevisme témoigne donc exactement du contraire de ce dont elle témoigne dans l'Allemagne hitlérienne : elle indique les moyens mis en œuvre dans la lutte pour la libération de l'esprit, alors qu'en allemand les empiètements du technique sur les autres domaines m'obligent à conclure à l'asservissement de l'esprit.
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La métaphore allemande désigne l'esclavage et la métaphore russe, la liberté
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« A chaque instant, le mensonge imprimé peut me terrasser, s'il m'environne de toutes parts et si, dans mon entourage, de moins en moins de gens y résistent en lui opposant le doute »
Et rien ne nous conduit au plus près de l'âme d'un peuple que la langue...
Et il en ira de même pour le mot le plus grave, le plus décisif de notre époque de transition : un beau jour, le mot "dénazification" aura sombré dans l'oubli parce que la situation à laquelle il devait mettre un terme aura elle-même disparu.
Je ne crois absolument pas qu'il ait lu quoi que ce soit sérieusement. Il n'a fait que saisir au vol des bribes de culture passe-partout, il n'a fait que répéter machinalement en désordre et qu'exagérer ce qu'il pouvait utiliser pour son système démentiel, mais c'est justement le génie ou la démonie de sa folie, ou le caractère criminel en lui - appelez cela, expliquez cela comme bon vous semble -, qui lui fait infailliblement présenter tous ces fragments saisis au vol de manière à produire un effet captivant sur des hommes primaires et de surcroît, à métamorphoser en animaux grégaires et primitifs des hommes qui, au fond, possèdent ou possédaient déjà une certaine capacité de réflexion.
17 mars 1933
Je ne peux plus me débarrasser du sentiment du dégoût et de la honte. Et personne ne bouge; tout le monde tremble, se terre.
« Ne laisse pas ceux qui t'écoutent exercer leur sens critique, traite de tous les sujets de manière simpliste ! Si tu parles de plusieurs adversaires, d'aucun pourraient s'aviser de penser que tu as tort. Alors réduis-les à un même dénominateur, regroupe-les, donne leur un caractère commun ! »
« Mais ce qui est tout aussi sûr, c'est que même reconnue comme fanfaronnade et mensonge, la propagande n'en agit pas moins, pourvu qu'on ait le front de la propager sans état d'âme »
19 août 1933
Je n'arrive vraiment pas à croire que les masses, dans leur sentiment profond, soutiennent encore Hitler. Trop d'indices contraires. Mais tout le monde, absolument tout le monde est mort de peur. Plus aucune lettre, plus aucune conversation téléphonique, pas un mot dans la rue ne sont à l'abri des dénonciations. Chacun redoute en l'autre le traître et le mouchard.
« La tendance, le mouvement tendu vers un but, est à ce point l'essence du nazisme qu'il se désigne lui-même comme « le Mouvement », et Munich la capitale du Mouvement, au point de garder la simplicité du mot au lieu de chercher un titre ronflant »
On a prétendu à satiété, avant Hitler puis pendant l'époque hitlérienne, que tout progrès était dû aux entêtés, et tous les blocages uniquement aux partisans du point d'interrogation.
Ce n'est pas tout à fait sûr, mais il est une chose qui est tout à fait sûr: le sang est toujours sur les mains des obstinés.
9/10/1938
Quoi qu'il arrive sur le plan politique, en ce qui me concerne je suis définitivement transformé. Ma germanité, personne ne pourra me la prendre, mais mon nationalisme et mon patriotisme sont morts pour toujours. Ma pensée est maintenant plus que jamais voltairienne et cosmopolite. Tout cloisonnement national m'apparaît comme une barbarie. (416)
31/03/1942
La langue est un révélateur. Il arrive que l'on veuille dissimuler la vérité derrière un flot de paroles. Mais la langue ne ment pas. Il arrive que l'on veuille dire la vérité. Mais la langue est plus vraie que celui qui la parle. Contre la vérité de la langue, il n'y a pas de remède. (58)
Le cogneur et le cracheur, c’étaient des brutes primitives (bien qu’ils eussent le grade d’officier), tant qu’on ne peut pas les assommer, il faut supporter ce genre d’homme. Mais ce n’est pas la peine de se casser la tête dessus. Alors qu’un homme qui a fait des études comme cet historien de la littérature ! Et, derrière lui, je vois surgir la foule des hommes de lettres, des poètes, des journalistes, la foule des universitaires. Trahison, où que se porte le regard.
Il y a Ulitz, qui écrit l’histoire d’un bachelier juif tourmenté et la dédie à son ami Stefan Zweig, et puis au moment de la plus grande détresse juive, voilà qu’il dresse le portrait caricatural d’un usurier juif, afin de prouver son zèle pour la tendance dominante.