Marc Quaghebeur évoque l'auteur révolutionnaire Victor Serge.
L'esprit révolutionnaire se fonde sur un sentiment d'insatisfaction.
Le satisfait est conservateur; il craint que sa quiétude ne soit troublée. Pourvu qu'il digère ! Les bornes de son horizon lui plaisent.
L'insatisfaction, c'est la douleur provoquée par la difficulté de satisfaire les besoins essentiels de l'être, faim, soif, manque de liberté, affirmation des besoins supérieurs intellectuels et moraux...
Voici deux mentalités en présence :
D'une part, l'ardeur de vivre, l'esprit critique, la révolte.
De l'autre, la satisfaction béate de végéter, le contentement de soi-même, l'obéissance, la routine.
Victor aimé, je reçois seulement aujourd'hui tes lettres d'Oran. Je viens de les lire d'une traite, assoiffée que j'étais de toi. Tout ce que tu me dis est si beau que j'en suis tout émue. Je ne comprendrai jamais le miracle qui t'a fait m'aimer. Quand je pense que tu aurais pu ne pas exister dans ma vie, j'en suis effrayée, c'est comme si j'étais venue au monde aveugle et sourde.
(Marseille 1-04-1941).
Les hommes, quand ils s'imaginent avoir conquis l'argent, sont de règle conquis et défigurés par lui.
Max Ernst est arrivé et pense partir dans un jour ou deux pour Lisbonne. Encore un être extraordinaire : une sorte de magicien qu'on ne peut pas approcher comme ça, comme on approche un être humain. (Je n'exagère pas, je suis sûre que toi-même tu sentirais tout ce qui se dégage de lui de magique). Il a montré tous les tableaux qu'il a faits pendant la dernière année : une vingtaine. C'est inimaginablement beau. Au bout d'un quart d'heure, nous étions en plein merveilleux, mais un merveilleux concret, qui vous enveloppe entièrement. C'est ce que j'ai vu de plus beau. Et lui qui semblait sortir d'un de ces paysages qui vous enlèvent le souffle...
(Marseille 1-04-1941).
J'ai vu en route les consuls américains déployer partout une malveillance tellement ingénieuse à l'égard des gens qui frappent à leur porte, que de ce côté aussi je voudrais bien être rassuré.
(Ciudad-Trujillo,14 juin 41).
Le totalitarisme n'a pas d'ennemi plus dangereux que le sens critique ; il s'acharne à l'exterminer. Les clameurs emportent l'objection raisonnable et, s'il persiste, une civière emporte l'objecteur vers la morgue.
Jamais, nulle part, on ne m'a contesté une seule ligne, jamais on ne m'a opposé un argument : rien que l'injure, la dénonciation et la menace.
Quand on a de si vastes régions polaires et tant de steppes à sa disposition,
on a pas vraiment besoin de guillotine...
- Répondre à un interrogatoire ? Après cet enlèvement illégal ? Sans savoir qui vous êtes - ou ne le sachant que trop - sans garanties d'aucune sorte ?
La tête massive du bellâtre oscilla légèrement sur la cravate ; les dents, larges et jaunes, s'y découvrirent... Cette brute aussi entendait sourire. Ce qu'elle murmura devait vouloir dire : "Nous saurons bien vous y obliger." Bien sûr. Avec un courant électrique à faible tension, on peut tordre une créature humaine en tous sens, la plonger dans les pires convulsions de l'épilepsie, de la démence, bien sûr, et je le sais.
Le capitalisme moderne marchant à l'opulence a passé sur le corps de plusieurs générations de travailleurs qui vécurent dans des taudis, trimèrent de l'aube à la nuit tombée, ne connurent aucun liberté démocratique, livrèrent à l'usine dévoratrice jusqu'aux muscles débiles des gosses de huit ans...
Sur les os, la chair, le sang, la sueur de ces générations sacrifiées s'est bâtie toute la civilisation moderne.
La recherche de la vérité est un combat pour la vie ; la vérité qui n'est jamais faite, étant toujours en train de se faire,est une conquête sans cesse recommencée par une approximation plus utile, plus stimulante,plus vivante d'une vérité idéale peut-être inaccessible.