Citations de Victoria Mas (844)
Il n'avait jamais offert de livre à quiconque et prenait seulement conscience de l'enjeu de cette démarche : faire cadeau d'une lecture était pareil à une confidence.
Il existe peu de sentiments plus douloureux que de voir ses parents vieillir. Constater que cette force, jadis incarnée par ces figures que l'on pensait immortelles, vient d'être remplacée par une fragilité irréversible.
– On va t'soigner. J'ai vu Charcot soigner des hémiplégies.
– Et si on me la soigne pas, à moi ?
Thérèse marque une pause. Elle n'a jamais vu Charcot soigner des patientes atteintes d'hémiplégie. Sa malhonnêteté envers Louise la gêne, mais mentir est parfois plus qu'une nécessité, c'est un confort.
"Le noroît soufflait aujourd'hui, Hugo s'en fit la remarque en silence. Il avait appris à lire les vents, se sentait un peu moins étranger à cette terre maintenant que l'invisible avait un sens."
"Le visage d'Isaac lui revenait, pétrifié, pareil aux statues, pareil à ceux qu'un choc fige dans une émotion. Il avait fumé, arpenté le salon, écouté la pendule, sans se résoudre à monter, redoutant ce que son fils pourrait lui dire, redoutant tout ce qu'il ne pourrait pas comprendre ; aucun homme n'éprouve jamais l'impéritie autant qu'un père."
"Elle détourna le regard. Les seuls ossuaires qu'elle avait connus jusqu'alors demeuraient cachés sous Paris, n'étaient visibles qu'à ceux qui voulaient bien descendre sous terre pour les voir, un intérêt morbide qu'elle n'avait jamais compris : l'homme dévoyait l'aspect sacré du corps en allant contempler ces os qui en étaient dépouillés."
"_Si on la porte, elle fait des miracles alors ?
Des guérisons inexpliquées, c'est vrai, furent rapportées en pleine épidémie de choléra à Paris. Le juif Alphonse Ratisbonne, qui porta la médaille, eut une vision de la Vierge, et se convertit au christianisme, ce qui fit grand bruit à l'époque. A la mort de Catherine Labouré, un enfant approcha de son cercueil et guérit soudainement de son infirmité. C'était sans mentionner Catherine Labouré elle-même , dont on avait exhumé le corps parfaitement intact près de soixante ans après sa mort.
_Ce n'est pas tant la médaille qui est miraculeuse...Personne n'a jamais remis en cause les propos de cette novice. Dès lors qu'on ne doute plus...c'est là que surviennent les miracles."
"Il hésita encore, revint sur un ouvrage qu'il avait déjà reposé parmi les autres. Il n'avait jamais offert de livre à quiconque et prenait seulement conscience de l'enjeu de cette démarche : faire cadeau d'une lecture était pareil à une confidence."
"Tu peux examiner la planète tout au long de l'année, elle ne sera jamais la même...Après, la lunette ne permet pas d'en avoir une vue très précise : on ne pourra pas voir ses cratères, ni les dépôts de glace sur ses pôles. Mais bon, on peut déjà s'en approcher un peu. Quand tu penses qu'à ce moment, elle est à soixante millions de kilomètres de nous...c'est presque émouvant."
"Hugo avait fêté ses seize ans quelques jours plus tôt et traversait l'adolescence sans s'en soucier, sans contester les ordres, sans recourir à la révolte pour asseoir son identité. Certaines jeunesses se passent de fureur lorsqu'elles ont trouvé l'étude."
Au cœur du couvent, une cloche retentit soudain : la chapelle sonne les onze heures. Elle seule rythme un temps qui n’est plus tout à fait celui des profanes. Son timbre grave pénètre dans le dortoir, survole les lits, sans les faire tressaillir : allongés sous les draps, les corps poursuivent leur repos. Aucun froissement ne trahit d’éveil. Le couvent enseigne aux Filles à ne plus se laisser distraire par le monde.
Sa décision est prise depuis longtemps. Loin d'elle une vie comme celle de sa mère, assise à sa droite - une vie confinée entre les murs d'un appartement bourgeois, une vie soumise aux horaires et aux décisions d'un homme, une vie sans ambition ni passion, une vie sans autre chose que son reflet dans le miroir - à supposer qu'elle s'y voie encore -, une vie sans but autre que faire des enfants, une vie avec pour seule préoccupation de choisir sa toilette du jour. Voilà, c'est tout ce qu'elle ne souhaite pas. Autrement, elle souhaite tout le reste.
Il existe peu de sentiments plus douloureux que de voir ses parents vieillir. Constater que cette force, jadis incarnée par ces figures que l’on pensait immortelles, vient d’être remplacée par une fragilité irréversible.
Dans une salle d'examen, les deux individus qui s’y trouvent ne sont plus égaux, l’un évalue le sort de l’autre ; l’autre croit la parole du premier. L’un détermine sa carrière ; I'autrr détermine sa vie. Le clivage est d'autant plus prononcé lorsqu’une femme passe les portes du bureau médical. Celle-ci offre à l’examen un corps à la fois déiré et inconmpris par celui qui le manipule. Un médecin pense toujours savoir mieux que son patient, et un homme pense toujours savoir mieux qu'une femme : c'est l’intuition de ce regard-là qui rend aujourd’hui anxieuses les jeunes fenmes attendant leur évaluation.
(Page 123)
Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.
(Page 113)
u vois, j'me suis jamais sentie aussi tranquille qu'entourée de folles. Les hommes m'ont maltraitée. Mon corps est cabossé. J’boite, ma jambe m'fait mal. J'ai des douleurs à crever chaque fois qu'je pisse. J'ai une cicatrice qui m’traverse tout le sein gauche, on a voulu me l’couper au couteau. lci, j’suis protégée. On est entre femmes J'tricote des châles pour les filles. J’me sens bien. Non, dehors, plus jamais. Tant qu’les hommes auront une queue, tout l’mal sur cette terre continuera d’exister.
(Pages 111-112)
En septembre 1792, les sans culottes demandèrent à libérer les prisonnières de la Salpêtrière ; la Garde nationale s'exécuta, et les femmes, trop heureuses de s'enfuir, se retrouvèrent finalement violées et exécutées à coups de hache, gourdin et masse sur le pavé des rues. Libres ou enfermées, en fin de compte, les femmes n'étaient en sécurité nulle par. Depuis toujous, elles étaient les premières concernées par des décisions qu'on prenait sans leur accord.
(Page 102)
Son corset la gênait horriblement. […] Cet accessoire a clairement pour seul but d’immobiliser les femmes dans une posture prétendument désirable - non de leur pemettre d’être libres de leurs mouvements. Comme si les entraves intellectuelles n’étaient pas déjà suffisantes, il fallait les limiter physiquement. A croire que pour imposer de telles barrières, les hommes méprisaient moins les femmes qu'ils ne les redoutaient.
(Page 54)
Ele n'a pas le temps de répondre qu’il a baissé la tête et l'embrasse doucement. Il sent en elle une réticence et continue de l'embrasser, car c'est en forçant qu'on fait céder.
(Page 43)
L’absence d’horloge fait de chaque jour un moment suspendu et interminable. Entre ces mus où l'on attend d’être vue par un médecin, le temps est l'ennemi fondamental. Il fait jaillir les pensées refoulées, rameute les souvenirs, soulève les angoisses, appelle les regrets - et ce temps, dont en ignore s'il prendra un jour fin, est plus redouté que les maux mêmes dont on souffre.
(Page 42)