Dans une République tchécoslovaque de laquelle aucune souris ne s'échappe sans la faveur de l'administration, un citoyen ne peut s'affranchir de sa frustration que de trois manières : "sexer", voler ou bien doubler. Généralement, il pratique le sexe à la maison, double sur l'asphalte et vole surtout au travail.
À cette époque, la Tchécoslovaquie est une énorme sucrière. On s’efforce d’édulcorer comme on peut la vie des habitants. Le gouvernement s’échine à faire oublier les conséquences de l’occupation, la privation de liberté et la peur. Moins les gens pensent à ce qui a été, et plus ils profitent de ce qui est.
Sani savait ce qui se passait en Tchécoslovaquie, il écoutait "Voice of America" à la radio. Ils remplaçaient les gens. Pièce par pièce. Tu acceptes ? Tu signes et tu restes. Tu n'acceptes pas ? Pars. Qui ne hurle pas comme un loup avec nous hurle contre nous.
Des flocons de neige commencent à tomber comme un rideau de petit conte de fées d’hiver qui raconte : il était une fois un pays, la Tchécoslovaquie, et dans ce pays, un vignoble, et dans ce vignoble, une petite mémère, et dans cette petite mémère, un coeur, et dans ce coeur, quelque chose qui savait attendre. Et dans ce pays recouvert d’une toile rouge, il y avait beaucoup de coeurs comme celui-là, et tous ces coeurs attendaient, attendaient… jusqu’à la mort.
L’Etat confisquait les biens de ceux qui émigraient. Dans toute la Tchécoslovaquie, des maisons se vidaient. Les bruits des appartements déménagés à minuit réveillaient les voisins du dessus, pourtant personne n’appelait la police. Chacun savait qu’il ne s’agissait pas de voleurs, mais de proches qui essayaient d’emporter quelques affaires utiles pendant qu’il était encore temps.
Les tenailles entre les communistes et les non-communistes commencèrent à s'ouvrir. Il ne s'agissait pas de se comprendre un jour, ça non. La réconciliation entre victimes et criminels est impossible. Dans le cas de ce parti criminel qui a envoyé des dizaines de milliers de personnes en prison et en camps de travaux forcés, trimer dans les mines d'uranium, cette idée est inconcevable. Mais en août 1968, les adversaires du régime soutinrent les communistes parce qu'il semblait que ces derniers regrettaient sincèrement les crimes des années cinquante, et que le nouveau gouvernement souhaitait réellement une amélioration.
Il y avait chez les gens un racisme latent. Ils étaient extérieurement enjoués et amicaux, mais frappaient dès qu’ils en avaient l’occasion.
Les rixes avec les Vietnamiens étaient si fréquentes à cette époque qu’une voiture de la Sécurité nationale stationnait en permanence devant leur foyer.
Les jeunots de Stara Ruda se saoulaient de bière mélangée avec de l’alcool de genièvre et se ruaient dans des pugilats merveilleux.
Les joutes chevaleresques entre Slovaques et Vietnamiens étaient toujours fair-play. Dix bons gaillards contre un seul sale roseau.
L’Histoire n’aime pas retenir ce genre de détails. On a du mal à parler de son propre racisme, mais pour être juste, cela n’arrivait pas qu’à Stara Ruda : cela se produisait en tout lieu où de nouveaux migrants s’installaient.
Pas seulement du Vietnam, mais aussi de Cuba, d’Angola…
p 346 " Personne ne peut imaginer aujourd'hui ce qu'autrefois nous étions prêts à faire pour la liberté. Depuis, le prix de la plupart des choses a augmenté, mais la valeur des choses de l'esprit a diminué. Pourquoi le prix de la liberté n'aurait-il pas également baissé ?"
La tendresse paternelle est comme une lime à dégrossir qui râpe vite, mais ne lisse pas finement.
L’homme sait qu’il est en train de vivre l’Histoire. Il sait que sa femme, son fils, lui et son pays sont le beurre, et l’Histoire, le couteau. Et que quelqu’un l’étale sur une tranche de pain et s’apprête à y mordre.